INTERVIEW
Patrice Corbin
Membre du Comité Directeur du CRAPS, Avocat et Conseiller Maître honoraire à la Cour des comptes
Peut-on concilier à la fois une prééminence originelle économique avec un inaltérable besoin de sécurité et notamment social que les peuples ne cessent de demander, est-ce pour vous une nécessité ?
La formulation de la question en termes de protection des individus est intéressante car elle évite à mon sens le piège de l’Europe sociale et du débat mal posé de : « l’Europe sociale est en retard sur l’Europe économique » : débat mal posé car on ne sait pas très bien ce qu’il faut mettre sous ce terme de l’Europe sociale. Il est à craindre qu’il ait surtout un sens pour des Français qui auraient tendance à n’y voir qu’une sorte d’extension souhaitable à l’ensemble de l’UE de leur propre système de sécurité sociale. Il faut accepter trois réalités :
• La première est qu’il n’existe pas de « modèle social européen » ; La spécificité des modes de financement retenus en matière de Protection sociale par la plupart des pays de l’UE ne suffit pas à caractériser un « modèle social européen ». Les mécanismes de protection sont le fruit de l’histoire sociale et politique de chaque pays et ont pris de ce fait des formes diverses dont on ne voit pas l’intérêt qu’il y aurait à chercher à les harmoniser d’autant que le niveau européen serait peu légitime à chercher à modifier ce que des compromis politiques ont élaboré, au fil du temps, dans chaque pays, pour construire ces systèmes de protection.
• La seconde réalité est qu’il existe, en particulier depuis l’élargissement d’importantes disparités économiques entre les 28 pays de l’Union (écart de salaire de 1 à 3) et donc de profondes disparités dans les mécanismes de Protection sociale. Les citoyens des pays fondateurs de l’UE et des Pays du Nord bénéficient d’un haut niveau de protection contre les risques de l’existence, ce qui est beaucoup moins vrai notamment pour les citoyens notamment des « Pays de l’Est ».
• La troisième réalité est que les valeurs démocratiques qui fondent l’Union Européenne ne peuvent se satisfaire durablement de ces disparités ; c’est là une question de principe. La réduction progressive des disparités dans ce domaine doit donc être une aspiration, un objectif, un horizon. Mais dans ces domaines, ce sont les états qui sont en première ligne ; il s’agit d’une compétence partagée où l’UE devrait surtout agir par l’élaboration de cadres et par la diffusion systématique d’informations.
Êtes-vous favorable à une harmonisation de la prévention pour l’ensemble des Pays de l’Union européenne, ou encore d’une obligation de vaccination commune au regard d’enjeux de santé publique identique ?
Dans le cadre de cette compétence partagée, l’harmonisation de la prévention aurait à ce stade peu de sens. En revanche l’élaboration au niveau européen d’indicateurs de santé publique pour les 28 pays (soit globaux : mortalité infantile ; espérance de vie en bonne santé… Soit par grandes pathologies…) et la diffusion régulière des résultats pour chaque pays jouerait certainement un rôle incitatif. La vaccination devrait au contraire faire l’objet d’un cadre contraignant au sens d’élaboration par chaque pays d’une politique systématique de vaccination et de définition d’un nombre minimal de vaccins quitte à ce que des financements européens accompagnent pour certains pays la mise en œuvre de ces politiques.
Pensez-vous qu’un SMIC européen différencié en fonction des capacités économiques de chaque pays, soit un tremplin pour une Europe moins inégalitaire et un rempart face au dumping social ?
L’idée d’un SMIC européen est une idée intéressante malheureusement caricaturée pendant cette campagne. Elle est une des illustrations possibles de ces actions de fixation par le niveau européen d’un cadre commun qui fixe un principe selon lequel le salaire ne peut être uniquement le fruit d’une négociation individuelle mais qu’il est aussi un « minimum » destiné à faire vivre des familles. La difficulté de mise en œuvre d’une telle mesure est de deux ordres : une difficulté politique : certains pays notamment du nord de l’Europe négocient ces minima par voies conventionnelles et ne veulent pas d’un minimum fixé par l’état ; il devrait cependant être possible d’inclure dans un texte européen ce type de mécanisme. L’autre difficulté est d’ordre pratique : à quel niveau fixer ce minimum pour tenir compte des « capacités économiques » de chaque pays. L’hypothèse d’une fixation en pourcentage (60 %) du salaire médian du pays me semble à ce stade l’idée la plus raisonnable.