Dr Stéphane Grisi
Chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant au CHS Le Vinatier
Coup de cœur
L’exercice en secteur public m’a permis d’avoir une pratique exclusive en Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA), ce qui n’est pas l’habitude de nos collègues installés en libéral qui doivent régulièrement associer pratique avec les adultes et pratique avec les enfants. Et, depuis 10 ans, j’ai même pu développer une sur-spécialisation en Petite enfance, focalisant mon activité sur les enfants entre 0 et 6 ans. Ce qui permet de développer une expertise du fait d’un champ d’activité restreint. De cette place, j’ai particulièrement apprécié la progression des connaissances en psychologie et en psychiatrie du jeune enfant et la stimulation que cela a produit dans les pratiques. Contrairement à mes débuts, une théorie (à l’époque, la psychanalyse) n’a plus le monopole de la compréhension de la clinique et de l’inspiration des thérapies. Grâce à l’arrivée des approches comportementales, cognitives, développementalistes, familiales ou attachementistes, les repères se sont multipliés et les pratiques se sont diversifiées pour s’adapter avec plus de pertinence à la variété des situations cliniques rencontrées. Durant ces 25 années, j’ai également eu la satisfaction de voir la PEA s’autonomiser de plus en plus de la psychiatrie adulte, par exemple, en ne s’occupant plus presque exclusivement du patient porteur des symptômes : la place des parents dans les dispositifs de soins et la prise en compte de leur action au quotidien a considérablement évolué, ce qui a renforcé l’alliance thérapeutique et significativement augmenté notre efficacité thérapeutique.
Coup de gueule
Quel paradoxe que tous ces éléments positifs et l’attention grandissante aux besoins des enfants n’empêchent pas aujourd’hui la PEA d’être une spécialité médicale en repli, voire en danger ! Les effectifs de psychiatres d’enfants sont en baisse de façon dramatique alors que les dispositifs de service public ou libéral sont unanimement débordés par les demandes. Cela tient notamment à la dissolution de notre identité de spécialistes qui ne devraient intervenir qu’en deuxième ligne sur orientation par des professionnels de l’enfance de première ligne. Le recours à la PEA est abusif, parce que toutes les souffrances psychologiques lui sont adressées et qu’il y a un manque d’identification des souffrances pathologiques, qui devraient être les seules indications de recours à nos compétences. Nous subissons là les conséquences d’années d’indifférenciation entre les « psys » (psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes…), de résistances à la nécessité d’une démarche diagnostique et d’opposition au besoin d’évaluation de l’efficacité de nos pratiques. Enfin, on peut se plaindre aussi de l’instrumentalisation de notre discipline comme « cache-misère » et pansement dérisoire sur le retentissement psychique de situations de vie non influencées en amont par l’action politique.