INTERVIEW
À l’heure des replis identitaires, des discours démagogiques, des dérives ultra-libérales constatées sur les marchés, nous croyons toujours à l’idée européenne, celle d’une Europe qui protège ses citoyens en leurs apportant des bénéfices sociaux tangibles…

Isabelle Rondot

Administratrice du Groupe VYV

L’Europe a été conçue comme un marché, doit-on aller plus loin et notamment en termes de politiques sociales ?

Pour pouvoir répondre, il faut repartir du sens du projet européen. à l’origine, l’idée est simple : il s’agit d’unir, de réunir, des peuples qui ont connu deux guerres mondiales. Pour cela, il convenait de mettre en commun des forces, des visions du monde et des institutions et, grâce à la délibération, parvenir à dégager un intérêt supérieur commun. Or, ce qui nous unit, c’est la volonté de vivre mieux.  Au-delà des seuls intérêts particuliers ou personnels, au-delà des querelles nationales, nous pouvons nous rassembler derrière cet objectif qui est de faire de l’Union européenne l’espace mondial de la protection sociale. 

Les citoyens européens souhaitent être mieux protégés. C’est ce qui ressort d’une enquête Ipsos, menée par l’Uniopss et soutenue par le Groupe VYV. Celle-ci met en lumière les attentes des Français quant au rôle de l’Europe en matière de protection sociale. Pour 71 % des Français, l’Union européenne joue un rôle important en matière de protection sociale. Ils sont 80 % à souhaiter, à l’avenir, l’harmonisation des systèmes sociaux des pays membres de l’UE en se basant sur les législations les plus protectrices. 60% d’entre eux considèrent d’ailleurs qu’il s’agit d’un objectif réaliste dans les 10 ans à venir.

La Protection sociale constitue donc aujourd’hui indéniablement une condition de réussite de l’Union européenne.

En réalité, l’Europe de la Protection sociale existe déjà, mais uniquement par les actes de ceux – associations, mutuelles, acteurs publics, acteurs privés non lucratifs – qui la font vivre au quotidien. Malheureusement, elle n’est pas encore consacrée en tant qu’institution de l’Union même si le Socle européen des droits sociaux présenté à Göteborg en 2017 est une avancée qu’il faut saluer. 

Le groupe VYV est engagé en faveur d’une convergence sociale de haut niveau au sein de l’Union dans l’intérêt de tous les citoyens.

Le groupe VYV en collaboration avec Solidaris a publié un mémorandum dans le cadre des élections européennes 2019 ayant pour ambition d’appeler à un engagement collectif et sans faille en faveur de la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux. De quoi s’agit-il ?

Nous sommes convaincus que la lutte pour une Europe qui protège ne se gagnera que si les politiques publiques dans toutes leurs composantes déclinent l’impératif de cette protection : sur les questions économiques, énergétiques, environnementales, mais aussi sur les questions de solidarité, de santé, de Protection sociale. 

La mobilisation mutualiste est plus forte que jamais pour appuyer, proposer, contribuer à dessiner ce visage européen tant attendu par les citoyens ; la volonté politique doit à cet égard rejoindre l’engagement de la société civile. L’avenir de l’Europe passe par la mise en œuvre de politiques structurelles qui résisteront aux replis nationalistes.

Le 27 février dernier, en partenariat avec le groupe mutualiste belge Solidaris, le Groupe VYV a en effet remis à des députés européens un mémorandum dans lequel sont exposées quelques-unes de nos recommandations pour la mise en œuvre concrète de l’Europe sociale. La moitié des Belges et des Français pensent que l’Europe fait reculer leurs droits sociaux. C’est pourquoi les deux groupes ont souhaité prendre une position forte, et en appeler à l’urgence d’une Europe du mieux-vivre, d’une Europe du socle européen des droits sociaux telle que présentée par l’Union européenne à Göteborg en 2017. Comme l’a rappelé à cette occasion Thierry Beaudet, Président du Groupe VYV : « Les mutuelles disposent d’un savoir-faire précieux en santé ou encore en prévention. Elles œuvrent concrètement et au quotidien pour le Socle des droits sociaux. C’est pourquoi nous demandons à être pleinement associés à sa mise en œuvre, sa pérennisation et son enrichissement ».

Dans ce mémorandum, plusieurs recommandations sont formulées en appui aux principes du socle des droits sociaux, quelles sont celles qui pourraient être mises en œuvre le plus rapidement et pourquoi ?

Nos six recommandations, énumérées ci-après, touchent aux principes du Socle qui nous concernent. Mais elles vont en réalité au-delà, elles portent une contribution au rêve d’un  nouveau contrat social européen : l’alliance d’un cadre stratégique, d’un budget ambitieux et d’une gouvernance inclusive ; la santé au cœur des priorités ; la promotion du « Bien-vivre » tout au long de la vie ; l’intérêt général au-dessus des lois commerciales ; l’économie sociale au cœur du Socle européen des droits sociaux ; la mise en cohérence des politiques internes et externes en faveur de la Protection Sociale Universelle et de la Couverture Santé Universelle.

Ce sont des recommandations traduites par des mesures qui peuvent être prises à un horizon temporel court, mais surtout, ce sont des choix politiques. Nous pourrions nous attarder sur trois d’entre eux. 

L’alliance d’un cadre stratégique, d’un budget ambitieux et d’une gouvernance inclusive, qui appelle une stratégie volontariste pour l’après-2020, avec la mise à l’Agenda du social pour l’avenir de l’Europe. Cela pourrait se traduire par une directive cadre pour la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux. Celle-ci s’appuierait sur plusieurs mesures :

• Une feuille de route évaluée sur une base trimestrielle et rendue publique, ainsi qu’une gouvernance élargie : associer la société civile, les partenaires sociaux, et les acteurs privés non lucratifs sanitaires et sociaux ;

• Un « test des droits sociaux, de l’impact social et du bien-être » : une étude d’impact menée avant la mise en œuvre de toutes décisions politiques ;

• Une « règle d’or » en matière d’investissements à but social, afin que ces derniers s’affranchissent des règles budgétaires de l’Union européenne – et donc des déficits ;

• Des moyens financiers prévus dans le prochain Cadre Financier Pluriannuel – 2021 – 2027 ;

• Une intégration des recommandations des Comités consultatifs européens et du Parlement européen.

Remettre la santé au cœur des priorités exige d’examiner la thématique des inégalités sociales de santé de manière systématique. Cela peut être conduit via le renforcement de l’évaluation et du rapport relatifs aux « inégalités dans l’accès aux soins » dans le processus du Semestre européen, ainsi que via un recours à des recommandations spécifiques par pays pour soutenir les États devant progresser dans la lutte contre les inégalités. Par ailleurs, la consolidation d’un « Joint Assessment Framework – JAF » pour les soins de santé offrirait un instrument pour des politiques basées sur des faits et des preuves, dans le dialogue avec les autorités nationales, à l’instar de ce qui s’est fait dans le domaine de l’emploi. 

Une troisième mesure sur laquelle nous nous battons est celle de placer l’économie sociale au cœur du Socle européen des droits sociaux. Nous plaidons pour la reconnaissance en droit européen du concept de « lucrativité limitée », qui caractérise les entreprises de l’économie sociale. Des mesures permettant d’adapter les instruments financiers européens aux besoins des entreprises de l’économie sociale de toutes tailles (y compris les plus grandes), sont nécessaires.

A l’heure des replis identitaires, des discours démagogiques, des dérives ultra-libérales constatées sur les marchés, nous croyons toujours à l’idée européenne, celle d’une Europe qui protège ses citoyens en leurs apportant des bénéfices sociaux tangibles. Nous devons prendre notre part dans la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux. Il est à la confluence des enjeux de ce XXIe siècle pour les entreprises de l’ESS : la promotion du modèle non lucratif, la transformation sociale, la défense des services publics et de l’intérêt général.