Interview
Pr Lionel Collet
Président de la HAS
1.Vous êtes depuis quelques mois à la tête de la Haute Autorité de santé (HAS), pour un mandat de 6 ans. Quels sont les grands travaux que vous souhaitez entreprendre durant celui-ci ?
La Haute Autorité de Santé (HAS) a une mission singulière dans le paysage des organismes publics d’expertise en santé puisqu’elle a pour mission d’expertiser la qualité du système de santé et qu’elle a été créée à des fins de régulation de ce système par la qualité et l’efficience. C’est une autorité publique indépendante, caractérisée par son indépendance, sa transparence et sa rigueur scientifique, sur laquelle repose l’ensemble de ses avis et décisions. La Haute Autorité de santé a donc pour mission d’évaluer les produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux…) à des fins de régulation, de faire des recommandations de bonnes pratiques professionnelles dans le domaine sanitaire, social et médico-social, de certifier les établissements de santé et d’évaluer les établissements sociaux et médico-sociaux.
Mes objectifs sont très clairs. Je souhaite garantir la qualité, la rigueur scientifique des expertises et répondre à des attentes sociétales qui portent notamment sur la réduction des délais d’évaluation des produits de santé en vue de leur remboursement. L’innovation thérapeutique est en plein essor, avec une augmentation significative du nombre de traitements disponibles. Cependant, l’introduction de ces innovations sur le marché dépend d’une évaluation approfondie devant tenir compte du niveau de risque pour les patients et de l’évaluation de la qualité, l’efficacité et l’efficience des médicaments et traitements.
Nous savons par ailleurs que la place de l’intelligence artificielle (IA) et des outils numériques dans le champ de la santé occupent une place de plus en plus centrale. La HAS est très investie dans le secteur de la e-santé et l’essor croissant des nouvelles technologies implique de pouvoir rendre des avis sur la qualité et la sécurité des outils pouvant modifier les organisations. Nous souhaitons aller encore plus loin en interrogeant la place que pourrait occuper l’intelligence artificielle dans le fonctionnement de la HAS, et plus singulièrement sur ce qui, dans nos travaux, pourrait relever de l’IA. Nous souhaitons également interroger la place de la santé et de l’environnement dans nos évaluations. En effet, lorsque nous évaluons un médicament ou un dispositif médical, nous devons nous questionner sur son devenir une fois qu’il n’a plus d’utilité. La feuille de route « santé et environnement » de la HAS qui vient d’être publiée ouvrira ainsi la voie à de nouveaux critères d’évaluation de nos produits en ajoutant des critères d’ordre environnemental.
Enfin, le troisième chantier que je souhaiterais voir évoluer concerne la place de la HAS au niveau européen et international. Un règlement européen de 2021 qui entrera en application en 2025 va modifier l’instruction des demandes d’évaluation des produits de santé. Aujourd’hui, chaque industriel disposant d’un médicament doit demander à chaque pays de l’Union européenne de l’évaluer. L’entrée en application de ce règlement va changer la donne puisque l’évaluation sera désormais commune. Chaque pays devra bien sûr continuer à apprécier les produits étant donné que la santé n’est pas une compétence européenne, mais l’instruction sera partagée. Cela signifie plus globalement que la HAS, sera davantage sollicitée.
Il me paraît essentiel que la France soit plus présente dans l’élaboration des procédures et des méthodes de l’évaluation clinique commune. La loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a en outre permis à la HAS d’entreprendre des actions de coopération internationale. C’est une très bonne chose. La HAS doit faire connaître ses méthodes, les promouvoir et encourager d’autres pays à les adopter. Son modèle est d’ailleurs reconnu, qu’il s’agisse de son référentiel, son organisation et sa formation des experts-visiteurs. A cet égard, son positionnement au niveau international et européen doit être renforcé. L’expertise de la qualité ne peut pas se limiter aux frontières de notre pays ou de l’Europe.
2. L’évaluation de la qualité des soins et plus largement de notre système de santé est une nécessité. Quelles sont les priorités de la HAS en la matière ?
Si nous raisonnons en matière de qualité des soins, nous sommes bien au-delà du champ sanitaire, puisque nous évaluons également l’accompagnement des personnes dans le secteur social et médico-social faisant ainsi écho à la définition de la santé donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui l’appréhende comme un état complet de bien-être physique, mental et social. Nous ne sommes donc pas simplement dans une logique d’évaluation du soin, mais dans une logique de parcours de santé dans nos évaluations. Nos recommandations se fondent par conséquent sur des parcours comme c’est le cas par exemple de notre dernière recommandation visant à optimiser le parcours de santé des personnes atteintes d’épilepsie en France et plus globalement sur tout ce qui relève des dispositifs d’amélioration de la qualité. Nous devons avoir une vision très globale allant du soin au social et au médico-social.
3. Certaines inquiétudes sur le déficit de moyens et de ressources auquel est confrontée la HAS ont été formulées. Quel est votre regard sur le sujet ? A-t-elle encore les moyens d’exercer ses missions ?
En matière de moyens financiers, la HAS a une particularité puisque ces derniers proviennent pour l’essentiel de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS). Cette année, il y a eu dans le Projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) un re-basage nous permettant d’assurer nos missions, mais nous devons prendre des mesures interne au regard de la baisse de budget que nous connaissons. Il est donc indispensable que la dotation prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale soit augmentée. Outre la question du budget, nous avons un déficit de moyens humains. Le plafond d’emplois dont nous disposons s’avère insuffisant même si cette année le Projet de Loi de Finances (PLF) prévoit une augmentation puisque 5 équivalents temps plein ont été ajoutés. C’est un bon début, mais il est crucial que cette dynamique se poursuive les prochaines années.
Nous allons dans la bonne direction, mais nous ne disposons pas encore de tous les moyens nécessaires. Pour rappel, lors de la création de la HAS en 2004, seul un article de loi dans le code de la sécurité sociale définissait ses missions. Cet article en est aujourd’hui à sa trentième version, principalement en raison de l’attribution de nouvelles missions. Missions qui sont donc de plus en plus nombreuses, mais avec des moyens qui n’ont pas nécessairement été ajustés. Ces ajouts successifs révèlent l’attente des pouvoirs publics et c’est très positif. Toutefois, si la HAS en tant que garante de la qualité de système de soins et de santé en général a le devoir de promouvoir un haut niveau de qualité, le manque de moyens pourrait conduire à une dégradation de son activité.
4. Les sociétés savantes ont vocation à faire progresser l’état de la connaissance et à diffuser l’information, notamment scientifique. Comment les associer de façon pertinente à la conduite des travaux de la HAS ?
Les recommandations de bonnes pratiques sont aujourd’hui élaborées par la HAS ou par les sociétés savantes. Je considère que les sujets soumis à fortes controverses doivent rester l’apanage de la HAS du fait de l’indépendance des experts et du contrôle très strict des conflits et liens d’intérêts. S’il s’agit d’un sujet d’importance ne faisant pas l’objet de controverses, les sociétés savantes peuvent s’en saisir. Si le sujet n’est pas soumis à controverses mais pourrait le devenir, nous pourrions fonctionner dans une logique de partenariat. Je suis convaincu qu’il est nécessaire que les recommandations se multiplient. Cela pourrait se concrétiser en déléguant aux sociétés savantes des travaux labellisés par la HAS sous réserve que ces instances respectent un cahier des charges très strict en matière de liens et de conflits d’intérêts.
En clair, l’idée est de travailler de concert avec les sociétés savantes pour que leurs recommandations répondent aux critères d’exigence de la HAS sur le plan notamment de l’indépendance et qu’elles soient in fine labellisées par la HAS. Je vois cette possibilité avec un grand intérêt à la fois en termes de qualité, d’augmentation du nombre de recommandations et de simplification pour les professionnels qui ne verront ainsi qu’une seule recommandation validée et labellisée et non plusieurs recommandations conduisant parfois à une complexité préjudiciable. Je considère plus globalement que développer le dialogue et les partenariats avec les acteurs présents dans l’écosystème naturel de la HAS – dont les sociétés savantes – est indispensable. Indépendance ne veut pas dire absence de dialogue !
5. Quelle est la stratégie de la HAS pour répondre aux défis imposés par l’essor très rapide de l’intelligence artificielle et des avancées technologiques notamment dans le secteur de la santé ?
Il faut tout d’abord rappeler que nous évaluons ce que les lois et les règlements prévoient que nous évaluons. Nous n’évaluons par exemple pas les dispositifs médicaux, les objets connectés ou les solutions d’IA à usage exclusif des professionnels de santé. Toutefois, ce n’est pas parce que nous ne l’évaluons pas que cela ne nous intéresse pas. Nous avons d’ailleurs proposé il y a quelques mois un guide d’aide au choix des dispositifs médicaux numériques à usage des professionnels de santé. Ce guide a vocation à éclairer le praticien sur la manière de choisir des logiciels d’aide au diagnostic ou à la prescription pour éviter des erreurs médicamenteuses. Nous sommes donc présents sur ce champ, mais nous ne sommes pas tenus de l’évaluer.
En ce qui concerne les dispositifs médicaux numériques, une disposition légale prévoit entre autres la prise en charge anticipée d’un dispositif médical numérique (PECAN). Nous le faisons, notamment en oncologie, et nous avons mis en place une technique d’évaluation. Il a également été prévu par la loi que nous devions évaluer les dispositifs de télésurveillance, ce que nous faisons actuellement. En résumé, la HAS met en œuvre les missions prévues par les textes législatifs et réglementaires tout en étant opérationnelle sur les évolutions relatives aux outils numériques, et à l’IA en santé. La véritable difficulté étant que ce domaine connaît un essor rapide et que les dossiers à évaluer seront de plus en plus nombreux, nous devrons donc être en mesure de les traiter et donc d’avoir suffisamment de moyens.
6. L’accès précoce aux médicaments innovants est accordé par la HAS depuis le 1er juillet 2021, après avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Quel est le bilan aujourd’hui ?
Le bilan du nouveau mécanisme d’autorisation d’accès précoce, deux ans après sa mise en œuvre est très positif puisque 80 % des médicaments soumis à ce dispositif ont reçu un avis précoce. Au total, plus de 100 000 personnes en situation d’impasse thérapeutique ont pu bénéficier de ces traitements. Ces demandes concernent principalement des médicaments présumés innovants qui répondent à des besoins thérapeutiques non couverts, destinés à des patients atteints de maladies graves, rares ou invalidantes, dont le traitement ne peut être différé. Ce dispositif d’autorisation d’accès précoce est de plus en plus sollicité par les industriels comme en témoignent les plus de 250 demandes déposées en 2 ans et le nombre de dossiers en augmentation chaque trimestre. J’espère que ce sera également le cas des sociétés savantes et des associations de patients. Je tiens par ailleurs à souligner que nous arrivons à respecter, malgré un laps de temps court, le délai d’instruction réglementaire des dossiers fixé à 90 jours.
7. L’information, notamment scientifique, n’a jamais circulé aussi librement. Toutefois, il est souvent compliqué d’avoir accès à des informations fiables. A cet égard, la HAS peut-elle jouer un rôle dans l’éducation scientifique des citoyens ?
La HAS travaille aux côtés des pouvoirs publics dont elle éclaire la décision au bénéfice des usagers et des patients dont elle renforce la capacité à faire des choix. Elle a en effet vocation à aider les citoyens à rechercher une information scientifiquement validée par des données probantes et par des experts exempts de tout lien ou conflit d’intérêt, sur un vaccin, un dispositif médical ou une prise en charge par exemple. La HAS, en promouvant les bonnes pratiques et le bon usage des soins, participe à l’information du grand public et à améliorer la qualité de l’information médicale.
Un dernier mot ?
Le nom de la HAS est généralement assez connu, mais son rôle et ses missions le sont moins, alors même qu’elle est au service de tous. Il est important que les usagers prennent conscience que s’ils peuvent bénéficier d’un médicament remboursé par l’Assurance-maladie c’est parce qu’il a été évalué au préalable par la HAS et que si les prises en charge sont de grande qualité c’est parce qu’elles reposent sur des recommandations qu’elle a élaborées. De la même manière, si les patients peuvent bénéficier d’une innovation thérapeutique par un accès précoce, c’est bien parce que la HAS l’a décidé. Enfin, c’est parce que la HAS rend accessibles les résultats de la certification des établissements de santé qu’il est possible d’être informé sur la qualité d’un établissement. Il me paraît donc fondamental, au regard de son rôle central, que le HAS gagne en notoriété et notamment auprès des usagers et des patients que nous associons d’ailleurs très fréquemment à la conduite de nos travaux.