Tribune

« L’accumulation de tentatives de changements, d’expérimentations pour quelques mois (gratuites ou payantes) ont généré une frustration grandissante et un rejet de l’innovation par les soignants »

Christelle Masson
Directrice Générale de Pandalab

Idéal

La Performance numérique en santé est un des leviers à considérer fortement dans le monde actuel qui demande une agilité totale sur tous les domaines.

Il est aussi nécessaire d’apporter un changement de regard sur le numérique en santé après cette étape de surconsommation liée à la Covid. Le monde de la Santé dans son entièreté ne doit plus voir le numérique comme une contrainte, une souffrance ou une perte de temps mais comme un allié.

Il est aussi nécessaire de redonner du sens au numérique dans la santé en sachant piloter avec courage le changement puis en sachant accompagner habilement les utilisateurs.

Aucune partie prenante de la Santé ne souhaite continuer de travailler dans un monde basé sur le court-termisme. Ainsi, comment peut-on construire ENSEMBLE une performance numérique DURABLE dans la santé après ces quelques années d’initiatives forcées ?

Problème / obstacle

Beaucoup trop d’initiatives ont été réalisées, testées, modifiées, exploitées et oubliées. Il existe aujourd’hui une offre importante de solutions innovantes portées par des start-up ou des éditeurs reconnus. La multitude d’outils plus ou moins aboutis et couvrant plus ou moins le même spectre d’activité fait que le marché est devenu très différencié et concurrentiel. La valeur de l’innovation étant elle-même un peu tuée d’avance par l’existence d’outils gratuits.

Trop de POC (Proof of Concept) tue le POC et l’innovation en elle-même.

L’accumulation de tentatives de changements, d’expérimentations pour quelques mois (gratuites ou payantes) a généré une frustration grandissante et un rejet de l’innovation par les soignants, car ils ont souvent investi beaucoup trop de temps pour au final n’avoir aucun bénéfice.

Les POC sont une bonne chose en soi et permettent de valider une solution non encore éprouvée. Mais quand le POC est refait avec le même outil pour chaque cas d’usage et pour chaque catégorie d’établissement, nous arrivons à une surconsommation des évaluations et des demandes de preuves qui ralentissent un système et épuisent les parties prenantes.

Le POC devient alors contre-productif en tuant dans l’oeuf chaque initiative. Le POC ne sert plus alors qu’à protéger le décideur dans sa prise d’initiative.

Or, rappelons-le : « Une personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover. » A. Einstein.

L’innovation est une prise de risque. Celle-ci doit être incluse dès le début de la prise de décision et non pas en bout de chaîne du processus, une fois tous les KPI bien verts.

Le courage managérial est à ce niveau un point essentiel.

Piste de solution pour une performance numérique durable

1. Performance et engagement : savoir prendre des risques pour les décisionnaires

Ne pas confondre agilité et désengagement !

Nous sommes dans un monde où tout bouge continuellement et dans lequel il faut savoir faire preuve de disponibilité et de flexibilité presque totale.

C’est justement dans un tel système qu’il est encore plus nécessaire d’avoir des décideurs influenceurs, leaders convaincus et convaincants, sachant prendre des décisions fortes, raisonnées et braves.

Il serait alors tentant pour un décisionnaire de ne pas s’engager fortement, d’attendre et de prendre des décisions de demi-mesure. Toute décision tiède, sans envergure n’aura alors que peu de chances de tenir et d’accomplir son objectif dans un tel système agile.

L’engagement fort est un facteur clef de succès pour une performance durable en santé.

2. Améliorer la culture générale du numérique pour toutes les parties prenantes

Il serait nécessaire d’entamer dans les cursus de formation de la vie active la prise en compte de la connaissance du numérique avec un grand N. Je ne parle pas de formation à Office 360 ou aux logiciels métiers mais d’accéder à une culture générale nécessaire pour permettre à chacun d’appréhender le monde du numérique. La plupart des personnes utilisent Internet ou des Apps par nécessité sans se soucier de savoir pourquoi et comment cela marche. Ceci par manque de curiosité ou de temps. Aussi, dans un monde qui prône le partage, nous devrions apporter à chacun la connaissance, les bases nécessaires pour comprendre ce monde virtuel qui prend de plus en plus de place dans notre vie au quotidien. Il existe bien des campagnes de prévention sur l’utilisation des réseaux sociaux pour les adolescents (cyberharcèlement) ou des campagnes de formation contre la corruption en entreprise qui fonctionnent réellement. Il faudrait aujourd’hui faire des campagnes de prévention de l’utilisation du numérique dans le monde professionnel et des actions de formation obligatoire mise en place. Cela pourrait rentrer dans un programme de Qualité de vie au travail (QVT).

L’État tout comme les entreprises se doivent d’accompagner les personnes dans le changement du monde actuel. Les utilisateurs finaux et les décideurs se sentiraient alors beaucoup plus investis et inclus dans ce monde sans le subir.

3. Établir un référentiel de POC pour lequel les résultats pourraient être publiés et validés pour éviter de recommencer éternellement les mêmes tests pour chaque établissement/profession

Il serait extrêmement efficace pour toutes les parties prenantes qu’un POC effectué pour une catégorie d’établissement ou de professionnels puisse être reconnu et servir aux autres établissements ou professions similaires. Je ne parle pas ici d’un RetEx fait par le client/éditeur dans le cadre d’un PPT, article de presse ou autre. Ceci est déjà extrêmement bien fait par tous les éditeurs et cela ne suffit pas à convaincre la grande majorité, car chacun se pense différent du cas ou ne croit pas les chiffres annoncés. Si les éditeurs pouvaient avoir un canal pour déclarer et faire vérifier les résultats des POC, cela accélérerait efficacement le déploiement des solutions d’un point de vue national et permettrait aux suiveurs d’être rassurés par cette première expérience effectuée. Il est essentiel de créer un référentiel de POC pour que chacun puisse les établir de la même façon et puisse publier ses résultats et s’en servir. Il faudrait créer des lignes directrices et donner des outils et des grilles de lecture aux décideurs.

En conclusion, si nous appliquions la recette 1+2+3, nous pourrions alors recréer un cercle vertueux de l’innovation en santé pour une performance durable en santé.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP