Tribune
Par
Ugo Douard
Directeur des relations institutionnelles et des affaires publiques de l’AFPA
Le travail et la valeur travail doivent être aujourd’hui requestionnés dans toutes leurs dimensions : quelle place le travail occupe-t-il dans notre système de valeur personnel et collectif ? Comment a évolué le lien au travail dans la recherche du bien-être individuel et collectif ? Dans quelle mesure le travail peut-il et/ou doit-il participer de notre émancipation ?…
Comme l’avance Olivier Vandard, aujourd’hui les jeunes redéfinissent la valeur travail de manière innovante1, accordant notamment une plus grande importance aux opportunités de mobilité, à la flexibilité dans l’emploi et, finalement, à l’autonomie. Une nouvelle quête de sens les conduit bien souvent à chercher à intégrer des valeurs sociales et écologiques dans leurs parcours professionnels.
Les urgences climatiques, environnementales et énergétiques nous imposent une accélération sans précédent des efforts collectifs pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, réduire les impacts destructeurs sur la biodiversité et apprendre à mieux gérer nos ressources. L’incontournable transition écologique va faire évoluer en profondeur tous les secteurs d’activité : de nouvelles compétences sont attendues et de nouveaux métiers apparaissent à un rythme qui s’accélère. Ces mutations sont aujourd’hui très peu appréhendées, y compris dans les politiques publiques, alors qu’elles seront déterminantes pour accélérer la performance économique des entreprises et des territoires.
Par ailleurs, mais pas sans liens, la révolution numérique concerne déjà tous les secteurs d’activité et nous commençons à mesurer l’impact de l’intelligence artificielle générative sur l’emploi2,3 ; l’industrie d’un futur et la robotisation continuent leur essor. Et, avec le vieillissement de la population, le développement de l’économie du « care » (ou du « prendre soin ») se développe rapidement.
Dans tous les domaines, les métiers se transforment et les emplois se recomposent. Considérant que les compétences s(er)ont l’atout majeur des actifs du XXIe siècle, il est aujourd’hui indispensable de miser sur la formation pour accompagner la transformation des économies française et européenne : analyser l’évolution des métiers, faire de la prospective stratégique, construire avec les entreprises et les institutions les certifications et les formations correspondant aux nouvelles compétences attendues, attirer les actifs vers les secteurs les plus porteurs et les métiers de demain. Le système de formation professionnelle, comme par ailleurs le droit du travail, doit être réaligné avec les enjeux des mutations d’aujourd’hui.
La formation professionnelle est d’ores et déjà en pleine transformation : un chômage durablement faible conjugué à des tensions de recrutement au plus haut (tous secteurs confondus) font que les candidats à la formation sont globalement des personnes plus éloignées de l’emploi ; les nouvelles attentes des bénéficiaires (qui deviennent de plus en plus des consommateurs) de formation appellent des parcours « à la carte » et finançables au niveau individuel ; le digital a ouvert un champ large de solutions, souvent très innovantes, et de nouvelles modalités d’apprentissage ; dans le même temps, les métiers manuels et l’apprentissage par « le faire » rencontrent un fort regain d’intérêt.
Et, au-delà de ces attentes, les réalités d’un champ en évolutions rapides impliquent de sensibiliser tous les acteurs de la formation à un impératif : développer des méta-compétences (apprendre à apprendre) et les capacités d’adaptabilité à des situations complexes.
Dans la transition vers le monde de demain, dont nous ne percevons qu’une partie, il ne s’agit plus seulement de rechercher une insertion sociale et professionnelle durable pour tous, mais aussi de contribuer à sécuriser les parcours de vie, en favorisant l’émancipation capacitive4 individuelle et collective et en donnant à la valeur travail un sens pour chacune et chacun.
Sources :
1. Olivier Vandard, « Une révolution à bas bruit du rapport des jeunes à la valeur travail : engagement et résilience », Think Tank CRAPS, novembre 2023.
2. Laurent Benarousse et Alain Chagnaud, Rapport « L’impact de l’IA générative sur l’emploi en France », Roland Berger, novembre 2023.
3. Pawel Gmyrek, Janine Berg et David Bescond, Rapport « Generative AI and Jobs : A global analysis of potential effects on job quantity and quality », Working paper 96, OIT, Août 2023.
4. Dominique Broussal, « Émancipation et formation : une alliance en question », Savoirs, n° 51, 2019.