Rémi Kohler
Service de chirurgie orthopédique à l’Hôpital Edouard-Herriot
Ce livre comble un manque évident et l’on doit féliciter son auteur pour le travail considérable de documentation présenté de façon particulièrement claire et agréable. Dans sa belle préface, Yves Coppens indique que l’orthoprothésiste, qui suit son patient toute sa vie, porte un peu son âme…». Il était donc légitime que cette profession soit mieux connue, reconnue, justifiant le sous titre à l’opposé d’un manifeste car les orthoprothésistes d’aujourd’hui savent bien que leur travail s’inscrit dans la discrétion :
• vis-à-vis du patient d’abord car tous leurs efforts convergent pour réaliser des appareillages légers, invisibles, contribuant à la meilleure tolérance de leur handicap ;
• en termes de santé publique, cette profession pèse peu : une demie journée du budget annuel de l’Assurance Maladie. Elle est quasiment orpheline : 150 000 appareillages confectionnés par 500 praticiens ! Il s’agit d’orthèses du tronc (50%), de prothèses des membres inférieurs (30%), d’orthèses des membres inférieurs (16%).
Le terme d’orthoprothésiste est récent (2007) et le Code de santé publique dispose que « est considéré comme orthoprothésiste toute personne qui procède à l’appareillage orthopédique externe sur mesure avec prise d’empreinte ou moulage d’une personne malade ou handicapée présentant soit une amputation de tout ou partie d’un membre, soit une déficience ostéoarticulaire, musculaire ou neurologique…». Les orthoprothésistes sont ainsi devenus des partenaires essentiels du chirurgien orthopédiste, comme en témoignent d’ailleurs des consultations pluridisciplinaires. Plus encore, c’est cette collaboration étroite qui a permis les progrès récents en « transformant la pensée médicale en pensée mécanique ».
L’ouvrage contient une mine d’informations. Un premier chapitre d’histoire, passionnant, brosse cette grande aventure de l’appareillage, commencée avec Ambroise Paré dans la seconde moitié du XVIe sicèle, poursuivre aux Invalides sous Louis-XIV pour les blessés de guerre, reprise ensuite par des «bandagistes» au XIXe sicèle liés à des « instituts orthopédiques » ; mais surtout, elle connaîtra un essor considérable pendant la grande guerre de 14-18 qui a brutalement fait quatre millions de blessés. Ainsi, les premiers services d’appareillage ont-ils été créés dès 1916 avec pour objectif « l’instantanéité de fabrication et l’adaptation aux besoins de vie sociale». Cette empreinte militaire perdurera jusqu’au 1er janvier 2010, lorsque seront dissous les centres d’appareillage gérés par le Secrétariat d’Etat aux anciens combattants !
Suit un important chapitre sur la technologie des orthèses qui est tout sauf aride. Il décrit les matériaux utilisés avec une évolution étonnante (du bois et du cuir jusqu’au plastique et fibres de carbone actuels) et les procédures de fabrication et d’application (passant du moulage plâtré, artisanal s’il en est, aux techniques les plus avancées de Conception fabrication assistées par ordinateurs [CFAO]). C’est un formidable bond en avant qu’a fait la procession en un quart de siècle, passant de « fabricant de jambe de bois » à celle de « technicien hightech ». Cette mutation a été initiée et accompagnée par la profession elle-même.
Un dernier chapitre aborde les perscpectives futures de l’appareillage avec deux volets qui ont en commun la qualité de la vie :
• Dans les pays développés, des perspectives futuristes pour l’homme handicapé d’aller au-delà de ses limites (comme on le voit dans les jeux paraolympiques) ;
• Mais aussi, pour les pays sous développés, de permettre à une population handicapée, blessée, de simplement sur-vivre avec des moyens simples et peu coûteux.
Enfin, les annexes présentent d’abondantes sources bibliographiques et références professionnelles très utiles.
Au-delà du caractère très didactique de l’ouvrage, il faut féliciter l’auteur et l’éditeur pour la qualité de la maquette qui met en valeur des documents d’archives exceptionnels et des images modernes d’orthèses, aussi belles que fonctionnelles. Tout cela en fait véritablement un « beau livre », hommage à cette profession. à celle-ci maintenant de transformer l’essai et, au-delà des perspectives de recherche (robots, prothèses myoélectriques, etc.) de développer son enseignement, en concertation avec les chirurgiens orthopédistes. L’Union française des orthoprothésistes (UFOP), qui a bien structuré cette profession, ne doit pas méconnaître cet important volet.
Nul doute que ce livre trouvera un large écho chez les orthoprothésistes bien sûr, les médecins rééducateurs, les kinésithérapeutes et bien sûr les orthopédistes : en 2010 la devise de la Sofcot était « bouger c’est rester libre ». Les orthoprothésistes y contribuent largement puisque, comme le dit joliment Philippe Fourny « la prothèse qui sert à se déplacer, sert aussi à être ».