Tribune

« Le lien de causalité établi entre les déterminants avérés de santé et l’état de la population induit une réflexion bien plus large que celle sur la seule organisation des soins »

Dr Nicolas Leblanc
Directeur médical de Livi, Président du Syndicat National des Médecins de Santé Publique, Conseiller municipal délégué au projet de territoire de santé

Oh la belle affaire si simple à traiter ?! Comment ne pas s’égarer dans le labyrinthe des « yakafokons », perdre le fil des possibles et se faire happer par le minotaure de l’inefficace palabre ? Peut-être en admettant collectivement que la santé ne relève que très partiellement du soin et donc que le lien de causalité établi entre les déterminants avérés de santé et l’état de la population induit une réflexion bien plus large que celle sur la seule organisation des soins ? Peut-être continuer par une réflexion sur ce qu’est la substance de la performance, sur les conditions de sa réalisation et sur les outils de sa mesure à l’avenir ?

Quèsaco la santé ? À peine ose-t-on brandir la fameuse définition de la « Grande Dame OMS », de peur que le minotaure nous identifie déjà. Puisse-t-on quand même murmurer inlassablement que la santé dépend d’abord et avant tout de facteurs sociaux. Ainsi va la vie, le bien-être physique, psychique et social dépend principalement des conditions dans lesquelles nous vivons, des représentations collectives et individuelles et des comportements induits. Elle est un fait social davantage qu’un fait biologique. Elle est avant tout affaire de population. En effet, avant d’arriver vers le précipice « médical », toute une somme d’éléments concourt à maintenir un bon état de forme. C’est ce qu’on appelle les déterminants de santé. Le modèle de G. Dahlgren et M. Whitehead, une référence, en détermine cinq grandes catégories1. Ce sont d’abord les caractéristiques phénotypiques et génotypiques des individus.

La seconde est liée aux représentations et comportements de santé : tabagisme, comportement à risque, etc. La troisième concerne les réseaux relationnels et l’intégration dans une communauté. La quatrième revêt les conditions de vie et de travail. Et, enfin, la cinquième englobe les facteurs économiques, sociaux, environnementaux qui déterminent la marche de la société.

Ainsi, l’amélioration de l’état de santé de nos concitoyens n’est pas dépendante du seul facteur d’accès aux soins. Celui-ci reste bien entendu d’importance puisqu’il est la dernière barrière face à la souffrance et la mort.

Cependant, une multitude de leviers peut être actionnée en amont et tout au long de la vie pour garantir une meilleure santé à nombre de nos concitoyens comme en atteste la part explicative de chacun des déterminants de santé. Schématiquement, la santé des individus relève de l’environnement pour 7 %, des soins médicaux pour 11 %, des facteurs biologiques et génétiques pour 22 %, des conditions sociales pour 24 % et des comportements pour 36 %2.

Qu’est-ce que la performance ? Dans son ouvrage sur « Entreprise et performance » Zineb Issor rappelle quelques définitions utiles3. Étymologiquement, performance vient de l’ancien français parformer, qui signifiait « accomplir, exécuter » au XIIIe siècle (Petit Robert). Par rapport aux critères d’efficacité et d’efficience, Bourguignon (1997) a regroupé la signification du mot performance autour de trois axes :

– Le premier est la performance-succès : lorsque la performance est synonyme du succès. Ce sens contient un jugement de valeur, au regard d’un référentiel, qui représente la réussite du point de vue de l’observateur ;

– Le deuxième est la performance-résultat : ici la performance fait référence au résultat d’une action (l’évaluation ex post des résultats obtenus sans jugement de valeur) ;

– Enfin, le dernier est la performance-action : la performance peut signifier une action ou un processus (la mise en acte d’une compétence qui n’est qu’une potentialité).

Intéressons-nous à la « performance résultats ». Évacuons celle liée aux succès et à l’action procédant souvent de la mise à disposition de moyens. C’est ici que la substance de la performance pointe son nez. Et elle n’est qu’au regard d’objectifs politiques. Si ceux-ci consistent à améliorer l’accès aux soins, les indicateurs de résultats seront différents de ceux qui traitent de l’amélioration de la santé de la population, qui seront eux-mêmes moins complets si le projet est d’améliorer la santé de tous. Les spécialistes québécois définissent la performance comme la capacité pour un système d’accomplir au cours du temps quatre fonctions interdépendantes :

1. S’adapter à son environnement (acquérir des ressources, répondre aux besoins) ;

2. Atteindre ses buts (réduire l’incidence, la durée, la gravité, les conséquences des problèmes de santé) ;

3. Produire avec productivité des biens et des services de qualité ;

4. Maintenir et développer des valeurs et un climat favorable à la réussite des trois autres fonctions4.

En 2008, l’OMS précisait : « La performance des systèmes de santé présente un certain nombre d’aspects – dont la santé de la population, les résultats sanitaires obtenus après traitement, la qualité clinique et le caractère approprié des soins, la réponse des systèmes de santé aux attentes de la population, l’équité et la productivité – et les progrès sont inégaux en ce qui concerne l’élaboration de mesures de performance et de techniques de recueil de données pour ces différents aspects… »5.

L’OCDE et d’autres travaux de chercheurs ont également contribué à l’analyse comparée des performances des systèmes de santé avec, à chaque fois, pointées les difficultés d’une approche globale sur la santé au profit d’indicateurs spécifiques plus maniables mais plus étroits6.

Quoi qu’il en soit, pour ce qui est du système de santé, puisqu’il ne fonctionne pas sur lui-même tel un automate, sans orientation politique, l’évaluation de la performance dudit système revient à évaluer le résultat des politiques publiques. Deux questions subsistent : sur quelle échelle temporelle (la santé s’inscrit dans le temps long) et sur quel périmètre dans un système complexe, peu voire pas paramétré ? Faut-il, par exemple, y inclure les politiques sociales ou d’autres encore ?

Aujourd’hui, en France, les indicateurs montrent toujours une grande disparité de l’état de santé, fait connu depuis longtemps. En 2012-2016, la différence d’espérance de vie à la naissance entre les 5 % d’hommes ayant les revenus les plus faibles et les 5 % ayant les revenus les plus élevés était de 13 ans7. De plus, le poids de la mortalité prématurée avant 65 ans est important, près d’un décès sur cinq. La mortalité évitable représente, en 2013, 30 % de la mortalité prématurée et est 3,3 fois plus élevée chez les hommes8.

Nous n’aborderons pas la question de l’accès aux soins que de nombreux experts préciseront. En effet, il nous a semblé que quelques pistes pourraient être explorées pour améliorer la santé des populations en prenant le problème dès l’amont de la maladie9. La première consisterait à renforcer la santé publique, ses métiers et la recherche. La seconde concernerait l’élaboration d’une loi pluriannuelle fixant les objectifs en termes de santé publique. La troisième serait d’établir une évaluation systématique des lois en termes de santé comme cela existe en matière environnementale. La quatrième serait de redéfinir le rôle des collectivités territoriales en termes de prévention et de promotion de la santé. La cinquième serait de mobiliser et responsabiliser les autres acteurs à fort impact de santé autour des déterminants majeurs (éducation initiale et continue, logement, santé au travail, secteur agroalimentaire, sport et activité physique etc.), la sixième serait, à la suite de la pandémie de Covid-19, de rénover la démocratie participative au-delà de la seule représentation des malades dans le système de soins, dispositif dont l’origine fut l’épidémie de sida.

Le minotaure entend encore l’écho de nos célébrations traînantes, celles de notre système de santé, le meilleur au monde en l’an 2000 dans l’insouciance environnementale et le babillement digital de l’époque. Serons-nous en mesure de trouver le fil en regard des enjeux actuels, c’est-à-dire concilier rigoureusement une approche sociale de la santé avec l’intégration des innovations technologiques en considérant le nécessaire renouvellement des objectifs, ceux d’une performance évaluée aussi sur des critères de bien-être et environnementaux ?

Et si Gaia, déesse de la terre, nous invitait à revoir nos modes d’existence comme le suggère Bruno Latour, alors, au-delà de « l’extra financier », les indicateurs de santé seraient peut-être les marqueurs principaux de la performance comme le suggère Eloi Laurent10,11. C’est peut-être se prendre pour Zeus, à moins que ce soit modestement un des chemins pour s’extirper sain et sauf du labyrinthe, aussi escarpé soit-il.

1 Whitehead M., Dahlgren G. « What can we do about inequalities in health ». The lancet, 1991, n° 338, p. 1059-1063.

2 https://www.goinvo.com/vision/determinants-of-health/?utm_source=determinantsofhealth.org&utm_medium=redirect.

3 Issor, Zineb. « La performance de l’entreprise : un concept complexe aux multiples dimensions », Projectics / Proyéctica / Projectique, vol. 17, n°. 2, 2017, pp. 93-103.

4 André-Pierre Contandriopoulos, François Champagne, Claude Sicotte, Geneviève Sainte-Marie. « L’évaluation : pourquoi et comment ? » ADSP n° 69, décembre 2009, p. 21.

5 Organisation mondiale de la santé, Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé, document de référence « Mesure des performances pour l’amélioration des systèmes de santé : expériences, défis et perspectives », Conférence ministérielle européenne « Systèmes de santé, santé et prospérité », organisée du 25 au 27 juin 2008, Tallinn, Estonie.

6 Paris, Valérie. « Les performances comparées des systèmes de santé », Les Tribunes de la santé, vol. 35, no 2, 2012, pp. 43-49.

7 Observatoire des inégalités, « Riches et pauvres, inégaux devant la mort », 2018, https://www.inegalites.fr/Riches-et-pauvres-inegaux-devant-la-mort.

8 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques et Santé publique France, « L’état de santé de la population en France », Rapport 2017.

9 Alfred Spira, Nicolas Leblanc. Perspectives pour traiter les inégalités sociales de santé in Santé, les inégalités tuent. Éditions du Croquant. Mars 2022.

10 Bruno Latour et Nikolaj Schultz. Mémo sur la nouvelle classe écologique. Collection les empêcheurs de tourner en rond. Éditions La Découverte. Janvier 2022. 11 Eloi Laurent. Et si la santé guidait le monde ? Paris. Les liens qui libèrent. 2020.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP