Tribune
Par
Albert Lautman
Directeur Général de la Caisse Primaire d’Assurance maladie de l’Essonne
Les systèmes de santé des pays occidentaux sont profondément ébranlés par les tensions sur la démographie des professionnels de santé, et plus encore sur le temps soignant disponible, en même temps que le vieillissement et la multiplication des pathologies chroniques augmentent la demande de soins. Ce double mouvement inquiète légitimement.
Dans ce contexte, et alors même que nous n’avons jamais dépensé autant en France pour la santé que cette année, la question de la transformation de l’organisation des soins devient essentielle, pour gagner en efficience collective, tout comme la question de l’optimisation du temps médical. Au-delà, plus que jamais, le meilleur soin est celui que nous n’aurons pas besoin de donner dans les années difficiles qui sont devant nous. La prévention est essentielle.
Pour réussir ce « virage préventif », l’enjeu réside dans le bon ciblage des programmes de prévention, dans la mesure de leur impact, dans l’adhésion des individus et des patients, ce qui est le plus difficile. Et c’est justement sur ces champs que le numérique peut changer la donne.
Il la change parce qu’il permet à la prévention sous toutes ses formes d’entrer dans la vie quotidienne des individus, parce qu’il permet de jouer sur des leviers de motivation au quotidien sans être vécu comme intrusif. Les applications incitant à l’activité physique et au sport sur les téléphones ou montres connectées illustrent le champ des possibles qui s’ouvre. Mais cela va au-delà avec l’ensemble des objets connectés et désormais les outils d’IA qui analysent les données. C’est ce qui permet, par exemple, de détecter les fragilités et les risques de chute chez les personnes au grand âge, d’identifier les facteurs de risque et de proposer des plans d’action individualisés auprès de malades en ALD, etc. Je pense à quelques champs bien identifiés : la prévention de l’obésité chez les enfants et adolescents, la prévention des addictions y compris aux écrans, la prévention des effets des polluants chimiques et des perturbateurs endocriniens, le dépistage précoce des cancers…
Faire de chacun un acteur de sa santé devient un enjeu permis par l’essor du numérique en santé.
L’Assurance maladie participe activement à cet élan et cette contribution a l’ambition de l’illustrer de façon très synthétique. Elle y participe d’abord en tant qu’opérateur de Mon espace santé, qui est plus qu’un carnet de santé dématérialisé. On y retrouve certes les informations du Dossier médical partagé, alimenté directement par les professionnels de santé intervenant auprès du patient, et c’est déjà une première étape pour placer le patient au cœur de son parcours de soins, et de ses données de santé. Mais c’est aussi un catalogue de services numériques référencés par les pouvoirs publics, gratuits ou payants, portés par des acteurs publics comme privés. Ces services doivent répondre à plus de 150 critères sur la technique, la sécurité, la protection des données et l’éthique. Aujourd’hui, une trentaine de services de confiance référencés sont déjà visibles et plusieurs sont consacrés à la prévention primaire ou secondaire, autour de thèmes déjà très variés : activité physique, arrêt du tabac, rappel des échéances de vaccination, dépistage des cancers…
Le recours aux services de ce catalogue, dont le nombre augmente chaque mois, permettra au patient, s’il le souhaite, de stocker les données issues d’objets connectés dans son espace santé, et de les partager avec son cercle de soin.
Les acteurs de soin mais aussi les acteurs de la complémentaire santé peuvent bien entendu solliciter le référencement de leurs outils numériques de prévention pour qu’ils intègrent le catalogue des services de Mon espace santé.
L’Assurance maladie propose également des informations grand public sur la santé et la prévention à travers le portail Ameli, devenu un des principaux outils des assurés sociaux pour s’informer sur ces sujets. Et avec la presque généralisation de l’ouverture des espaces personnels sur Ameli, c’est aussi un outil permettant aux Cpam d’adresser des messages personnalisés de prévention ou de dépistages, parfois en lien avec des actions partenariales menées avec les ARS, les CPTS ou les collectivités territoriales.
Ainsi le numérique doit être envisagé comme un outil, non pas isolé et efficace seul, mais offrant davantage de moyens et d’efficacité aux programmes de prévention. En Essonne, la Cpam travaille avec plusieurs CPTS sur des opérations de proximité autour des dépistages organisés des cancers, en ciblant, sur des quartiers très concernés par les inégalités sociales de santé, les personnes éligibles et en leur adressant des invitations via Ameli, mais aussi par SMS. Nous leur proposons de rencontrer en proximité des professionnels de santé qui connaissent les habitants et vont convaincre… De cette façon, nous touchons des publics qui n’étaient jusqu’ici que peu réactifs aux invitations « institutionnelles » pour les dépistages.
Dans sa stratégie de prévention, l’Assurance maladie s’appuie sur le déploiement de la feuille de route du numérique en santé, sur son ancrage territorial et sur les synergies avec d’autres outils. Concernant les dépistages organisés, des appels sortants seront généralisés auprès des assurés n’ayant pas répondu aux messages numériques de leur Cpam. Et nous restons ainsi attentifs à ne pas écarter de la prévention les publics en situation de fracture numérique.