TRIBUNE
DOMINIQUE HÉNON
ancien directeur financier de la cpam de paris
Au terme d’un parcours particulièrement chaotique dans un climat social exceptionnellement dégradé où la Réforme des retraites occupe (au propre et au figuré) le haut du pavé, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS, prévue à l’art. 34 de la Constitution) pour 2020 se rapproche à bas bruit d’une promulgation imminente, sachant qu’il revient encore au Conseil Constitutionnel d’examiner les deux saisines déposées par des parlementaires insatisfaits.
En effet, l’Assemblée nationale a adopté le 4 décembre dernier, en lecture définitive, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, 347 députés ayant voté “pour”, 183 ayant voté “contre” et 17 s’étant abstenus.
Ce score paraît d’autant plus remarquable (sous l’angle de la cohésion du parti majoritaire à l’Assemblée) qu’il était loin d’être acquis au tout début du processus législatif, très mal entamé dans la mesure où :
• D’une part, le rapport de la Cour des Comptes – qui initie la procédure parlementaire – mettait vivement en cause la « décision du gouvernement de ne pas compenser financièrement l’accroissement des charges pour la Sécurité sociale résultant d’un transfert de charges ou de nouvelles exonérations de charges dans un contexte de rechute du déficit » ;
• D’autre part, le rapporteur général de la Commission des Affaires Sociales (Olivier Véran, député LREM) avait fait siennes ces réserves partagées et manifestées de manière réitérée par une large fraction des sénateurs .
Sur le fond, la LFSS votée prévoit un déficit combiné du régime général (famille, maladie, vieillesse et accidents du travail) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de près de 5,4 milliards d’euros (idem qu’en 2019), contre 5,1 milliards d’euros fixés en première lecture, les branches accidents du travail et famille restant seules excédentaires.
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) est fixé à +2,45 % en 2020 (au lieu de +2,3 % en première lecture), contre 2,5 % en 2019. Autrement dit, le fait marquant de ce budget de la Sécu est le report du retour à l’équilibre des comptes sociaux qui, l’an dernier, avait été programmé pour 2020. Le déficit du régime général, annoncé initialement à 5,1 milliards d’euros en raison de la non-compensation des mesures dites « Gilets jaunes » et d’une conjoncture moins favorable qu’attendue, a été creusé à 5,4 milliards d’euros par les mesures d’urgence décidées par le gouvernement pour répondre à la crise de l’hôpital. Annoncées le 20 novembre par le Gouvernement, les mesures prévoyant une rallonge budgétaire de 300 millions d’euros ont été introduites par amendement en nouvelle lecture au Palais Bourbon.
Pour le reste, les principales mesures s’articulent principalement autour de quatre axes :
I. Encourager les initiatives en valorisant le travail et en simplifiant la vie des Français :
• Au titre du soutien à l’activité économique et aux actifs, la loi reconduit la prime exceptionnelle (dite prime Macron), qui avait été prévue de manière ponctuelle par la loi « MUES » (comportant les mesures d’urgence économiques et sociales) du 24 décembre 2018, sous réserve d’un accord d’intéressement de l’entreprise concernée. Il renforce également l’arsenal de lutte contre la fraude aux cotisations, notamment en matière de travail détaché.
• Au titre de la simplification, figurent notamment l’unification du recouvrement social autour des URSSAF, la fusion de la déclaration sociale des indépendants avec leur déclaration fiscale, et l’expérimentation d’un système de versement immédiat du crédit d’impôt services à la personne et des aides sociales versées aux personnes dépendantes pour favoriser l’aide à domicile.
II. Renforcer la justice sociale :
• Parmi les principales mesures pour lutter contre la reproduction des inégalités sociales, figurent la création d’une plateforme d’intermédiation du versement des pensions alimentaires et de recouvrement des impayés, l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa), et la revalorisation différenciée des prestations sociales :
• Ré-indexation sur l’inflation des pensions de retraite de base de moins de 2 000 euros bruts / mois ;
• Revalorisation de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) dont le montant atteindra 750 euros/mois.
III. Élargir la Protection sociale aux risques contemporains
Pour protéger les Français contre les nouveaux risques, au premier chef desquels la perte d’autonomie, la loi instaure :
• Un congé indemnisé pour les proches aidants (pendant 3 mois maximum pour l’ensemble de la carrière de l’aidant, à hauteur de 43 euros/jour pour une personne en couple et de 52 euros/jour pour une personne seule) ;
• Une enveloppe de 450 millions d’euros supplémentaires dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sur la période 2020-2021 ;
• Un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides (53 millions d’euros de dépenses prévues d’ici 2022).
IV. Refonder le financement du système de santé au bénéfice des patients en améliorant l’accès aux soins.
Pour favoriser la transformation des hôpitaux de proximité, l’activité de médecine (activité socle exercée par tous les hôpitaux de proximité) bénéficierait d’une garantie pluriannuelle de financement.
Pour lutter contre les déserts médicaux, la loi regroupe en un contrat unique de « début d’exercice », les quatre dispositifs existants d’incitation à l’installation des jeunes médecins pour les zones peu denses.
Elle crée par ailleurs un nouveau droit pour les femmes enceintes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité (hébergement à proximité de la maternité). Elle contient également des mesures pour lutter contre les pénuries de médicaments telles que l’obligation d’un stock de sécurité pour certains médicaments pour les industriels.
En conclusion, on peut observer que toutes les branches de la Sécurité sociale qui rentrent dans le périmètre de la LFSS intègrent des dispositions nouvelles les percutant tour à tour, parfois radicalement comme dans le cas du Recouvrement, pour ne pas parler que de l’univers des retraites qui focalise toutes les énergies actuellement.
À cet égard, on se doit de déplorer que « la réforme des retraites » n’ait pas été inscrite dans un chapitre important mais pas suffisant de la Loi « d’Adaptation de la Société au Vieillissement », dans la mesure où le revenu à la retraite n’est qu’une partie de cette thématique globale et intergénérationnelle.
La précipitation contre-productive manifestée pour bâtir « un nouveau monde » dont les contours, les contraintes et les avantages ne sont pas même esquissés, s’apparente à un volontarisme rejeté pour n’être pas respectueux des individus visés (et notamment des professionnels directement concernés).
Des transitions indispensables à leur adaptation et à leur participation doivent au préalable être ménagées (et managées) au risque de les faire basculer dans ce grand mouvement de grogne rampante qui prospère dans la société française, au risque d’un embrasement généralisé, d’une paralysie de l’économie et d’une disqualification de l’autorité publique.