Dr Saman Sarram
Addictologue à l’hôpital Charles Perrens
De la psychiatrie désertée aux déserts psychiatriques
Depuis quelques décennies, on assiste à une dévalorisation de la psychiatrie alors qu’elle constitue une des disciplines les plus fondamentales de la médecine, car s’intéressant au bon fonctionnement de l’esprit humain. Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’on constate un recours de plus en plus important de nos concitoyens auprès des acteurs de la santé mentale. Parallèlement, les médias et les pouvoirs publics n’hésitent pas à impliquer la psychiatrie dans des domaines qui touchent la société et la justice comme la prise en charge et la prévention des récidives des délinquances sexuelles, des violences faites aux femmes et aux enfants, de la radicalisation… Et pourtant, la situation de la psychiatrie continue à se dégrader inexorablement.
Le premier niveau de cette dégradation est observable auprès des étudiants en médecine quand ils sont amenés à choisir une spécialité après un examen classant national (ECN) qui se déroule à la fin de six années d’étude. Chaque année, une centaine de places en psychiatrie reste non pourvue alors que toutes les places en médecine générale sont prises. Pour pallier la pénurie, il ne suffit donc plus d’augmenter le nombre de places en internat de psychiatrie, puisque celles-ci ne seront pas prises par les personnes concernées.
Ce désintérêt pour la psychiatrie se traduit mécaniquement sur le terrain par l’apparition de déserts psychiatriques dans certains territoires, au sein des hôpitaux publics comme en ville. Nous pouvons citer en exemple la Dordogne et son hôpital Vauclaire, à Montpon-Ménestérol, parmi tant d’autres en France. Mais plus inquiétant encore, cette pénurie de psychiatres hospitaliers gagne des territoires de plus en plus proches des grandes métropoles. Localement, notre inquiétude est grande concernant les effectifs médicaux de l’hôpital de Garderose, situé à Libourne, à 30 km de Bordeaux. Cela donne ainsi l’impression d’un effondrement, sur le principe de la théorie des dominos, de proche en proche, de la psychiatrie publique hospitalière.
Pour mettre en lumière cette pénurie et identifier son impact sur les patients soignés dans les hôpitaux ainsi sinistrés, nous aurions pu espérer pouvoir compter sur le processus de certification, censé évaluer et garantir la qualité des soins prodigués dans les établissements de santé. Malheureusement, cette démarche semble avoir été conçue pour être complètement aveugle sur la situation de l’offre de soins en termes de temps médical spécialisé disponible pour les patients. Or, la qualité des soins doit être appréciée principalement à partir de la disponibilité et de la qualité des soignants (formation adaptée et spécialisée, le temps moyen disponible pour chaque patient et le temps effectif consacré aux soins pour chaque médecin, les moyens mis au service des patients comme l’accès à une consultation ou une hospitalisation programmée ou en urgence…). Autant d’indicateurs qui sont absents dans ce processus chronophage de certification. Ainsi, des hôpitaux psychiatriques totalement dépourvus de psychiatres titulaires d’un DES et ne fonctionnant qu’avec des médecins généralistes ont été certifiés sans difficulté !
Un médecin formé pour pratiquer la médecine générale ne peut pas fournir des soins psychiques et psychiatriques de la même qualité qu’un psychiatre. Le recours massif à des médecins formés hors Union européenne ou formés dans l’Union européenne mais peu francophones pose le même problème de qualité dans une spécialité telle que la psychiatrie, avant tout basée sur le langage en tant que moyen d’accès au sujet.
En résumé, les critères actuels de ce processus sont trop technocratiques et ne sont manifestement pas bien adaptés à la psychiatrie. Pire encore, ces procédures ont tendance même à aggraver la situation en consommant beaucoup de temps soignant tout en constituant un écran de fumée sur la situation de démographie médicale de ces hôpitaux qui restent certifiés sans souci, avec un « compte qualité » bien fourni.
La répartition des psychiatres sur l’ensemble du territoire national est cependant très contrastée. À côté de ces déserts psychiatriques, on assiste à un boom du secteur II (à honoraires libres) et du salariat privé dans d’autres territoires comme les grandes villes universitaires.
Le temps ne serait-il pas venu de réglementer avec des mesures plus contraignantes l’accès au secteur II au profit des déserts médicaux ? Ne serait-il pas opportun de conditionner l’octroi d’une installation en secteur II non pas à deux années d’assistanat dans n’importe quel service mais à une période minimale d’exercice plus correctement rémunérée dans des services, pôles, hôpitaux ou territoires sous tension ?
Il est évident que ces mesures à elles seules ne vont pas régler tous les problèmes d’une discipline en crise. Mais la persistance de cette pénurie de psychiatres dans ces territoires aura pour conséquence l’installation d’une inadéquation entre les exigences réglementaires (toujours plus nombreuses, comme nous le montre l’exemple récent de l’article 84 du PLFSS) et l’effectif des collègues susceptibles d’assumer la responsabilité qui en découle. Cette situation devient insupportable pour ceux, de moins en moins nombreux, qui « résistent » (jusqu’à quand ?) dans ces territoires désertés. Il est donc urgent d’agir !