Interview
Marie-Sophie Desaulle
Présidente de la FEHAP
CRAPS : Après deux mois de concertation dans le cadre du Ségur de la santé, le système de santé va-t-il vers plus d’agilité, de solidarité et de territorialité comme vous le préconisez ?
MARIE-SOPHIE DESAULLE : Les Accords du Ségur de la Santé ont été signés au mois de juillet. Certaines mesures ne sont pas encore effectives et d’autres sont transposées dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2021 (PLFSS 2021). Au moment des conclusions du Ségur, la Fédération avait alerté sur la mise à l’écart des secteurs du handicap et du domicile. Et cela n’a pas évolué pour le PLFSS 2021. Sur le secteur social et le secteur médico-social, le projet de loi manque d’ambition. La seule marque d’attention pour le secteur médico-social concerne la 5e branche, mais en réalité, il ne s’agit que d’un réceptacle de financements déjà existants. La Fédération estime qu’il faudrait 10 milliards d’euros pour revaloriser le secteur de l’accompagnement du grand-âge et qu’il aurait fallu proposer tout de suite l’affectation des 0,15 point de CSG, sans attendre 2024. Sinon, il n’y a pas de mesures nouvelles. Concernant les revalorisations salariales, la FEHAP estime que leur champ d’application est problématique puisqu’en sont exclus certains professionnels du champ médico-social. C’est le cas pour les professionnels du secteur du handicap. à titre d’exemple, cette revalorisation sectorielle crée des tensions et des problèmes de management au sein d’établissements et services médico-sociaux qui assurent, sur un même site, des activités sanitaires, pour personnes âgées et pour personnes handicapées, certains étant concernés par la revalorisation et d’autres pas. Cette perte d’attractivité risque d’entraîner une fuite des aides-soignants (AS) et des accompagnants éducatifs et sociaux (AES) vers le public, les EHPAD et les hôpitaux. Ces mouvements entre secteurs ne permettent pas de combler les manques. En conclusion, tant que les pouvoirs publics n’adopteront pas réellement une vision plus globale de la santé, il sera difficile de tendre vers un système de santé agile et territorial. Une telle vision suppose une coordination de tous les acteurs pour apporter des réponses adaptées aux besoins des personnes, sur un territoire donné. Tant que nous serons contraints dans une logique sectorielle, nous n’y arriverons pas.
CRAPS : Le modèle des ESPIC permet souplesse, simplicité, rapidité de décision et d’adaptation lorsqu’il faut réorienter une stratégie. Les hôpitaux publics devraient-ils adopter ce modèle ?
M-S.D. : La Fédération est fière de son modèle privé solidaire. En alliant droit privé et mission de service public, il offre la souplesse nécessaire au développement de la recherche et de l’innovation. Il permet également un management de proximité entre les équipes de direction et le personnel médical. Les décisions sont prises en étroite concertation avec les Commissions Médicales d’établissements (CME). Elles correspondent ainsi aux réalités quotidiennes des équipes médicales. Le mode de gouvernance des ESPIC a d’ailleurs été plus d’une fois remarqué lors des échanges du Ségur. S’il n’est pas question pour les établissements publics de santé de l’appliquer stricto sensu, le modèle privé solidaire peut toutefois être un exemple, une source d’inspiration.
CRAPS : Vous avez proposé de mettre en œuvre une organisation de la santé partant de la prévention et prenant en compte le parcours des personnes à partir de leurs domiciles. Les conclusions du Ségur à ce sujet sont-elles satisfaisantes ?
M-S.D. : Le secteur du domicile est totalement exclu du Ségur et n’est pas concerné par les revalorisations salariales. Après la crise sanitaire, ils avaient déjà été oubliés sur la prime Covid. Aujourd’hui, seuls les SIAD ont perçu la prime covid, financée par l’Assurance maladie. Pour le reste des métiers du domicile, la prime est et sera versée de façon paritaire entre l’état et les départements. Nous constatons que la moitié d’entre eux ne l’a pas fait ou est restée silencieuse. Les professionnels du domicile, accompagnent et soignent, au quotidien, des personnes âgées ou en situation de handicap, parfois en situation d’isolement. Pour ces personnes, ils constituent, bien avant le médecin généraliste, la première porte d’entrée dans le système de santé. Ils jouent donc un rôle clef en matière de prévention. Ils permettent d’éviter des hospitalisations inutiles, qui par exemple, pour les personnes âgées peuvent déboucher sur une entrée en EHPAD. Ils ne peuvent être encore écartés des réformes à venir, car ce secteur en tension est en perte d’attractivité.