LES EXEMPLES CITÉS CONFIRMENT QUE LA COMMUNICATION EST DIFFICILE AU SEIN DE L’HÔPITAL, QUE LES JEUX DE POUVOIRS OCCULTENT LES VALEURS PHARES QUE DEVRAIENT ÊTRE LA BIENTRAITANCE ET LE RESPECT MUTUEL…

Dr Jean-Marc Le Gac 

PRATICIEN HOSPITALIER

7h30 : J’ai vu ce slogan affiché sur la voile d’un voilier de course qui quitte la base nautique tôt ce matin avant de regagner le large, alors que je longe le bras de mer qui mène à mon hôpital. À son bord des navigateurs de tous âges, certains aguerris, d’autres ne connaissant pas la mer, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, des handicapés, des valides. Cela fait plusieurs années que cette expérience de la team « Jolokia » existe. Chaque année le skipper renouvelle plus de soixante pour cent de l’équipage. Ils gagnent des régates malgré leurs différences.

Je suis médecin hospitalier depuis toujours, je l’ai choisi. J’ai passé vingt cinq années aux urgences, et devant les files de brancards qui s’accentuaient sans cesse au cours des années sans lits d’aval, malgré toutes les organisations tentées et audits je suis parti. Chef de service, vice président de commission médicale d’établissement, j’ai tout quitté. J’ai en quelque sorte fui ce service au sommet de mon expérience, un peu la mort dans l’âme mais conscient que la qualité des soins que je délivrais était altérée par une lassitude liée à mon mal-être. Je travaille maintenant en orthopédie à temps partiel et je suis coordinateur médical au centre de formation en simulation.

8h30 : J’arrive dans le service et je découvre une jeune stagiaire. Elle est élève directeur. Elle essaye de se fondre parmi les soignants. Le chef de service qui arrive pour faire la visite ne lui adresse même pas la parole. Je vais échanger un moment avec elle entre deux malades.

« Je fais mon stage hospitalier après être entrée à l’École des Hautes Études en Santé Publique. J’y ai été deux mois et maintenant je vais tourner dans les services. C’est bizarre quand j’y suis arrivée, je voyais les soignants regarder mon badge et se détourner sans m’adresser la parole. Il était écrit dessus « élève directeur ». Depuis j’ai tendance à le cacher. C’est étonnant l’organisation des services de soins, les gens se parlent.

Au début de mon stage j’étais dans les bureaux des directeurs au rez-de-chaussée, je me demande maintenant pourquoi ils ne sont pas répartis dans les étages, près des soins ».

12h45 : Je suis au self, alors que je choisis mon dessert, je croise du regard le jeune directeur des affaires médicales. Ostensiblement je le vois détourner le sien. J’allais pourtant le saluer. Est-ce qu’il est ennuyé car il ne répond pas à mes courriels de relance sur le projet de formation en télémédecine ?

Lors de notre dernier entretien il y a un mois, il m’avait tout de suite stoppé : « vous avez beaucoup d’idées docteur, il va falloir vous organiser un peu, envoyez moi un « pitch » et on reverra tout cela ». J’ai renvoyé le projet dès le lendemain. Il ne devait sans doute pas savoir que j’en avais mené beaucoup dans le service, avant qu’il n’arrive à l’hôpital. Il regagne la table des directeurs où ils mangent tous ensemble, je regagne celles des « chir ortho » avec qui je travaille.

19h30 : Je discute avec un de mes fils au téléphone. Il est externe en médecine en quatrième année dans le CHU proche. Il a changé de stage il y a une semaine et il me raconte sa journée à l’hôpital, sa déception. Comme son frère aîné qui est en dernière année d’internat de médecine générale il me déclare que jamais il ne travaillera à l’hôpital comme moi : « c’est trop nul les services, il y a une mauvaise ambiance, tout le monde se plaint et le chef râle tout le temps sur la direction ».

Cette chronique de la vie ordinaire dans un hôpital public de 2300 lits regroupés sur 5 sites, motive la réflexion de cette contribution. Des rapports existent sur la qualité de vie au travail, sur la nécessité d’un sens commun. Les exemples cités confirment que la communication est difficile au sein de l’hôpital, que les jeux de pouvoirs occultent les valeurs phares que devraient être la bientraitance et le respect mutuel. Celles-ci sont nécessaires pour la mission première qui devrait être de soigner les patients qui s’y adressent, et cela avec empathie.

Il existe évidemment, tout comme sur le voilier Jolokia, des talents pluri professionnels dans une structure hospitalière de cette taille. Comment pouvoir se libérer des seules contraintes extérieures en répondant déjà à celles internes ?

Parler de l’autre, s’y intéresser, permet de dire pourquoi l’on fait les choses, et ainsi suivre plus facilement un cap commun pour les faire.

APPRENDRE À SE CONNAÎTRE, NE PAS RÉDUIRE LA FONCTION DE CHACUN À UNE SIMPLE CASE DANS UN PLANNING, OU À UN TITRE DE DIRECTEUR, EST UNE PISTE POUR CRÉER CETTE FORCE DE LA DIFFÉRENCE…

Les méthodes d’enseignement moderne, la gestion des risques et des crises, comme celles que l’hôpital traverse, sont des pistes qu’il est urgent de mettre en place, pour redonner aux étudiants, médecins, soignants ou gestionnaires, un horizon et des perspectives motivantes.

La simulation en santé est un levier possible. Il met en situation des professionnels autour d’un scénario préétabli. À l’issue
de la séance, il est procédé à un débriefing avec tous les personnels impli- qués. Ce n’est pas tant des capacités techniques qu’il est débattu, que des facteurs humains qui y ont été déployés. Parler de l’autre, s’intéresser à son processus de pensée, à ses ressentis, les comprendre, cerner son positionnement au sein du groupe sont les points clefs. En résumé, comment l’aider à s’y sentir mieux, est la finalité prioritaire de ces exercices.

Ces séances de simulation s’intègrent de plus en plus comme un outil pour la gestion des risques. Il est usuel au sein des hôpitaux de relire les évènements indésirables qui tournent autour de soins, beaucoup moins souvent pour ce qui concerne la gestion des ressources humaines et la gouvernance. Un chef de pôle ou un directeur démissionne, il faut alors en trouver un autre, mais personne ne s’interroge sur cet épisode qui grève la dynamique des services et impacte les personnels et indirectement les soins en installant de la défiance de chaque côté de deux rives qui n’ont pas lieu d’être : les administratifs et les soignants…

Apprendre à se connaître, ne pas réduire la fonction de chacun à une simple case dans un planning, ou à un titre de directeur, est une piste pour créer cette force de la différence.

Les études de médecine sont longues et souvent bien décalées des fonctions hospitalières de gouvernance qui pourront incomber aux futurs médecins. Celles des directeurs sont très souvent gérées par la voie exclusive de l’École des Hautes Etudes de Santé Publique, avec très peu de contact direct avec les soignants hormis un court stage.

La mixité pourrait commencer là, lors de l’apprentissage. Il serait tout à fait bénéfique que les internes, dans leur cursus, croisent celui des élèves directeurs. La simulation pourrait être un support particulièrement pertinent. Organiser des séances communes lors de stages hospitaliers, animées par des équipes mixtes de directeurs et médecins favorisera une culture d’entreprise partagée.

Les thèmes et scénarios à aborder ne manquent pas.

De plus par la suite, au quotidien, toute difficulté ressentie dans la gestion humaine, doit faire l’objet d’une analyse au même titre que d’autres événements indésirables hospitaliers. C’est autour de retours d’expérience et encore de leur modélisation en simulation, qu’il sera possible d’obtenir une culture d’entreprise commune, sortir de la défiance habituelle entre clans, pour se tourner vers la confiance et le respect mutuel afin de faire de nos différences une force.