Dossier
Romain Guerry
Directeur des relations institutionnelles du Groupe VYV
Avec la crise Covid, les Français vont découvrir qu’ils sont lourdement taxés sur leur contrat d’assurance santé. En effet, le Gouvernement a cru bon de faire payer les complémentaires santé pour éponger les pertes de l’assurance maladie obligatoire. Une « contribution exceptionnelle » dite « de solidarité » de 2,6% sera ainsi prélevée sur chaque contrat d’assurance santé, soit environ 1,5 milliard d’euros en deux ans1.
Ceci est l’occasion de rappeler que les contrats d’assurance santé sont déjà taxés à hauteur de 14.07% sur les cotisations qu’ils versent à leur complémentaire santé par le biais d’une « Taxe de solidarité additionnelle » ou TSA (13.27%) et d’une contribution pour le financement du forfait patientèle médecin traitant (0.8%).
Peu de gens sont au fait de cette taxation car c’est l’organisme d’assurance (mutuelle, société ou institut de prévoyance) qui fait office de percepteur. Il collecte et reverse ensuite. Si l’opération est opaque pour l’assuré, elle ne l’est pas pour son portefeuille.
Relativement récente dans la riche histoire de la fiscalité française, la TSA a connu une belle prospérité depuis sa création. A l’origine modeste, 1.75% de la cotisation, elle a cru de plus de 650% en moins de 15 ans. Et ce n’est pas fini ! La hausse devrait se poursuivre « dans une fourchette de 3,8 à 6,6 points » si l’on en croit un rapport de la Cour des comptes de 20152. Espérons pour le pouvoir d’achat des Français que le forfait patientèle ne connaisse pas le même succès.
Le rendement actuel de la TSA dépasse les 5 milliards d’euros, soit le tiers de l’ensemble des taxes sur les contrats d’assurance. Pourtant la santé ne représente que 28% du marché français de l’assurance (hors assurance-vie), signe d’une sur-taxation manifeste.
La progression exponentielle de cette taxe au fil du temps s’expliquerait-elle parce que le législateur a voulu sanctionner un comportement nocif ? Taxerait-il la complémentaire santé pour décourager les individus de s’assurer, comme il taxe le tabac pour les dissuader de s’intoxiquer ? Il n’en est rien puisque le législateur croit bon par ailleurs d’encourager les Français à acquérir une complémentaire santé. Il leur accorde pour cela entre 6 et 7 milliards d’aides publiques par an, d’ailleurs très mal répartis entre les Français puisque les séniors qui en auraient le plus besoin en sont exclus.
Mais alors pour quelles raisons ? S’agit-il de taxer la poule aux œufs d’or ?
Pas davantage. En 2018, les complémentaires santé ont réalisé 436 millions d’euros de marges, soit un excédent d’à peine 1.1% de leur chiffre d’affaire (37.6 milliards d’euros). Cette activité est donc peu rentable. Encore faut-il différencier les différents intervenants du marché. Ceux à but non lucratif (67% du marché), les mutuelles et les institutions de prévoyance ont logiquement des résultats inférieurs (respectivement 1.2% et -2.4%), aux sociétés d’assurance à but lucratif (2.9%)3. Que finance la TSA ?
Une première part finance la complémentaire santé solidaire pour un peu plus de 2.8 milliards. De fait, il existe une solidarité entre les personnes qui ont une complémentaire et celles qui n’ont pas les moyens de s’en offrir une. Cette situation pose cependant un sérieux problème d’égalité devant l’impôt. La participation au financement de la CSS ne dépend pas du niveau de revenu de chacun mais du tarif de la complémentaire santé choisie, et donc du besoin de couverture santé. Un individu ayant de faibles ressources mais besoin d’une complémentaire santé de haut niveau, donc plus chère, payera plus de TSA qu’un individu aisé qui disposerait d’une complémentaire moins protectrice. La CSS étant une politique de solidarité nationale, son financement ne devrait-il pas être équitablement supporté par tous les contribuables ?
Le produit restant de la TSA alimente les caisses de la Sécurité sociale.
Résumons. Les Français ont recours aux complémentaires santé, notamment parce que la Sécurité sociale ne rembourse pas suffisamment certaines dépenses (optique ou dentaire par exemple), encouragés en cela par des aides publiques mais aussi parce qu’ils y sont contraints par la loi (obligation d’assurance pour les salariés). Mais lorsque ces mêmes Français disposent d’une complémentaire santé, ils sont alors lourdement taxés pour financer la Sécurité sociale. Difficile d’imaginer tuyauterie plus complexe, et moins logique.
On le voit, l’empilement par les Gouvernements successifs de mesures les unes sur les autres a produit un système injuste et absurde.
Il est donc temps de remettre du sens dans l’architecture de notre protection sociale contre la maladie, en mettant au cœur des principes d’équité, de simplicité et de solidarité. Cela devrait commencer par une réduction de la taxe qui pèse sur les personnes qui doivent s’assurer pour leur santé.
1 Sous réserve de dernière surprise dans le PLFSS 2021 !
2 Cour des comptes, Le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie – mai 2015, p15.
3 Rapport 2019 sur la situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé, DREES.