PORTRAIT
Dès lors ce qui fait vibrer notre homme devient évidence : une irrépressible nécessité de payer ce qu’il considère être son dû par un engagement sans faille au profit de tous, sans aucune exclusion, à travers les thématiques sociales, plus généralement celles de la défense des valeurs de la République…

DJEAN-PAUL ORTIZ

Président de la Confédération des Syndicats de Médecins Libéraux (CSMF)

Je suis Français ! » A peine l’entretien entamé, Jean-Paul Ortiz nous assène cette affirmation pour le moins surprenante, tant nous n’avions jamais entrevu une autre éventualité… « Et je suis au plus profond de mon être, républicain. Oui pour moi Français et républicain ne peuvent être que complémentaires. Je revendique haut et fort à la fois ma nationalité et mon amour de la République française à qui je dois tant… ».

Le décor est planté ! Sans détour, avec autant de conviction que de détermination. Certes la Catalogne est là, bien présente et ne saurait être ni oubliée ni reniée – Miro et Picasso ont façonné son imaginaire, le street art son authenticité – puisque Jean-Paul Ortiz est issu de l’immigration espagnole. Par sa mère, arrivée à l’âge de 13 ans en terre bordelaise accompagnée de ses parents lors de la douloureuse guerre civile espagnole, par son père fuyant l’effroyable situation économique espagnole due à la dictature franquiste… 

Et en même temps pur produit de l’école publique française, celle pour qui l’ascenseur social n’est pas un vain mot, celle pour qui la méritocratie est érigée en dogme, celle pour qui talent et effort transcendent classe sociale et origine de toute nature. 

Dès lors ce qui fait vibrer notre homme devient évidence : une irrépressible nécessité de payer ce qu’il considère être son dû par un engagement sans faille au profit de tous, sans aucune exclusion, à travers les thématiques sociales, plus généralement celles de la défense des valeurs de la République. L’égalité bien sur qui se décline dans le cas présent par le combat pour une égalité d’accès, qu’elle soit à l’Université ou aux soins. Egalité d’accès par l’égalité des chances. Le petit fils de tailleur, le fils de tailleur qu’il est, n’oublie pas les années de labeur de ses parents, leur transmission du travail bien fait quel qu’en soit la rémunération, leur encouragement pour ne pas dire l’obsession de la réussite par le succès scolaire – « va travailler, va étudier mon petit… » leitmotiv de sa jeunesse ! – l’acharnement dont ils ont fait preuve pour s’intégrer à une République, d’abord par l’acquisition de la nationalité reçue comme un honneur, qui leur garantissait en contrepartie la perspective de jours meilleurs pour eux mais surtout dans ses années de prospérité économique, de Trente glorieuses à leurs enfants.

Et le combattant, fort de ses années de jeunesse, de s’animer. L’ascenseur social est en panne. Le renouvellement des élites est devenu un leurre. La porosité des classes sociales n’est plus qu’un souvenir… L’asphyxie de notre société est inévitable… Que serais-je devenu dans ces conditions ? « C’est par les études que tu t’en sortiras ! », est-ce encore vrai ?  « Oui, je crois en cette République généreuse, offrant à tous des perspectives illimitées. Oui, mon émotion est toujours intacte au souvenir de ma soutenance de thèse dans le prestigieux grand amphithéâtre de la Faculté de médecine de Montpellier en présence de mes parents tant pour ce qu’elle représente comme réussite d’intégration d’une famille d’immigrés, que comme volonté pour mes parents de toujours croire après de trop d’années de difficultés en la force de la vie et de modèle d’ascenseur social par l’école ! ».

L’émotion submerge alors notre interlocuteur… Après quelques instants de silence, Jean-Paul Ortiz repart à la charge. « Chez moi on vivait de peu mais ce peu on le partageait. Ma mère m’a appris à donner, à partager… L’action n’a de sens que si elle est collective ! ». Parole de rugbyman !

On comprendra dès lors que l’engagement, que le combat pour défendre les autres est une seconde nature chez Jean-Paul Ortiz. Au lycée d’abord, à la faculté de médecine ensuite… L’inégalité et son corollaire l’injustice lui sont viscéralement insupportables. L’enseignement de la médecine : une catastrophe ! Comment peut-on fonder un système qui exclut sur des critères aussi arbitraires ? Au lieu d’accompagner l’étudiant, de le tirer vers le haut, on a instauré un système faussement élitiste fondé sur une sélection aveugle aux effets collatéraux aussi dramatiques qu’absurdes. Regardons ce que font nos voisins, l’Espagne où l’étudiant est dès le premier jour mis en confiance ! Tant par nature que par réflexion je ne peux accepter pareil gâchis !

Devenir médecin, Jean-Paul Ortiz l’a décidé très tôt malgré l’avis de ses professeurs qui le voyaient tout naturellement ingénieur. Être médecin, c’est pour lui, placer l’autre au cœur de ses préoccupations, c’est se mettre au service de celui qui souffre, tant par l’écoute, par l’empathie que par l’accompagnement scientifique. Rien d’étonnant pour qui connaît ses origines ! Rien d’étonnant alors dans ces conditions de caresser le rêve de médecin généraliste, en milieu rural si possible, qui plus est en montagne !!!

Etudiant à Bordeaux puis à Montpellier, il reconnaît bien volontiers que les cours ne le passionnaient guère. Les polycopiés ont fort heureusement suppléé ces heures rébarbatives ! L’hôpital par contre le passionnait. à la surprise de tout le personnel soignant, il passait la plupart de son temps – samedi, dimanche compris – à se faire expliquer les actes quotidiens dispensés : injections, …

Et puis, de ses propres dires, Jean-Paul Ortiz a mal tourné ! Il est devenu par le hasard des circonstances, en l‘occurrence un stage d’internat, néphrologue. Et de se justifier ! « Ce qui m’a plu dans la néphrologie, c’est ce côté technique très performant, complexe, intellectuellement très satisfaisant qui n’occulte en rien le suivi, l’accompagnement au long cours du patient. En effet, un insuffisant rénal, non seulement doit être suivi sa vie durant mais sa descendance bien souvent aussi ! à aucun moment le lien humain n’est distendu par la dimension technique ». Médecine de performance et d’innovation, médecine d’humanisme et d’empathie… Dis-moi quel métier tu exerces, je te dirai qui tu es !

Après quatre années d’hôpital public au cours desquelles Jean-Paul Ortiz se heurte à la bureaucratie et plus généralement à l’administration hospitalière, l’Homme d’action qu’il est, s’échappe de cet univers pour créer la néphrologie libérale dans le département des Pyrénées-Orientales. Alors, se succéderont toute une série d’initiatives au profit du patient : centre de dialyse puis service d’hospitalisation de néphrologie, puis dialyse hors centre avec de l’auto dialyse, le tout en libéral ! Travail avec le CHU pour les transplantations mais aussi maillage territorial à travers quatre unités d’auto dialyse périphériques, dialyse à domicile… Pas étonnant que le centre de Jean-Paul Ortiz soit reconnu validant pour accueillir des internes en néphrologie. Pas étonnant, par ailleurs, qu’il ait créé un secteur d’éducation thérapeutique dans une clinique privée ! Nul doute, du montagnard il en a la détermination, la soif des sommets, le dépassement de soi !

L’engagement syndical pour Jean-Paul Ortiz ne s’explique pas, il va de soi. Par nature, par tempérament, par éducation… 

Déjà au lycée… Puis étudiant : doyen de l’internat, Président national des internes. Une fois installé, de simple adhérent au syndicat des néphrologues, le voilà propulsé Président national des néphrologues ! Force de conviction, foi en l’action collective, attachement viscéral aux valeurs sous-tendu par un syndicalisme authentique… Une façon d’être ! Bien plus : une exigence de soi au service des autres. 

Montagnard, chasseur à l’isard, cette chasse dont la patience est l’essence même – trouver le gibier est déjà un exploit ! -, la détermination, l’intégration du temps sont une colonne vertébrale chez notre interlocuteur. Battu en 2010 à la présidence de l’UMESPE, bien que secrétaire général en fonction, après un moment de doute bien légitime – toute raison de croire n’est-elle pas une raison de douter ? – il est élu en 2014 avec 75 % des voix – excusez du peu ! – à la présidence de la CSMF.

Alors comme tout homme d’action, la seule question qui vaille vient immédiatement à l’esprit de Jean-Paul Ortiz. Des mandats oui, mais pour qu’en faire ? Plus de choses que ne pourrait en faire un seul homme…

D’abord redéfinir le rôle du médecin. Dans une société en pleine mutation, le médecin de famille, celui décrit par les Balzac et autres Flaubert dont le profil s’est maintenu jusqu’à récemment, que chacun a connu ou connaît encore, va très vite et définitivement disparaître. La société des trente-cinq heures aura eu sa peau. A chaque clocher, son médecin fait désormais partie du passé. Le temps de travail du médecin ne sera plus de 70 heures hebdomadaires, il n’est déjà plus que de 56 heures et diminuera progressivement. Le jeune médecin, homme ou femme, hésite à s’installer en libéral, souhaitant équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Va donc apparaître un nouveau type de médecin, un nomade, déconnecté de son lieu de résidence, au statut mixte, travaillant en équipe, un peu à l’hôpital, un peu en ville qui régulera son temps de travail au gré de sa vie personnelle, avec l’arrivée ou le départ d’enfants par exemple… Est-ce un progrès, est-ce bien ou une régression? Les médecins seront plus polyvalents, plus ouverts, plus ancrés dans une vision transversale de la vie…

Alors, le syndicaliste reprend le pas sur le conjoncturiste ! Pour mettre en garde sa propre profession. C’est au médecin de réfléchir aux nouvelles formes d’organisation de la profession et de déplorer dans la foulée que sous couvert d’une surcharge de travail, la réflexion ne soit pas assez partagée. Le danger est là : à défaut de propositions issues de la profession, les politiques décideront et il est fort à parier que le médecin et le patient ne soient les perdants de l’opération ! De toute évidence, chaque élu n’aura pas sa maison de santé, c’est pourquoi il convient d’appréhender d’une façon globale, transversale cette question qui va remodeler le paysage dans les vingt prochaines années !

Ensuite, le paiement à l’acte, pilier du statut de la médecine libérale. Certes s’il génère trop souvent la course à sa multiplicité, il est néanmoins sui generis porteur d’efficacité. Il faut donc trouver là encore le bon équilibre avec le paiement forfaitisé qui s’est sensiblement développé ces dernières années. Sans avoir une position arrêtée en termes de chiffrage, de niveau d’équilibre, une chose est certaine, le paiement à l’acte doit constituer la part la plus importante du chiffre d’affaires du médecin sans quoi, la qualité et l’accès aux soins en pâtiront.  

La direction est tracée, l’objectif est clair, l’action comme toujours indispensable ! Gageons que Jean-Paul Ortiz devra encore attendre très longtemps pour reprendre ses lectures nocturnes des classiques, alors enfant, une lampe de poche à la main, désobéissant à sa mère chérie lui intimant l’ordre de dormir !