Tribune
Alain Milon
Sénateur, Médecin
Bernard Garrigues
Praticien des hôpitaux honoraire, Médecin
Yves Gaubert
Directeur d’hôpital honoraire
Dominique Maigne
Directeur Général honoraire de la Haute Autorité de Santé
Gérard Vincent
Ancien Directeur des Hôpitaux au ministère de la Santé
Lors de ses vœux aux acteurs de la santé le président de la République a annoncé, au détour d’un grand nombre de propositions, la suppression de la tarification à l’activité pour les établissements de santé publics et privés, en précisant toutefois et curieusement le maintien d’une prise en compte légitime de l’activité.
En pratique qu’est-ce que la T2A ?
Il s’agit d’une des modalités de financement des établissements de santé, non pas à l’acte comme il est très souvent dit, y compris par le ministre, en le confondant ainsi avec le système de paiement des médecins libéraux pour leur activité de ville ou en clinique, mais par séjour en utilisant un système de classification appelé « Groupe Homogène » de Patients (GHM).
Des systèmes de classifications analogues sont utilisés dans la plupart des pays de L’OCDE : German’s DRG en Allemagne ou Swiss’s DRG en Suisse par exemple.
Ainsi la T2A n’est qu’un outil de distribution des ressources disponibles dont le montant est fixé par la loi de financement de la sécurité sociale.
Il reste en tout cas bien meilleur que le système antérieur de dotation globale, qui était délétère, indépendant de l’activité et bénéficiant aux établissements les moins actifs en étranglant les plus dynamiques.
La T2A ne représente actuellement que 60 à 80 % du financement des établissements publics.
En effet, il existe d’autres financements complémentaires (missions d’intérêt général, missions d’enseignements et de recherche, d’innovations, fond d’intervention régional) assurés par des dotations budgétaires qui s’ajoutent au financement à l’activité.
Les détracteurs de la T2A lui reprochent d’inciter les hôpitaux à effectuer des actes inutiles. Cet argument est peut-être recevable pour les cliniques commerciales où les médecins et chirurgiens sont payés à l’acte et dont le revenu est étroitement dépendant du volume de leur activité. Cette incitation n’existe pas dans les hôpitaux publics et privés à but non-lucratif où les praticiens sont salariés avec des émoluments indépendants de leur activité.
Les critiques de la T2A ont confondu et continuent de confondre le système de distribution des ressources avec le montant des ressources disponibles fixé par l’Ondam.
Si la tarification à l’activité est devenue un repoussoir pour certains médecins et soignants, c’est surtout parce que les différents gouvernements dans la décennie 2010/2020 n’ont eu de cesse de restreindre l’enveloppe hospitalière pour augmenter celle des soins de ville qui n’a fait l’objet d’aucune régulation.
Par une régulation administrative sévère, les pouvoirs publics ont inventé des tarifs glissants qui stagnaient, voire baissaient d’une année sur l’autre, contraignant les établissements à produire toujours plus pour conserver leurs ressources, en donnant l’impression aux soignants que plus ils travaillaient et plus les ressources de leurs établissements étaient comptées.
Le montant de l’Ondam disponible et le système de régulation prix-volume ont conduit, par exemple, à une évolution négative des tarifs pour les établissements de santé, en particulier public pendant 4 ans (2016 à 2019).
Les critiques confondent donc les effets de la T2A de ceux de la fixation des tarifs qui découlent du montant des crédits hospitaliers annuels votés par le Parlement sur proposition du gouvernement.
La T2A, au contraire, a eu et continue à avoir des effets positifs considérables
Les tarifs étant nationaux, la tarification à l’activité a conduit à une redistribution équitable des moyens financiers entre les régions et entre les hôpitaux puisque les ressources dépendaient désormais de leur activité et plus de dotations historiques déconnectées des réalités.
Les hôpitaux publics, étranglés par des dotations globales (budget global) déconnectées de l’activité, n’ont cessé de perdre des parts de marché de 1984 (date d’instauration du budget global) à 2004 en chirurgie, mais aussi en médecine (par exemple en cardiologie, en gastro-entérologie).
Depuis l’instauration de la T2A, un grand nombre d’établissements ont vu leurs activités repartir à la hausse. Le système de financement à enveloppe fermée les contraignait à restreindre leur activité, en dépit de la demande des patients, alors que le financement à l’activité leur a redonné un intérêt à agir.
Avant la T2A, les autorisations délivrées aux établissements publics pour des activités nouvelles n’étaient pas toujours mises en œuvre du fait du défaut de financement lié à la limitation des enveloppes budgétaires. La T2A les a rendues possibles en assurant leur financement automatique.
Abandonner la T2A consiste tout simplement à abandonner la proie pour l’ombre
Revenir à un modèle de financement sous forme de dotation globale serait suicidaire pour le service public qui ne pourra pas lutter contre un secteur privé qui n’acceptera jamais d’être financé, en tant qu’entreprise commerciale, de manière forfaitaire et indépendamment de son activité.
Appliquer une telle refonte du système de financement de manière asymétrique entre les établissements de santé publics et privés c’est-à-dire en supprimant la T2A à l’hôpital et pas dans les cliniques privées aboutira à la disparition de l’hôpital public, tel qu’on le connaît encore, c’est-à-dire offrant la palette totale des spécialités médicales et chirurgicales.
Vouloir lutter contre les « effets négatifs » de la T2A en la diluant dans un financement où elle ne sera que marginale, revient à condamner ce mode de financement qui donne aux établissements publics des règles analogues à celles des établissements privés, dans ce que les économistes appellent un « quasi-marché » c’est-à-dire un marché régulé par l’autorité administrative.
Ce qui est financé à l’activité doit l’être totalement, avec les mêmes règles pour le public et le privé.
La tarification à l’activité est vertueuse dans son principe car elle conduit à mieux doter les établissements qui travaillent plus. Elle a perdu son sens en raison d’une politique budgétaire excessivement drastique pratiquée par les gouvernements successifs qui ont cru qu’on améliorerait notre système de santé en étranglant l’hôpital.
Supprimer la T2A pour l’hôpital public et les établissements privés à but non-lucratif conduirait à leur infliger une double peine. Après avoir subi un rationnement budgétaire qui s’est traduit par des tarifs qui ne couvraient pas leurs coûts, ils risquent de périr à petit feu faute de pouvoir facturer leurs prestations à travers un système de financement incitatif, les obligeant une nouvelle fois à réduire leurs activités.
On ne saurait faire mieux pour tuer le service public préféré des Français.
JENNER : Groupe de réflexion sur l’avenir du système de santé