Jean-Paul Ségade
PRÉSIDENT DU CRAPS
&
Dominique Buronfosse
ANCIEN PCME
VICE-PRÉSIDENT DE CTS
De réformes de la santé en réformes de l’hôpital, de lois hospitalières aux lois de santé l’acteur de base du système de santé ne se retrouve plus dans ces multiples réformes qui l’éloignent de la décision de terrain.
Deux exemples au hasard :
• Dans votre hôpital posez-vous la question, combien de lignes hiérarchiques entre un infirmier diplômé d’État (IDE) qui a un projet innovant et la direction, on compte : le cadre infirmier du service, le cadre infirmier du pôle, le directeur administratif du pôle, le directeur des soins et si vous êtes en CHU le directeur adjoint de l’établissement où se situe le service, la commission des soins infirmiers… saut d’obstacles ;
• Histoire vécue : un chirurgien demande à la direction des services économiques de disposer de sabots chirurgicaux neufs : réponse du cadre concerné : Monsieur le professeur nous prenons note de votre demande, je fais partir dans la semaine une enquête auprès des blocs du CHU en lien avec les cadres concernés afin de déterminer le niveau des besoins et dans le cadre d’un appel d’offres prochain nous incorporerons votre demande dans une démarche plus globale… et cerise à la clé acceptez vous de participer à un groupe de travail transversal sur ce besoin pour mieux le définir ?
Cette problématique de la gouvernance prend ses racines dans quatre mouvements profonds de la décision publique en France :
• La politique des conseils ou « comment ne pas décider » : l’éternelle hésitation entre le pouvoir d’un patron et la polysynodie. À l’hôpital entre le conseil de pôle, le directoire, le Conseil d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), la Commission Médicale d’Établissement (CME), le Comité de Lutte contre les Infections Nosocomiales (CLIN), le Comité Technique d’Établissement (CTE), où la décision est elle prise ?… Avec le GHT, on rajoute un échelon multiplié par les instances propres ;
• Les difficultés de préciser qui fait quoi, à l’exemple des rapports entre la CNAM et le ministère de la Santé, entre les services du ministère de la Santé, du Budget, l’Institut National du Cancer (INCA), la CNAM, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM), l’Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie (URCAM), l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP), la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA)… qui prétende gérer la santé, qui décide ?
• La propension à vouloir tout gérer dans un cadre unique avec des textes uniformes entre l’AP-HP et les petits CH sur la base d’un principe égalitaire
posé en dogme ne favorisant pas l’adaptation de la gouvernance aux réalités de terrain ainsi qu’aux Hommes. L’égalité des droits n’implique pas l’uniformité des règles ;
• Le dernier est l’oubli des acteurs de terrain au profit d’échelons supplémentaires qui au nom d’une meilleure transversalité ou d’une prétendue économie d’échelle globalisent le problème et empêchent les acteurs de terrain de gérer à leur niveau. Com- bien a-t-on créé de postes de cadres supplémentaires dans les hôpitaux ? A-t-on évalué leur rapport coût/efficacité ?
Les réformes pourtant nécessaires ne font qu’alourdir les process. Deux exemples :
• La création des pôles a créé un échelon supplémentaire qui se traduit par un éloignement de la décision et le risque est grand de voir les acteurs se retirer du processus de décision et de devenir passifs dans un process qui les ignore ;
• La création des GHT conduit une multiplication des instances et des réunions qui éloignent les vrais acteurs du terrain et laissent la décision aux spécialistes de la réunionite plus qu’aux vrais cliniciens.
Dans ce contexte, le risque est grand qu’à l’exemple de « l’huître et les plaideurs » de Jean de la Fontaine une autorité vienne confisquer le débat à son profit. En l’espèce, il s’agira de la technostructure qui selon l’auteur tirera le sac et les quilles. Cette technostructure est à la fois administrative, technique médicale et soignante par le jeu des corporatismes et la volonté de tout contrôler. Cela touche autant le volet national que local. La réaction récente du Sénat de rejeter le projet de loi sur la Sécurité sociale traduit cette évolution technocratique d’un débat qui échappe au Parlement au profit du dialogue confisqué entre la CNAM et les ministères de la Santé et Bercy. Dans les hôpitaux combien de médecins et soignants ne comprennent plus que toutes les initiatives passent par le filtre des commissions et intermédiaires. Quand en 1984 la création des budgets de service est proposée, quand la délégation de gestion est prévue par les textes de la loi HPST la réforme n’aboutit pas du fait du double réflexe de la peur de la décentralisation et d’une idée jacobine qu’eux savent. Dans toute organisation complexe la vérité se trouve dans l’interdisciplinarité et non dans la formule magique du savant ou d’Alexandre dans le nœud gordien. Dans les revendications actuelles d’une nouvelle gouvernance les soignants de terrain demandent plus de reconnaissance mais aussi de liberté. Pour cela trois propositions :
• Imposer le principe de subsidiarité en appliquant la maxime « on ne gère bien que de près ». Un exemple décentraliser par pôle l’achat de biens inferieurs à un seuil fixé dans la délégation. Pourquoi pas un droit de tirage spécial pour chaque pôle ?
• Modifier les règles des marchés publics pour décentraliser la gestion ;
• Faire confiance aux acteurs et évaluer et non faire à leur place. Responsabiliser pour mieux intéresser.