Cédric Arcos
DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DE LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE
La pandémie à laquelle la France a eu à faire face en luttant contre le Covid-19 a marqué un tournant à de nombreux égards. Qu’il s’agisse de l’organisation du travail, des rapports sociaux, de la prise de conscience de notre trop grande fragilité industrielle ou encore de l’organisation même de nos espaces urbains, cette crise a été un révélateur du besoin de porter d’autres visions et d’autres projets pour la France. En matière de santé, les enseignements sont pluriels et parfois paradoxaux. Si les personnels de santé ont été érigés au rang de héros, applaudis chaque soir par des millions de Français à leurs fenêtres, si le système de santé, qui a certes été bousculé a tenu et a su faire face, il n’en demeure pas moins qu’a été mis en lumière un besoin profond de porter un nouveau projet pour le système de santé et de rénover en profondeur nos organisations. Attractivité des carrières, renforcement de l’autonomie de décision des professionnels, simplification et allégement des procédures, reconnaissance du rôle majeur des territoires, nécessité de coopérations accrues entre public et privé, besoin d’une industrie de santé forte et autonome, place du grand âge dans notre société, les chantiers sont majeurs et confirment le besoin de refonder notre système de santé.
Après-guerre, le Conseil National de la Résistance avait su rassembler les Français et faire de la santé un instrument au service de la reconstruction de la France, de sa modernisation. Des organisations, des financements, des outils avaient alors été mis en place au service de ce projet majeur par lequel la santé participe de la puissance de la France. Progressivement, ce Grand Projet, cette finalité semblent avoir été oubliés et les outils sont devenus des finalités : tarification à l’activité, CPTS, article 51, forfaits en tout genre et bien d’autres : le système de santé a progressivement été confisqué par une vision technique, générant chez les personnels une perte de sens.
Pour redonner de la protection aux Français et recoudre les fractures depuis et grâce à nos territoires, l’enjeu central est donc de faire de la santé un nouvel enjeu de mutation de notre modèle social, de redonner du sens et une finalité aux organisations. Pour cela, plusieurs principes fondateurs doivent être posés.
Le premier est de ne pas réduire les questions de santé à une approche technique sur l’organisation des soins mais de les intégrer dans l’ensemble des champs de l’action publique. La santé doit être considérée comme un secteur clé pour notre pays, sa cohésion et son économie. Elle ne doit plus se limiter aux frontières d’un département ministériel mais être abordée par l’ensemble des politiques publiques. Qu’il s’agisse de l’éducation, de l’environnement, de la formation, de l’agriculture ou encore des transports, toutes les politiques doivent être coordonnées pour participer à un même objectif d’amélioration de l’état de santé de nos concitoyens.
Le second principe à même de refonder politiquement notre système est celui de la territorialisation. Il s’agit de replacer l’État, non plus dans un rôle de gestionnaire du détail, mais dans un rôle de définition de la feuille de route stratégique et de préparation de l’avenir du système. L’État doit pouvoir mieux anticiper les grandes évolutions et être le garant de la politique nationale de Santé Publique. Les Régions, collectivités en charge de l’investissement et donc de la préparation de l’avenir, doivent quant à elles se voir confier un rôle central et une responsabilité forte en matière de santé dans les territoires en devenant le point de rassemblement des différentes politiques qui contribuent à la santé. Leur responsabilité sera simple : coordonner les différentes politiques qui ont un impact sur la santé (sport, éducation, transport, environnement, développement industriel, logement, etc.) afin d’améliorer l’état de santé de la population. Le besoin de proximité des Français devant être entendu, les Conseils départementaux doivent être pleinement associés à ce mouvement de décentralisation, en leur confiant des responsabilités accrues et en leur donnant des outils et instruments de décision pour adapter le système au plus près de la vie des gens.
Le troisième principe fondateur est d’appréhender la santé comme un secteur stratégique d’avenir, source de création de richesse et d’emplois. La politique d’économies au rabot conduite depuis plusieurs années mène à une impasse. Cette régulation de court terme permet certes, tant bien que mal, de respecter les objectifs macro-économiques, mais sape toute stratégie d’avenir du secteur, saupoudrant les efforts et affaiblissant les capacités d’investissement. Un nouveau modèle doit être déployé qui, tout en accompagnant les réorganisations nécessaires, définisse une stratégie d’investissements clés pour demain. Dans ce même mouvement, il devient urgent de penser à grande échelle les effets de la transformation numérique du système de santé, d’accélérer les efforts de recherche et de définir une nouvelle alliance entre les secteurs publics et privés, en faisant notamment de nos industries de santé de véritables partenaires, porteurs de l’ambition française. Il s’agit là d’un enjeu de souveraineté nationale.
Enfin, le quatrième principe est celui de l’autonomie et de la responsabilité, des professionnels, des établissements comme des territoires. Redonner aux métiers de santé leur attractivité nécessite une évolution profonde de leurs formations, de leurs rémunérations, de leurs relations avec les autorités régulatrices et managériales. À un système basé sur le cloisonnement et le contrôle doit succéder un système basé sur le travail d’équipe, la coordination, la confiance et la valorisation des résulta- ts réellement atteints. Chaque acteur de santé doit être recentré sur les actes pour lesquels il apporte le plus de valeur ajoutée aux patients, grâce à une évolution des pratiques et compétences. Pour cela, les profils des étudiants en santé doivent être diversifiés, les études repensées et décloisonnées tandis que les rémunérations des équipes de soins doivent devenir la règle.
Cette refondation ne sera bien entendu pas possible sans une évolution profonde des rémunérations et des statuts des personnels comme des structures. Elle ne sera pas non plus possible sans une nouvelle et massive politique d’investissement en faveur de la santé et particulièrement de sa dimension numérique. Il s’agira au final de faire émerger un Service Public de Santé universel, qui fasse de l’alliance des professionnels de santé et du médico-social, quel que soit leur statut, le point cardinal des organisations. Dans ce « new deal », les femmes et les hommes qui travaillent dans le système devront être mieux considérés et faire l’objet d’un investissement d’envergure : investir sur leurs formations, sur de nouvelles répartitions des tâches et des rôles, définir de nouvelles rémunérations plus en phase avec la réalité et la complexité de leurs pratiques.
Face à la crise profonde de notre système, il est donc urgent de poser enfin la question du sens. Plutôt que de ne parler que des mécanismes et des outils, il faut considérer les finalités de notre système de santé et son rôle dans le projet de notre nation. Notre société a mué, s’est globalisée ; notre équilibre démographique et économique s’est modifié ; des innovations de rupture sont proches. Il est donc nécessaire de faire évoluer notre logiciel de pensée, en inscrivant l’évolution de notre système de santé dans le monde tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il sera demain.