Dr Gilles Vidon
Psychiatre et ancien Chef de service aux hôpitaux de Saint-Maurice
Le numérique dans l’accompagnement thérapeutique
En France, plus de 500 000 lits médicaux ou médicosociaux sont situés dans des espaces fermés à clé où les malades sont parfois également attachés : Ehpads, Services de réanimation ou de gériatrie, MAS, Foyers, etc. Il n’y a qu’à observer dans les couloirs des Services d’urgence des hôpitaux le nombre de malades allongés sur des brancards, où ils sont maintenus par des liens et ceci pour des périodes prolongées.
En psychiatrie, il est absolument indispensable devant certains états pathologiques (agitation, violences, agressivité) de recourir à l’isolement ou à la contention : MAIS nous avons le privilège d’être stigmatisés et les seuls à bénéficier d’une loi encadrant ces pratiques ainsi que de l’attention soutenue du Contrôleur général des lieux de privation de liberté…
Éloge de la sectorisation psychiatrique
La Sectorisation psychiatrique, développée à partir des années 70 en France, constitue un territoire délimité confié à une équipe pluridisciplinaire qui va prendre en charge tous les patients de ce territoire (et ceci gratuitement !) : jeunes, vieux, toutes pathologies psychiatriques sans distinction (maladies légères ou graves, aigües ou chroniques avec ou sans trouble des conduites – agitation, agressivité ou menaces suicidaires, etc.).
Elle réalise une entité reconnue internationalement, qui a pour mérite de permettre une prise en charge complète des patients et proche de leur domicile tout en leur assurant une continuité des soins intra/extra-hospitalière – par la même équipe et sur le long terme, ce qui est absolument unique dans le monde entier – et qui convient parfaitement aux affections psychiatriques dans la mesure où l’alliance thérapeutique qui est indispensable dans ce champ nécessite du temps et des soins variés pour pouvoir s’instaurer.
Limites de la sectorisation psychiatrique
1. La grande hétérogénéité des tableaux cliniques présentés par les malades va imposer aux équipes de secteur de développer des modes de prises en charge variés avec des acteurs (AS, psychologues, ergothérapeutes, éducateurs, etc.) et des lieux de soins également bien différenciés en intra comme en extrahospitalier (équipes mobiles, cac, soutien au domicile, hospitalisations séquentielles, de jour, cattp, etc.). Or, les réductions budgétaires drastiques de ces dernières décennies ne permettent plus cette diversité pourtant indispensable dans l’offre de soins.
2. En particulier, la baisse ahurissante du nombre de lits hospitaliers de chaque secteur ayant réduit le nombre et la diversité des unités de soins, conduit à des situations ubuesques (quand elles ne sont pas dramatiques…) : un malade agité qui arrive dans le service à 3 h du matin et qui hurle ou chante et qui pénètre dans toutes les chambres… alors qu’il n’y a qu’une infirmière et une aide-soignante présentes ! Cela peut aussi bien être un malade délirant, persécuté, qui risque d’en venir aux mains à tout moment et qui arrive attaché sur le brancard de l’ambulance directement dans le service où tout le monde dort…
Il est clair que le mélange de tous les malades, de toutes les pathologies, en intrahospitalier, conduit directement à la contention ou à l’isolement par défaut de lieu approprié pour recevoir ce type de patients qu’il faut absolument isoler des autres patients dans l’attente d’un retour à un comportement à peu près adapté.
Solution proposée
1. L’isolement et/ou la contention (sur décision médicale) peuvent s’avérer nécessaires en cas de troubles du comportement ou des conduites menaçant le patient ou son entourage ; dans tous les cas, ils sont à considérer comme une étape, un moment, une transition vers, pour aider à l’émergence et créer l’alliance thérapeutique, indispensable à l’instauration des soins.
2. Seul un infime pourcentage de patients de la file active d’un secteur est concerné par ces mesures : il faut, néanmoins, construire pour eux un espace où ils pourront être accueillis lors de leurs crises aigües – pour quelques heures ou jours – dans l’intérêt de tous.
3. Une Unité d’accueil et d’urgence (UAU) de quelques lits pour chaque hôpital psychiatrique et s’adressant donc à plusieurs secteurs (intersectorialité), permettrait :
• d’isoler ces patients du reste de la population des malades hospitalisés dans chaque secteur ;
• de construire l’UAU selon un plan sécurisé, ce qui permettrait de ne pas systématiquement mettre en chambre d’isolement ces malades : un espace correctement organisé et doté de personnels expérimentés en nombre suffisant constituerait un lieu d’apaisement adapté où la contention (ou l’isolement) en chambre sécurisée n’interviendrait plus que de manière extrêmement rare ;
• Certains hôpitaux (une infime minorité) en France ont déjà constitué de telles unités qui s’avèrent pleinement satisfaisantes.
L’argument habituellement opposé à ce type de solution dérive directement de la philosophie sectorielle : on ne veut pas que « ses » malades soient accueillis par d’autres services… Or, malheureusement, aujourd’hui, compte tenu de la fermeture des lits, de l’augmentation des situations d’exclusion, de la propagation des addictions et de la paupérisation d’une partie de la société amenant à un accroissement colossal des SDF, on assiste à une forte augmentation, lors des admissions, de crises comportementales majeures : les services sectoriels étant souvent débordés, ces malades sont accueillis dans les chambres d’isolement des autres secteurs, au hasard des places disponibles… (ce qui n’empêche pas d’aller les y rencontrer dès le lendemain…).
Quelques précisions sur l’UAU
Bien entendu, l’architecture de l’UAU est à adapter en fonction des locaux existants, néanmoins, quelques prérequis s’imposent, il faudra prévoir :
• Des espaces de déambulation protégés ; un mobilier fixé au sol ; vaisselle et couverts sécurisés ; chambres pouvant être fermées mais ne l’étant pas systématiquement, etc. ;
• L’UAU devra se situer proche de la chambre de garde du médecin ;
• Le personnel présent, en nombre suffisamment important (pour pouvoir être très disponible), devra comporter des hommes ; il pourra facilement fait appel à l’équipe de sécurité de l’établissement ;
• L’intersectorialité va autoriser – éventuellement – des changements d’équipes étalés sur le temps, etc. ;
• Chaque malade continuera d’être référé à son secteur d’origine, dont les soignants pourront venir lui procurer des soins à l’UAU et décider du jour du retour dans les locaux du secteur propre…
Conclusion
Une UAU permettrait, dans nombre d’hôpitaux, de réduire considérablement les mises en CSI ou en contention des patients au moment même où l’article 84 de la loi du 14/12/20 vient encore plus compliquer les conditions de travail pour les équipes de soins. Elle réaliserait un lieu spécifique adapté aux besoins de certains malades qui y seraient accueillis dans des conditions plus confortables tout en rendant la vie plus facile aux autres malades, ainsi qu’aux équipes soignantes.