Pr Olaf Mercier
Chirurgien thoracique à l’Université Paris-Saclay
Le principal écueil de la Recherche médicale, bien compris de nos tutelles, est de ne pas s’éloigner de son objectif à savoir le Patient. En effet, la finalité de la Recherche médicale est d’apporter une meilleure compréhension des maladies, de mettre au point des stratégies préventives et de développer les meilleures solutions thérapeutiques pour les malades. Au fur et à mesure des années, nous avons vu apparaître plusieurs recherches dans le monde hospitalier (Recherche fondamentale, Recherche translationnelle, Recherche clinique…) ayant le même objectif mais concurrentes sur le plan du financement et sur le plan organisationnel (espace dédié, personnels…). Le raisonnement en mode projet a porté ses fruits dans le monde industriel en général et a donné des résultats très intéressants en Recherche médicale avec les appels à projets « Investissements d’Avenir1 ». L’originalité de ces appels à projets était de les centrer sur une thématique, généralement une maladie, et d’agréger l’ensemble des acteurs nécessaires à l’élaboration de solutions aux problématiques posées (naissance des Instituts hospitalo-universitaires). Les acteurs n’étaient pas seulement les chercheurs mais l’ensemble de la chaîne de découverte en s’affranchissant du caractère clivant de la définition du métier de chacun. Ainsi, les médecins, les chercheurs (en biologie ET autres thématiques), les patients pouvaient se rassembler sur un projet pour donner jour à de véritables avancées. La richesse de l’interaction soins-recherche est au cœur du succès du process de la Recherche médicale.
Si cette interaction a pu se développer avec l’accueil d’unités de recherche au cœur du fonctionnement hospitalier, elle a majoritairement concerné des thématiques biologiques dans les hôpitaux universitaires. Plusieurs questions se posent alors sur la diversité des structures de recherche accueillies au cœur de l’Hôpital et sur l’équité d’accessibilité aux innovations des patients sur le territoire français. Un autre point concerne les résultats de ces recherches et leur potentielle translation au domaine industriel et à l’exploitation de l’innovation née de ces recherches. Le financement de l’Hôpital et de ses recherches provient majoritairement du financement du soin. La translation industrielle de la Recherche se produit en majorité à l’extérieur de l’Hôpital, au cours d’une phase qui n’est pas maîtrisée (par manque de moyens et de personnels), ne lui permettant pas de financer sa recherche et son activité de soin en retour. La Recherche visant à développer des techniques interventionnelles ou des dispositifs médicaux s’est surtout développée à l’extérieur de l’Hôpital de par son caractère entreprenarial, alors que les technologies et les dispositifs médicaux sont utilisés tous les jours pour prendre en charge les patients. Ce court panorama, forcément non exhaustif, est le préambule à ces quelques propositions visant à renforcer la Recherche médicale en France :
Décloisonner les Sciences et le Soin
L’interaction directe et constante entre les acteurs de la chaîne de découverte est essentielle. La création des centres hospitalo-universitaires dans les années 80 a ouvert cette voie en accueillant dans des structures hospitalières des équipes de recherche majoritairement biomédicales. Les structures de soins auraient un grand intérêt à s’ouvrir à l’ensemble des Sciences sans se restreindre aux sciences biologiques et médicales. Le temps médical est, dans ce contexte, un sujet crucial étant donné qu’il ne peut pas y avoir d’interaction sans temps dédié pour développer ces projets. Le challenge pour l’Hôpital est de savoir employer les médecins pour autre chose que le soin. Le temps protégé pour la recherche est le garant du succès des projets de Recherche médicale en permettant aux médecins de ne pas s’éloigner du terrain et de ses contraintes tout en prenant part dans des projets qui doivent être adaptés aux patients. Ce décloisonnement passe par une forte implication au niveau de la formation initiale des médecins et des scientifiques. Les UFR médicales devraient accentuer l’enseignement de la recherche aux étudiants en médecine et pouvoir prodiguer des enseignements médicaux aux scientifiques non médicaux. Il existe des initiatives locales d’UFR médicales liées à leurs collaborations locales, mais rien n’est inscrit sur le plan national. Il est clair qu’il est important d’enseigner aux étudiants en médecine les traitements et les raisonnements physiopathologiques actuels, mais il semble même encore plus important de leur apprendre à construire les thérapeutiques de demain en leur apprenant le raisonnement scientifique et comment participer aux projets de recherche. La médecine d’aujourd’hui ne ressemblera absolument pas à celle de demain, ces médecins devront faire avancer la Médecine dans notre monde en constante et rapide évolution.
Dynamiser et Optimiser la Recherche médicale
Le point le plus important en Recherche médicale est à mon sens de partir d’une problématique patient pour revenir au patient avec une solution. La gestion de la Recherche médicale en mode projet permettrait d’optimiser les résultats et la translation finale en clinique humaine. L’idéal serait de former un écosystème optimal à chaque projet comprenant le financement, la sélection des équipes de recherche et l’implantation du soin. Cela implique une certaine mobilité et adaptabilité des structures de recherche qui peuvent se déplacer et créer de véritables « synapses », le temps du projet. Cela implique aussi une adaptabilité du système qui pourrait s’appuyer sur des structures stables et implantées en réseau sur le territoire français comme les plateformes de recherche et le réseau de centres de ressources biologiques permettant de mutualiser les équipements et les prélèvements biologiques en permettant aux équipes de travailler au plus près de la problématique le temps du projet. Cette vision projet atténuerait aussi la problématique complexe et chronophage de financement des équipes de recherche et redonnerait du temps de recherche aux professionnels qui n’auront plus à penser au renouvellement annuel des fonds de recherche. Le résultat et la transition aux patients seraient les objectifs majeurs des projets qui seraient évalués annuellement pour leur pérennité ou leur transformation ou mutation avec changement de partenaires ou lieux.
Désenclaver la Recherche médicale et les Hôpitaux
Le monde académique gagnerait à se rapprocher du monde industriel qui distribue les innovations médicales pour deux raisons principales. La première est qu’une innovation médicale n’est valable qu’à partir du moment où elle est utile et utilisable au plus grand nombre. Penser dès le départ à la possibilité de distribution et aux problématiques d’industrialisation optimise la translation future du résultat de la recherche. La seconde est qu’il s’agit d’une diversification des sources de revenu de l’Hôpital et des structures de recherche.
Permettre un accès équitable à la Recherche médicale
L’utilisation optimale des moyens de communication au service des projets permettrait aux médecins français, quel que soit leur mode d’exercice, et aux patients, d’interagir et d’avoir accès aux différents programmes de Recherche. Ce mode de fonctionnement ouvert permettrait une meilleure distribution de l’offre de recherche sur le territoire sans la nécessité de dupliquer des structures de recherche sur des thématiques proches. Cela impose néanmoins de proposer des formations dites « continues » ou secondaires aux médecins désireux de participer. Cela impose aussi de développer l’esprit réseau national des projets sélectionnés. Un réseau intégrant l’ensemble des structures de soin existantes en France (hospitalières, privées, libérales…) serait l’idéal pour optimiser l’applicabilité de l’objectif de la recherche médicale et transformer en profondeur la médecine du pays. Créer, Innover, Diffuser l’innovation ! La Recherche médicale est simplement la Médecine de demain.
1 https://www.gouvernement.fr/le-programme-d-investissements-d-avenir