Bruno Daunizeau
Psychanalyste – Psychologue clinicien, Expert près la Cour d’Appel de Versailles, Expert agréé par la Cour de Cassation, Expert près la Cour Pénale Internationale
Expertise « psy » : vers une nécessaire uniformisation
Les dysfonctionnements révélés régulièrement en matière de justice mettent au premier plan la complexité de l’expertise « psy », l’importance de ses enjeux quant aux décisions judiciaires qui en découlent et la réforme nécessaire de ce type d’expertise.
Un des axes de cette réflexion porte sur la distinction qui est faite entre l’expertise « psychiatrique » et l’expertise « psychologique », distinction qui semble aujourd’hui obsolète et qui pose la question de la formation et du recrutement des experts. De nombreux professionnels demandent que ces 2 modes d’expertise soient abandonnés au profit d’une seule et unique expertise, qui sera qualifiée de « médico-psychologique », et qui pourrait être réalisée indifféremment par des psychiatres ou des psychologues. Ces professionnels devront au préalable être formés dans le but de fournir des expertises de qualité. Cette formation harmonisée devra également prendre en compte l’expérience professionnelle de chacun des experts, le temps passé pour réaliser cette expertise, sans parler de la revalorisation des actes d’expertise.
Cette harmonisation de la formation permettrait également d’éclairer plus objectivement la dimension humaine dans ces procédures, elle permettrait la mise en place d’une réelle avancée dans l’art difficile de rendre la justice, en évitant de mettre à mal tant le justiciable que la victime, tant la justice que les experts eux-mêmes. Ces formations seront particulièrement axées sur la criminologie, la victimologie, la délinquance, ainsi que sur les techniques d’expertise et les méthodologies à respecter.
Quelle que soit la bonne qualité de bon nombre d’expertises psychiatriques et d’expertises psychologiques réalisées tous les jours, ces expertises « psys » sont souvent dénigrées et considérées comme une source de complications, ce qui ne correspond pas à la mission confiée aux experts. Le devoir d’objectivité des experts et de la justice ne peut accepter les positionnements personnels et idéologiques, sources de conséquences négatives. La justice doit pouvoir prendre en compte tous les éléments de la vie et de la personnalité des personnes expertisées et ne peut pas se satisfaire d’évaluations approximatives ou erronées. Ces erreurs sont généralement constituées par des évaluations cliniques partielles ou erronées, par positionnements personnels ou idéologiques nuisibles au devoir d’objectivité des experts.
La nécessité de cette réforme est d’autant plus impérative que les demandes d’expertises ne cessent d’augmenter : face à cette demande, nous constatons régulièrement le manque d’experts psychiatres, situation s’aggravant d’année en année. Il s’agit également de prendre en compte le contenu de la formation et l’expérience professionnelle des psychiatres et des psychologues experts. Il n’est pas de faculté qui ne crée son propre diplôme universitaire en matière d’expertise amenant ainsi une pléthore d’offres de formation mais sans cohérence véritablement commune. Cette harmonisation de la formation se révèle nécessaire ne serait-ce que dans la mesure où les psychologues et les psychiatres sont amenés à expertiser différents types de populations (enfants, préadolescents, adolescents et adultes), différents types de statuts (auteurs ou complices, victimes directes ou indirectes, témoins), différents types de cultures (ethniques, religieuses, culturelles), pour différents comportements conduisant devant le juge des enfants, le juge aux affaires familiales, ou le juge d’instruction, le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. Il faut admettre que tant les psychiatres que les psychologues n’ont pas reçu au cours de leur cursus universitaire initial de formation concernant la psychologie des auteurs d’infractions, la psychologie des victimes, les spécificités de l’expertise. Sur un autre plan, les formations initiales des psychologues sont très différentes d’une faculté à l’autre, peuvent se révéler très disparates et souvent peu en phase avec les attentes des différents acteurs et consommateurs de la justice.
Aujourd’hui, la distinction entre « expertise psychiatrique » et « expertise psychologique » semble de moins en moins se justifier. Différentes raisons conduisent à ce constat : des raisons liées à l’effectif actuel et futur des experts potentiels et des raisons liées à la nature des questions posées aux experts.
Dans un premier temps, nous constatons pour ce qu’il en est des psychiatres une diminution très importante de leur effectif professionnel, et ce, depuis plusieurs années, sans parler des déserts médicaux et des départs à la retraite, ce qui amène à entendre les magistrats se plaindre de façon récurrente du manque d’experts psychiatres. Au contraire, le nombre de psychologues augmente d’année en année, ce qui constitue ainsi pour les magistrats une ressource d’experts potentiels.
Dans un second temps, nous pouvons également constater que la plupart des questions posées dans les 2 missions d’expertise se révèlent souvent semblables et cette redondance n’apporte pas nécessairement plus de clarté quant à l’évaluation de la personnalité des personnes expertisées mais bien plutôt offre le flanc à la critique mettant en évidence des conclusions ou des points de vue parfois contradictoires, souvent subjectifs et/ou idéologiques.
La qualité des prestations en matière d’expertise sera d’autant plus grande que la justice disposera d’un grand nombre d’experts bien formés et expérimentés, dans l’ensemble du territoire. Il est donc important, dans le but d’obtenir une pratique expertale de bonne qualité, d’homogénéiser les connaissances pour répondre aux besoins de la justice. Il est difficile de prétendre au statut d’expert quand on n’a pas reçu et validé une formation spécifique qui n’est pas comprise dans le cursus initial de formation. La formation doit porter sur la criminalité, la psychologie des auteurs, la notion de récidive et la délinquance. Une bonne part du temps de la formation doit également être consacrée à la connaissance de la victimologie, à la prise en charge des victimes, à la cotation des préjudices selon les nomenclatures en vigueur, aux enjeux de la sexualité. De plus, des connaissances doivent être acquises en droit pénal, sur le système judiciaire et ses acteurs, ainsi que sur les pratiques de l’expertise.
Quant aux questions d’éthique et de déontologie, il est nécessaire de réfléchir à l’impartialité et à l’indépendance de la situation de l’expert, ainsi qu’à la représentativité de l’expert dans le procès de justice.
Enfin, il sera nécessaire de mettre en place une formation, non négligeable, à l’oralité, c’est-à-dire la soutenance du rapport d’expertise aux assises. Il arrive que l’expert ait à se confronter à l’hostilité a priori des avocats et/ou des magistrats. Il n’est pas évident alors de ne pas céder à la pensée dominante, il n’est pas facile de résister aux assauts de certains ténors du barreau qui ont fait de la déstabilisation des experts une spécialité, ne serait-ce qu’en opposant dans un même dossier le rapport de l’expert psychiatre à celui de l’expert psychologue. Nombre d’experts ont démissionné du fait de pas avoir su faire face à ces attaques.
Rappelons que, plus que d’objectivité (idéal impossible), l’expert doit faire preuve d’impartialité, il convient qu’il soit indépendant au regard de l’autorité de l’État et neutre à l’égard des parties, faisant si possible abstraction de ses préjugés et facteurs personnels, conscients ou inconscients, pour mettre en évidence ses capacités à s’adapter aux particularités propres à chaque personne expertisée. Son analyse sera fondée sur des données de fait, il doit évaluer les situations et écouter les dires de chacun dans une totale ouverture : « Écouter quelqu’un, c’est entendre sa voix. Écouter la voix d’un autre, c’est écouter dans le silence de soi une parole qui vient d’ailleurs… laisser résonner la parole d’un autre implique nécessairement le suspens de tout raisonnement. » (Denis Vasse, L’ombilic et la Voix, Seuil 1974). La possibilité d’établir un portrait psychologique d’un individu dépend, dans un premier temps, des questions qui lui seront posées ainsi que de l’assurance prise à bien les lui faire comprendre. Dans un second temps, de la qualité de l’écoute qui sera apportée à ses réponses.
Il y a un réel intérêt d’abandonner cette distinction entre « expertise psychiatrique » et « expertise psychologique », et de mettre à la disposition de la justice un groupe uniforme d’experts professionnellement expérimentés et bien formés à la pratique de l’expertise « médico-psychologique » sur l’ensemble du territoire national.
Enfin, la rémunération de l’expert demeure une problématique récurrente. Tous s’accordent à dire que les barèmes sont trop bas, ne tiennent pas compte du travail fourni et du temps passé, ce qui n’incite pas les psychiatres et les psychologues à s’inscrire sur les listes d’experts. La rémunération de l’expert devrait être proportionnelle à la fois aux exigences de qualification, de formation initiale et continue, des prestations demandées aux experts, et en même temps à la réalité de l’expertise, à la nécessité éventuelle de plusieurs entretiens, aux nombreuses heures d’analyse de dossier et de recherches bibliographiques, voire de déplacements en maison d’arrêt.
Conclusion
Pour mettre en place une uniformisation de l’expertise « psy », il convient d’harmoniser la formation sur l’ensemble du territoire national afin d’obtenir un contingent d’experts professionnellement expérimentés, au préalable formés à la pratique expertale en général et à l’expertise mentale en particulier. Impartialité et neutralité permettront alors d’effectuer des évaluations fiables, se rapprochant au plus près d’une objectivité nécessaire limitant ainsi les demandes de contre-expertises, qui engendrent incontestablement des frais judiciaires et des procédures dont la durée devient insupportable tant pour le justiciable que pour une bonne administration de la justice.
Certes, il y aura toujours une part humaine qui ne pourra être substituée et laissera une trace d’imprévisibilité. Elle ne pourra pas être substituée, dans une tentation de justice prédictive, par un outil d’intelligence artificielle qui aboutirait à des décisions judiciaires prévues en fonction de tel ou tel délit et/ou crime. Pour conserver leur place et leur rôle dans ce procès humain, les experts psychiatres et psychologues doivent souscrire à une telle réforme, peut-être difficile à accepter, mais indispensable à une justice de qualité.