INTERVIEW
François-Emmanuel Blanc
Directeur Général de l’AHNAC
La mise en place des GHT participe à un mouvement plus large de regroupement des acteurs de santé sur une base territoriale, comment analysez-vous ce mouvement et comment appréhendez-vous la place des GHT ?
Pour les raisons que l’on connaît ( nombre d’hôpitaux en France, rationalisation et gradation de l’offre, efficience et coût, qualité et sécurité, accès aux soins) il est d’abord tout à fait légitime que l’opérateur hospitalier public cherche à se regrouper en territoire pertinent.
L’analyse médico-économique et l’orientation patients continuent de plaider en ce sens. L’effet ciseau revenus/charges, comme les plans ONDAM sont par ailleurs de puissantes incitations à agir.
L’engagement des équipes dirigeantes et des communautés médicales est d’ailleurs manifeste, et le travail accompli en une année est considérable.
Les périmètres géographiques choisis pour les GHT peuvent cependant surprendre par leur hétérogénéité : qu’y a t’il de commun en termes d’enjeux entre le GHT d’un département vaste et très peuplé aux nombreux établissements de grande taille et celui réunissant 2 établissements hospitaliers de proximité autour de l’hôpital de préfecture d’un tiers de petit département ?
Cette différence de pertinence au regard des objectifs poursuivis et spécialement du service à la population, est en fait très évocatrice de la difficulté de la conduite d’un tel changement, qu’il a fallu rendre obligatoire par la loi pour qu’il s’amorce partout sur le territoire, malgré quelques beaux succès antérieurs de CHT et les multiples GCS opérationnels depuis des années. L’«affectio societatis» qui est indispensable aux GHT pour prospérer ne se décrète pas, quelque soit par ailleurs l’intérêt reconnu par tous à leur constitution, et la consolidation de la place de l’hôpital public qui en résultera grâce à la révision de ses activités et de ses fonctions support.
On le voit aujourd’hui au moment où les GHT viennent d’arrêter la première version du projet médical de l’entité qui sera devenue un seul établissement public dans une dizaine d’années, en tout cas selon la perception des acteurs internes : la combinatoire des relations entre les principales forces de l’hôpital (Présidences, Directions, corps médicaux, organisations syndicales et personnelles non-médicales, représentations des usagers ) est telle que la réalité des avancées semble parfois poser question au delà du rendu de la copie demandée pour le premier juillet.
Accompagner en situation la conduite de ces évolutions est donc d’une grande actualité. Les ressorts habituels du changement peuvent y contribuer.
Mais la question qui reste posée à mes yeux est de savoir si des changements touchant la gouvernance politique et syndicale de l’hôpital ainsi que les statuts des personnels seront ou non nécessaires pour faciliter le management opérationnel de cette évolution. La réponse ne devra pas trop tarder, en lien avec l’évaluation des résultats obtenus.
Comment voyez-vous la collaboration publique privée et la collaboration avec le monde libéral ?
Elle pourrait être plus complémentaire qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Les contrats d’association avec les GHT ne sont pas rares, et heureusement. Leurs travaux préparatoires sont l’occasion de partager le diagnostic territorial, de combiner les visions stratégiques des acteurs publics et privés et de compléter les relations structurées déjà existantes.
Mais les différences de culture santé et de construction de l’expérience patient d’une part, et surtout d’encadrement économique et financier d’autre part, qui paraissent s’être accrues ces dernières années, rendent parfois leurs logiques d’action quasiment incompatibles, en tout cas beaucoup plus difficiles à rapprocher.
C’est tout d’abord le cas pour les établissements qui ont une offre 100% service public – sans secteur privé ni dépassement d’honoraires – et qui relèvent du privé non lucratif : Le différentiel de charges avec l’hôpital public quoiqu’on en dise -malgré le CITS qui ne le couvre que partiellement- reste une vraie question d’égalité de traitement.
C’est alors bien un surcroît d’engagement des dirigeants en faveur de la coopération territoriale qui est nécessaire pour faire prospérer cette dernière, alors même qu’elle peut être perçue comme une source de difficulté financière et de restructuration incomprise.
Il serait donc urgent, ne serait ce que dans l’optique de la réussite de la mise en œuvre d’une meilleure offre territoriale, que les règles du jeu terminent d’être égalisées pour les établissements à gestion privée du service public.
C’est aussi le cas pour le privé lucratif, qui a eu quelques raisons de relever un tropisme public idéologique au cours des dernières années, alimenté notamment par les rédacteurs du premier projet de loi Touraine au titre de leur vision du «service public territorial de santé» et partant, de leur conception «impériale» de l’hôpital public.
Certes, la conduite du changement dans le privé n’est pas aussi aisée qu’on peut parfois le penser trop rapidement : la loi d’airain des contrats privés vaut parfois bien celle des actes unilatéraux et des statuts publics, mais la sanction de l’échec y est assurément plus directe, qui a incité le secteur à se regrouper massivement et à créer avant l’heure des sortes de GHT privés à sa mesure.
Dans un contexte où les règles du jeu économiques ne sont pas identiques, une concurrence agressive peut alors prendre le pas sur la coopération car c’est tout simplement une question de survie.
Il importe donc que les efforts tarifaires et la maîtrise des charges soient bien équitablement assurés, mais aussi stabilisés dans une logique pluriannuelle, qui est indispensable au pilotage efficient du secteur.
Pour le monde libéral ambulatoire, l’essentiel de la problématique au regard de la restructuration territoriale de l’offre hospitalière, publique ou privée, est surtout que cela fonctionne !
Qu’une offre à tarifs conventionnels reste accessible pour ses patients, que les parcours soient plus fluides, et que la charge logistique de leur organisation pèse du coup moins sur leur activité en cabinet qu’aujourd’hui, voilà ce qui est attendu par ceux qui vivent au quotidien dans leur cabinet que l’hôpital accessible en territoire est véritablement une condition du maintien de l’offre de premier recours.
Quels sont les points qui mériteraient d’être revus pour réformer le dispositif actuel ?
En plaisantant à peine, je dirais qu’il faut saisir l’opportunité de la consolidation des GHT pour faire converger la sanction concrète du déficit de l’hôpital public et celle du privé associatif ou commercial !
Au delà de l’exercice de style réthorique, l’interdiction de fait du déficit pourrait être un puissant moyen d’action complémentaire.
Participant de l’homogénéisation des règles du jeu entre les secteurs public et privé dont on voit au quotidien combien elles pèsent sur les opportunités de réorganisation territoriale, ne pourrait elle pas contribuer aussi par la culture médico-économique, à alléger la pression interne aux GHT en cours de constitution, sur les acteurs porteurs du changement ?