Interview
François BLANCHECOTTE
Président du syndicat des biologistes
Quel regard portez-vous sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Qu’en attendez-vous ?
En juin dernier, nous avons découvert en avant première à l’initiative de Thomas Fatôme le rapport charges et produits. Étonnamment, le rapport ne portait pas sur nos dépenses (environ 2 milliards d’euros en 2020, 4 milliards en 2021 et 2 milliards en 2022 soit pratiquement 8 milliards d’euros au total) mais sur la gestion de nos entreprises puisque l’excédent brut d’exploitation (EBE) était principalement visé. Nous avons à cette occasion été informés que le secteur de la biologie médicale devrait s’acquitter d’une contribution de 180 millions d’euros pendant trois ans, sans même savoir quelles seraient les modalités de récupération des sommes par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM).
Nous nous sommes cependant aperçus que le mécanisme prévu était extrêmement pervers puisqu’il consisterait uniquement à baisser la « lettre clé B », au coeur de la cotation de notre nomenclature dans la mesure où cette lettre concerne l’ensemble de nos examens (hormis cotations des prélèvements réalisés par une infirmière, un biologiste etc. ). Ensuite, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, nous avons constaté que les 180 millions d’euros initialement demandés s’étaient transformés en 250 millions d’euros avec une baisse visant seulement la « clé B ».
Nous avons bien sûr compris pendant la crise qu’une situation exceptionnelle appelait une réponse exceptionnelle comme en témoigne le nombre considérable de tests que nous avons réalisés, conformément à la volonté du Président de la République de tester massivement la population (il fallait certaines années faire plus de tests que l’Allemagne soit plus de 2 millions par semaine…).
Pour faire face, nous avons embauché 10 000 personnes et nous avons du prendre un risque industriel en achetant des machines coûteuses sur le marché asiatique et plus spécifiquement chinois que nous ne connaissions pas. Le secteur privé a donc accepté de prendre ce risque, sans bénéficier d’aucune aide. Le secteur de la biologie a donc dû prendre des engagements financiers importants au regard notamment de la demande de revalorisations salariales des personnels et de l’inflation. Nous nous retrouvons toutefois aujourd’hui dans l’oeil du cyclone puisqu’il nous est demandé de redonner à l’État les bénéfices non pas sur le covid mais sur la nomenclature.
C’est une décision profondément irrationnelle. Les laboratoires n’ont en effet pas eu la même activité selon leur taille et leur implantation. Les situations ont été très différentes selon les territoires et notamment dans les territoires ruraux qui voient moins de patients que dans certaines grandes villes. Cette volonté de traiter tout le monde de la même manière alors que les situations ne sont pas les mêmes est injuste. Nous nous opposons donc fermement à cette baisse de 2 centimes du B qui impactera également au passage les tests covid (cotés en B).
En fin de compte, et c’est inédit, l’annonce de ce PLFSS a conduit l’ensemble de la profession à se réunir sous une seule bannière en formant l’Alliance de la biologie médicale (ABM). L’on constate plus globalement que cette décision gouvernementale n’a aucun lien avec la santé publique. C’est une décision purement économique portant sur la gestion de nos entreprises. Finalement, on nous reproche de nous organiser, de rentabiliser nos entreprises et in fine d’en dégager des bénéfices. On nous reproche d’avoir un excédent brut d’exploitation trop important.
Cette confusion entre le résultat net d’une entreprise et l’excédent brut d’exploitation est extrêmement préjudiciable puisque dans le cas de l’excédent brut d’exploitation, les dettes, les impôts et les amortissements ne sont pas pris en considération. Il ne reflète pas la rentabilité des nos entreprises. Si l’on regarde notre excédent brut d’exploitation les chiffres sont, en effet, passés de 18 à 23 % mais notre résultat net est autour de 11 à 12 % dans les années hors covid. Pendant le covid, il était autour de 13 à 14 % pour la simple et bonne raison que les examens covid sont devenus au fil du temps très coûteux.
Nous sommes extrêmement maltraités alors que nous avons fait (sans aucune aide à la différence du secteur public) « un effort de guerre » considérable au départ, c’est d’ailleurs pour cela qu’aujourd’hui 80 % des tests PCR sont réalisés dans des laboratoires et non dans les hôpitaux publics.
Les laboratoires ont récemment fait le choix de se mettre en grève et de notamment suspendre leur participation au Ségur du numérique. Pour quelles raisons ?
Pour faire pression sur la CNAM , nous avons cessé d’alimenter la plateforme Si-DEP des données de dépistage issues des tests PCR, antigéniques et sérologiques réalisés, ainsi que le séquençage. Nous avons toutefois poursuivi notre mission de santé publique, sans pénaliser les patients et à nos frais puisque la suspension de la transmission des données emporte la suspension du remboursement de nos actes.
Nous avons donc réalisé les tests gratuitement et les avons rendu aux français et à leurs médecins. Nous n’avons en aucun cas fait de bénéfices et ne sommes pas des irresponsables comme nous avons pu l’entendre ! Nous avons été maltraité ! Il est cependant vrai et c’est malheureux, que l’arrêt de la transmission a eu un effet collatéral que nous n’avions pas anticipé pour les arrêts de travail puisque le système est automatique en France (dès lors qu’un test est positif, un arrêt de travail est généré).
Concernant la grève sur le Ségur du numérique, nous savons que c’est un élément important du dossier médical partagé (DMP), de la messagerie sécurisée de santé (MSS) et de l’espace santé. L’Assurance maladie y tient beaucoup. Je tiens à cet égard à rappeler que les biologistes sont les premiers contributeurs de données structurées, utiles à tous. L’annonce de ce PLFSS a provoqué un immense malaise dans la profession, les autorités doivent prendre cela au sérieux. Il ne faut, par ailleurs, pas oublier que cette mesure a été adoptée par le recours à l’article 49 alinéa 3 faisant fi de toute recherche de consensus à travers la représentation nationale.
Les biologistes médicaux ont jusqu’au 1er février pour trouver un accord avec l’assurance maladie, si ce n’est pas le cas, 250 millions d’euros de baisse de tarifs seront prévus dès 2023 sur les actes courants non liés à la gestion de la crise sanitaire. Pensez-vous parvenir à un accord ?
La première réunion de négociation entre les syndicats et la CNAM débute ce soir (8 novembre). Un projet a été déposé le 17 octobre par Thomas Fatôme. Nous avons de notre côté déposé un contre projet dix jours plus tard, le 27 octobre. Ces deux projets seront donc confrontés et discutés.
Nous entrons donc aujourd’hui dans une phase cruciale. Si nous n’avons pas le début d’un accord écrit, nous poserons une grève totale des laboratoires à partir du 14 novembre qui touchera l’ensemble des 4200 sites de laboratoires qui accueillent 500 000 français chaque jour. Nous souhaitons toutefois l’entrée des discussions. En gage de bonne foi et pour nous placer dans des conditions de négociation, nous avons recommencé à alimenter le SI-DEP et repris le séquençage. La grève relative au Ségur du numérique est en revanche toujours d’actualité.
Dans l’hypothèse où un accord ne serait pas possible, quelles seraient les incidences pour le secteur de la biologie médicale et plus largement pour les français ?
Je souhaite que nous trouvions une solution en bonne intelligence pour le bien de tous. Contrairement à ce que nous entendons actuellement, nous nous intéressons à la santé de nos patients et avons conscience de notre rôle dans la prise en charge que nous assurons puisque nous avons des centres d’activités comme les hôpitaux, ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Nous irriguons en outre l’ensemble du territoire : 500 000 patients entrent chaque jour dans nos laboratoires. Environ 300 000 viennent d’eux même mais 200 000 sont ramassés dans l’intégralité des campagnes environnantes.
Nous avons par ailleurs un système composé de 4200 sites de proximité dans lesquels nous réunissons tous les prélèvements, dans des conditions draconiennes afin d’assurer leur qualité. Si nous ne parvenons pas à un accord au premier février cela veut dire que les 2 centimes du B s’appliqueront à l’ensemble des actes de biologie y compris pour les actes covid en 2023. Cela conduira inévitablement à la fermeture de laboratoires de proximité.
Si nous additionnons tous les facteurs économiques qui pèsent sur nos entreprises plus une baisse drastique de tous les actes, il y aura une incidence majeure notamment dans les territoires désertifiés. Cela aura donc un impact sur l’égalité des soins et la prise en charge sur le territoire.
En France, les patients ont la chance de pouvoir s’adresser à un laboratoire et d’être pris en charge dans la journée (à 90 %). Si les patients ont une maladie grave telle qu’une leucémie, ces derniers sont pris en charge immédiatement grâce au lien entre les biologistes, les médecins et l’hôpital.
Enfin, il faut veiller à ne pas oublier que le secteur libéral est pourvoyeur de 80 % des prélèvements qui sont séquencés. On voit donc bien que le maillage territorial est fondamental pour regarder une population. C’est le cas des biologistes médicaux qui sont au contact des patients.
Un dernier mot ?
Depuis plus de 10 ans la biologie médicale a redonné plus de 5,2 milliards d’euros à l’État. A chaque fois, la biologie médicale a été considérée comme une variable d’ajustement.