TRIBUNE
AU-DELÀ DES PRÉOCCUPATIONS DE SANTÉ PUBLIQUE, L’ENTREPRISE EST SOUS LE FEU DES PROJECTEURS. LE COÛT DES ABSENCES POUR MALADIE GRÈVE LES COMPTES DE LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE

Virginie Devos

AVOCAT ASSOCIÉ AU SEIN DU CABINET AUGUST DEBOUZY

La santé au travail est au cœur des préoccupations de nos gouvernants. Le nombre de rapports commandés sur le sujet montre l’importance qui y est donnée. Au-delà des préoccupations de santé publique, l’entreprise est sous le feu des projecteurs. Le coût des absences pour maladie grève les comptes de la caisse primaire d’assurance maladie. Les troubles musculosquelettiques représentaient encore 87 % des absences au titre des maladies professionnelles en 2017. 50 % des absences des salariés sont fondées sur le stress au travail. Face à ces chiffres, une volonté forte est affichée de faire de la prévention l’un des axes du futur plan santé. Un bonus-malus sur les cotisations accident du travail et maladie professionnelle a pu être évoqué pour favoriser la prévention et plus spécifiquement la prévention dite primaire.

En effet, trois typologies de prévention doivent être distinguées. La prévention primaire regroupe l’ensemble des moyens mis en œuvre pour empêcher l’apparition du risque. La prévention secondaire consiste à réduire le développement du risque qui est survenu. La prévention tertiaire consiste à remédier au risque pour éviter qu’il se reproduise.

La prévention n’est pas une nouveauté pour l’entreprise. Depuis 1992, une obligation pèse sur l’employeur de protéger la santé et la sécurité de ses salariés. L’obligation de sécurité de l’employeur a même été érigée un temps en obligation de résultat, privant ainsi de tout effet les mesures de prévention que l’entreprise avait pu mettre en place. Cette jurisprudence a fait long feu. L’obligation de sécurité a été ramenée à une obligation de moyens renforcés. L’employeur peut ainsi éviter une condamnation en démontrant qu’il a pris « toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Les conséquences pécuniaires du non-respect de l’obligation de sécurité ne sont pas neutres financièrement et encore plus lorsqu’un accident du travail survient ou qu’une maladie professionnelle est déclarée. La faute inexcusable de l’employeur, qui se caractérise par un manquement à une obligation de sécurité, par la conscience du danger et la faute de l’employeur peut alors être reconnue. L’employeur devra alors prendre en charge la totalité des coûts supportés par la caisse primaire d’assurance maladie : majoration de la rente versée mais également la réparation intégrale des préjudices subis par le salarié victime (préjudice esthétique ou d’agrément, souffrances physiques et morales, perte ou diminution de ses possibilités de promotion professionnelle).

La santé au travail n’est cependant pas de la seule responsabilité de l’employeur. Elle l’est aussi de celle du salarié. Sur la base des instructions de son employeur, le salarié prend soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que celles des salariés avec qui il est amené à interférer dans l’exercice de ses fonctions. Le non-respect par le salarié des règles de sécurité l’expose ainsi à des sanctions disciplinaires pouvant conduire à son licenciement pour faute grave. Pour autant, la gravité de la faute sera mesurée à l’aune des mesures d’information et de formation et des conditions de travail existantes dans l’entreprise. 

Le comité social et économique au travers de la commission santé, sécurité et conditions de travail est également partie prenante de la prévention dans l’entreprise. Il en est de même du médecin du travail, de la CARSAT et du service de santé au travail. Il ne faut pas hésiter à recourir à leur service, notamment aux fins d’établir le document unique d’évaluation des risques. 

En effet, aux fins de répondre à son obligation de prévention, l’employeur se doit de procéder à l’évaluation de ses risques. Aucune condition d’effectif n’est posée. Toute entreprise y est assujettie. L’évaluation des risques doit être globale, exhaustive et fondée sur le travail réel des salariés. Il ne doit pas s’agir d’un exercice de style. Ce travail doit être mené collectivement. L’entreprise peut être épaulée par des acteurs tiers à l’entreprise. Il ne s’agit pas seulement d’identifier des risques physiques mais également de prendre en compte la problématique des risques psycho-sociaux. Une fois les risques évalués, un programme d’action doit être établi. Tant les risques que le programme d’action doivent être répertoriés dans le document unique d’évaluation. Ce document devient alors une des pièces maîtresses de la prévention et du respect par l’employeur de son obligation de sécurité. Ce document est vivant. Il a vocation à évoluer et être constamment adapté. Le Covid-19 en est une très bonne illustration. 

Cependant, un constat s’impose, la prévention se heurte à la question des coûts générés par les mesures préventives. Ces coûts ne peuvent être répercutés sur le salarié. Pour autant, face à un coût immédiat, est-on certain qu’un absentéisme régulier, croissant ne représente pas un coût pour l’entreprise sur la durée ? De même, un tel absentéisme ne dénote-t-il pas des problèmes liés aux conditions de travail ? Un salarié heureux au travail n’est-il pas plus efficace ? Le coût immédiat peut largement être supplanté par des coûts cachés ou indirects. Il convient donc d’avoir une vision moins « court termiste ».

Dans un contexte où l’employeur doit négocier sur la qualité de vie au travail, il ne faut pas confondre les obligations qui pèsent sur lui. Les mesures négociées dans le cadre de la qualité de vie au travail ne répondent pas nécessairement aux obligations de prévention primaire. La responsabilité sociétale des sociétés est l’occasion, pour la prévention primaire, de devenir un des axes de la stratégie de l’entreprise. Elles en seront nécessairement récompensées !