Tribune
Olivier TOMA
Fondateur de l’agence Primum Non Nocere
Chargé du plaidoyer de l’association Agir pour la Santé des Générations Futures
La population évolue
La politique de santé est basée depuis des années sur un concept erroné, qui pour diminuer les dépenses de santé, tend à réduire l’offre de soins… moins de lits, moins de soignants !
C’est sur cette vision « comptable » que l’État gère la santé depuis plusieurs décennies. C’est bien mal connaître le sujet ! C’est ainsi qu’à l’heure où la population augmente, vieillit et « consomme » de plus en plus de soins et de technologies, que l’on ferme et concentre des lits et que l’on ne forme pas les médecins de demain en quantités suffisantes !
L’actuelle et prévisible pénurie de soignant est telle que les listes d’attente ne font qu’augmenter, alors que nous pourrions même développer sur tout le territoire des dynamiques de « tourisme médical » tant nos professionnels sont efficaces. Dans dix ans, cette pénurie grandissante sera un problème majeur. Peut-être faudra-t-il « choisir » les patients et opter pour « l’abandon thérapeutique ». En 50 ans, la population humaine et mondiale a doublé, les technologies ont évolué… Il faut donc une politique de santé à vingt ou trente ans si l’on veut anticiper les besoins !
On y arrive dans le secteur de l’aérospatial, pourquoi n’y arriverait-on pas dans la santé ?
Un contexte règlementaire foisonnant
Le contexte réglementaire est foisonnant, des centaines de textes ont été adoptés ces dix dernières années, sans se doter des moyens de les appliquer !
Économie circulaire : les filières de revalorisation des bio déchets, de verre médicamenteux, de métaux précieux ne sont pas structurées sur les territoires. Tout est détruit par incinération ! Ça n’a aucun sens. Toutes ces matières sont revalorisables. Un établissement vertueux qui fait l’effort de trier et de valoriser ses déchets est « sanctionné » par le maintien en l’état de sa taxe d’enlèvement des ordures ménagères, auquel s’ajoute le coût des filières de tri, alors qu’il devrait être en tout ou partie exonéré pour donner envie d’agir à tous.
Ecoconception des soins : on transforme l’activité de chimiothérapie qui était réalisée dans un contexte d’hospitalisation par des traitements à domicile pour réduire les dépenses. Mais à domicile, il n’y a pas de possibilité de traiter les excreta et les stations d’épuration françaises (contrairement à la Suisse) ne traitent pas ces molécules cytostatiques qu’ils contiennent. Elles sont très impactantes pour la santé et pour l’environnement. On retrouve donc des résidus médicamenteux dans l’eau de boisson ! C’est pour cette raison que les vétérinaires ont interdit la chimiothérapie en ambulatoire pour collecter et détruire les excreta à 1200°…
Les établissements de santé doivent réduire leur empreinte carbone de 40 % d’ici 2030 mais les fournisseurs de dispositifs médicaux et de médicaments ne fournissent pas leur propre empreinte ou leur « analyse du cycle de vie » (ACV), ce qui rend impossible la mesure et la réduction des émissions de gaz à effet serre indirectes qui représentent plus de la moitié des impacts du secteur. Les autorisations de mise sur le marché (AMM) devraient maintenant être complétées par les informations relatives à l’ACV ou le bilan carbone produit.
Des dispositifs médicaux, des matériaux de construction, des médicaments, des cosmétiques pour femmes enceintes contiennent encore des perturbateurs endocriniens avérés ou des nanoparticules. Sans autorisation de mise sur le marché de ces produits, les professionnels de santé sont démunis pour conseiller les patients et parturientes…
Des acteurs engagés et engageants
Les professionnels de santé sont très motivés pour être les acteurs de cette transition. En 2010, ils nous demandaient « pourquoi faut-il s’engager ? », en 2022, ils nous demandent « comment s’engager ? ».
Actuellement plus de 400 établissements sont engagés sur le territoires dans des démarches à Très Haute Qualité Sanitaire Sociale et Environnementale (THQSE).
La mutation est faite, il faut maintenant les accompagner.
L’ANAP, en partenariat avec le C2DS a pris le leadership en 2022 sur ces sujets en accompagnant les structures volontaires vers des démarches globales ou thématiques. Plus de 500 établissements français bénéficieront de leurs conseils pour « généraliser la dynamique ».
Le ministère de la Santé doit maintenant mettre des moyens spécifiques sur :
• La formation initiale et continue sur la RSE et la santé environnementale pour tous les acteurs de la santé.
• La généralisation des « achats responsables » grâce au programme PHARE de la DGOS et à la mise à disposition des établissements tant publics que privés de cahiers des charges et de critères de choix intégrant des critères RSE.
• La mise à disposition auprès des médecins et des soignants d’un outil d’écoconception des soins pour aider les professionnels à prendre des décisions éclairées, pour ainsi réduire le gaspillage, l’empreinte carbone et la consommation de ressources.
Rêvons de la création d’un département SANTÉ au sein de L’ADEME, car ils se sont désengagés de ce secteur, alors qu’il doit entamer sa transition énergétique.
Les AGENCES DE l’EAU doivent aussi s’engager tant ce secteur est « hydrovore » et a besoin de soutiens et d’expertises pour réduire ses propres consommations d’eau, revaloriser toutes les eaux cachées (dialyse, autoclaves, eaux grises) et réduire leurs effluents liquides et médicamenteux.
Nous entrons dans la décennie de la disruption en santé, il est temps de passer de l’intention à l’action, les professionnels sont prêts, au plus grand bénéfice des patients des générations futures.