Tribune

« La « valeur travail » […] est en réalité la somme, voire la potentialisation, des différentes « valeurs du travail » qui la composent »

Publié le 10/07/2024

Par
Robin Mor,
Directeur des Affaires Publiques et Directeur de la RSE à la Mutuelle Nationale des Hospitaliers

Débattre de la « valeur travail » : voilà un exercice bien difficile et périlleux, tant il a déjà fait l’objet d’une riche discussion, et tant celui-ci sait réveiller les plus vives oppositions philosophiques, politiques et intellectuelles.

D’aucuns, pour y parvenir, seront certainement tentés de débattre de la « valeur travail » par les vertus que celui-ci promet : l’émancipation, la connaissance, le progrès, la sociabilisation… D’autres pourront être séduits par la controverse relative aux épreuves qu’il peut engendrer : son impact sur la santé, les relations parfois déshumanisées, ou déshumanisantes… D’autres appelleront peut-être à se saisir des mutations du travail et leurs conséquences sur celui-ci : l’ubérisation, la robotisation, l’émergence de l’intelligence artificielle (gageons que cette tribune aurait pu être écrite par une IA, certainement déjà bien plus efficace que votre serviteur)…

Pour prendre le contrepied de ces 3 options – non limitatives – , nous nous bornerons ici à ouvrir de nouvelles questions, auxquelles notre lecteur sera ainsi appelé à répondre par lui-même. En effet, considérer la « valeur travail » comme un tout descriptible et discutable nous semble être quelque peu prétentieux. Nous préférons considérer que celle-ci est en réalité la somme, voire la potentialisation, des différentes « valeurs du travail » qui la composent. Par le caractère protéiforme que ces dernières prennent, et par leur aspect plus pragmatique et tangible, le sujet revient alors à notre modeste portée. À l’heure où ces « valeurs travail » sont amenées à être largement bousculées, il est heureux que nous puissions ainsi nous les approprier.

Posons quelques prérequis à votre analyse. D’abord, ces « valeurs du travail » sont à questionner selon une pluralité de points de vue : celui de la travailleuse ou du travailleur, cela va de soi. Mais considérons que le regard qu’elle ou il portera sur « son » travail ne sera pas automatiquement le même que celui porté par son manager, qui lui-même pourrait être différent de celui porté par son employeur, au sens juridique du terme, et encore différent de celui porté par l’actionnaire capitalistique de son employeur si ce dernier appartenait au champ de l’économie traditionnelle, ou le sociétaire/adhérent dans le cadre d’un acteur de l’économie sociale et solidaire.

Ensuite, les « valeurs du travail » sont à considérer dans leur caractère multidimensionnel. Elles sont bien évidemment financières : jusqu’à preuve du contraire, le travail emporte rémunération. Mais elles sont aussi extra-financières : qui peut encore être aveugle des incidences écologiques, sociales et sociétales qu’entraîne le travail derrière lui ? Qui ne saisit pas les questions de « pouvoir » que le travail soulève désormais : celle de la participation aux décisions et à la gouvernance, celle de la remise en cause de certains « corps intermédiaires » au sein des organisations du travail…

Dès lors, chère lectrice, cher lecteur, bienvenue dans le champ des équations à multiples inconnues qui pourrait vous conduire à toucher du doigt la « valeur travail », par le truchement des « valeurs du travail ». Bienvenue dans ce champ passionnant qui interroge nos organisations, notre management, nos représentations, nos modèles économiques… À partir de ce point, nul doute que vous trouverez, s’il en était par ailleurs utile, matière à animer vos débats familiaux comme professionnels, et vos propres réflexions.

Quelles sont donc ces fameuses « valeurs du travail » qui sont autant de composantes, intimement liées, de la « valeur travail » ?

Dans la démarche réflexive qui est désormais la vôtre, et que nous partageons, interrogez d’abord les valeurs « produites » par le travail : pour le travailleur, pour son équipe, pour son organisation, ses actionnaires ou sociétaires, mais aussi pour le destinataire final : le client ou l’adhérent.

Interrogez, ensuite, les valeurs « portées » par le travail, et souvent affichées au fronton des organisations : la solidarité, le collectif, l’inclusivité… Autant d’affirmations qui demandent en réalité un gigantesque effort d’alignement collectif et individuel pour en assurer la perception concrète pour l’ensemble des parties prenantes citées plus tôt.

Ces valeurs « produites » et « portées » par le travail pouvant, dès lors, entrer en résonance, ou bien en confrontation, plus ou moins importante, avec les valeurs individuelles des personnes concernées, cela n’arrangera rien à nos affaires réflexives.

Vous pourrez ensuite poser la question de la valeur qu’apporte le travail à la société : économique, certes, mais aussi sociétale, humaine, ou encore écologique… S’ensuit la question inévitable de la participation du travail à la création de « valeur » pour notre modèle social et républicain. Et bien d’autres questions s’ensuivront, que nous n’aurons malheureusement pas le loisir d’aborder ici.

Poser ces questions, et répondre à l’ensemble des dimensions qu’elles soulèvent, nous confirme toute la difficulté à définir la « valeur travail », tant celle-ci est constituée de véritables plaques tectoniques, en mouvement permanent à l’heure où le travail est âprement bousculé, voire percuté par les multiples transitions que notre société traverse.

Sur ces bases, c’est désormais, chère lectrice, cher lecteur, à votre tour de réussir le défi posé – à juste titre – par le CRAPS : celui de penser la « valeur travail ». Nul doute que notre société, dans son ensemble, en a aujourd’hui bien besoin.