Pr Samir Henni
Chef de pôle médecine vasculaire au CHU d’Angers
La finalité de la recherche, qu’elle soit clinique ou préclinique, doit être orientée vers le patient. Au service de cette finalité, au moins deux objectifs majeurs : d’une part, l’amélioration des connaissances des mécanismes physiopathologiques des maladies ou de leurs retentissements, et d’autre part, le développement de nouvelles approches diagnostiques et/ou thérapeutiques, ou encore l’investigation de celles qui existent déjà. Il existe des fondements communs influençant la fixation de ces objectifs : le patient est acteur de sa santé, il souhaite que la communauté des acteurs de la santé se mobilise pour répondre à sa demande légitime – être soigné – et que des recherches soient entreprises sur ses pathologies et leurs traitements. Il contribue au financement des travaux de recherche d’une manière directe et indirecte. Il est celui qui souffre et celui, selon le modèle social français, qui les finance par ses cotisations et selon sa capacité contributive. À ce titre, le patient a des attentes fortes pour faire cesser sa souffrance sur le court, ou plus long terme parfois.
Cette finalité ne s’impose pas de manière différente entre les patients pris en charge en milieu hospitalier ou non, ni même entre patients pris en charge en secteur privé ou en secteur public, ni entre patients des grands centres urbains ou des zones à faible densité de population ni entre recherche industrielle ou académique. Il ne doit pas exister de recherche dite « noble » préclinique versus clinique, médicale versus paramédicale, médicamenteuse versus non-médicamenteuse, diagnostique versus thérapeutique. Il n’existe pas une recherche qui fait les plus belles carrières personnelles et une autre qui ne fait que recruter les patients.
Le patient, financeur, décideur, contrôleur, client, nous demande d’être efficaces. Il est patient (du point de vue de sa santé) et impatient (du point de vue sociologique). Il fait confiance au système de soin jusqu’à l’acceptation de se mettre en danger au prix du ratio bénéfice risque. Sans oublier les citoyens, dits volontaires sains, qui participent aux protocoles de recherches.
Qui sont les acteurs de la recherche en santé ? Quel est le positionnement des CHU ?
Selon le CNCR, la répartition des essais cliniques en France en matière de promotion et d’investigation de la recherche biomédicale se répartit de la manière suivante : d’abord 58,37 % par les établissements de santé, CH, CHU, CRLCC, Cliniques (dont 82,45 % par les CHU), ensuite 35,25 % par les industriels et enfin 8,38 % par les EPST (période 2008/2017).
En matière de production et d’impacts scientifiques, les études promues par les CHU génèrent 60 % de publications de rangs A ou B selon la classification SIGAPS (période 2015/2017).
La classification SIGAPS de A à F évalue l’impact des publications au niveau international. Cette indexation des revues emporte des conséquences sur la visibilité, notamment des axes de recherches des CHU. La contribution des CHU représente plus de 17 % de l’ensemble des articles publiés par la recherche française toutes disciplines confondues : medical and health sciences, natural sciences, engineering and technology, socialsciences, agricultural sciences, humanities.
Les moyens de diffusion de l’information scientifique se sont considérablement élargis et diversifiés augmentant ainsi le nombre global d’articles scientifiques sans nécessairement en garantir la qualité. C’est donc bien tout l’enjeu du SIGAPS que de garder une estimation qualitative des études françaises.
La part de production scientifique des CHU dans le top 10 % au niveau international (toutes disciplines confondues) passe de 14 % en 2006-2010 à 16,9 % en 2011-2016, signe que la production d’articles très cités évolue plus vite que la simple augmentation du volume de production scientifique.
Par ailleurs, les CHU portent également la complémentarité en matière de partenariat avec les chercheurs des EPST. L’évolution de la production commune d’articles scientifiques est supérieure à l’évolution de la production propre de chaque partenaire, selon le CNCR. La coproduction scientifique CHU-Inserm a doublé en 10 ans (2006/2015) et a été multipliée par 2,5 en 10 ans pour la collaboration CHU-CNRS. À noter que les unités Inserm comptent 23 % de praticiens hospitaliers et hospitalo-universitaires dans leurs effectifs.
L’ensemble de ces indicateurs prouve la très bonne dynamique de la recherche française notamment via les CHU et non pas qu’en recherche clinique. On constate, par ailleurs, une augmentation des inclusions par an pour les études non financées par la DGOS (2008/2017), témoignant en partie d’une évolution de l’attractivité de nos centres pour les industriels, mais aussi d’une tendance à la baisse des financements publics et/ou un ralentissement des inclusions académiques au profit des inclusions industrielles.
Quelles sont les évolutions possibles en termes de pilotage ?
En matière d’évolution des stratégies de gouvernance de la recherche, pour être au plus près des acteurs de la recherche et des patients, il nous reste à :
• Aligner la recherche sur le modèle de l’offre de soin territoriale ; soyons au plus près des patients, décidons d’une stratégie commune avec les CPTS et les GHT. Des DRCI de territoire, ouvertes aux libéraux, ayant des processus adaptés aux différentes situations de recherche, des études plus ouvertes, des disciplines plus représentées.
• Poursuivre la décentralisation, de la DGOS vers les GIRCI ? Un renforcement des DRCI, pourquoi pas des DRCI régionales avec un co-pilotage ARS-DG-PCME, ou au moins dans un premier temps, des DRCI de GHT, ou encore inter GHT sur le périmètre de la subdivision universitaire.
• Renforcer l’interface entre la CNAM et les CHU, quel que soit l’échelon géographique. Une décentralisation territoriale de l’INDS pour permettre aux acteurs de territoire de solliciter l’émergence de projets de recherches prenant en compte les spécificités de territoires et de réseaux d’expertises, avec les GIRCI par exemple dans un premier temps.
• Demander à toutes les gouvernances nationales, régionales et locales de faire confiance aux chercheurs afin que les acteurs du monde hospitalier et hospitalo-universitaire continuent à porter la recherche clinique.
• Valoriser davantage le savoir-faire de nos DRCI, tout en affirmant cette orientation patient centrée. La réponse aux besoins du patient n’est pas que médicale ou paramédicale, nombreux sont les acteurs des DRCI qui œuvrent pour permettre un écosystème favorable.
La recherche clinique ne doit pas être l’otage de considérations de jeu d’acteurs (préclinique versus clinique), pire, d’objectifs personnels de carrières. La recherche a pour objectif de répondre à un besoin légitime des patients, qui souhaitent avoir des résultats à la hauteur de leurs engagements moraux, corporels et financiers. Les chercheurs hospitaliers praticiens, paramédicaux, universitaires souhaitent que nos institutions soient en phase avec la place des établissements de santé (notamment les CHU) comme leaders en recherche clinique.
Consolidons nos partenariats mais arrêtons de faire collectivement de la « Recherche clinique bashing ». Soyons fiers de nos acquis, tournons-nous davantage vers les attentes des patients, travaillons pour un maillage territorial de proximité, ne nous cachons pas derrière les Health Data Hub. Ayons comme ambition de placer le patient au cœur des politiques stratégiques de recherche. Chercher pour mieux comprendre ? Oui, mais pour mieux prévenir, dépister, diagnostiquer, améliorer le quotidien, soigner, soulager et accompagner.