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Pour sa troisième série estivale, le CRAPS, le think tank de la Protection sociale vous propose d’imaginer à travers les contributions de nos auteurs, le regard et les commentaires – sérieux, drôles, d’humeur et pourquoi pas loufoques – qu’aurait pu avoir et tenir Hippocrate, le père de la médecine moderne sur la crise sanitaire. Comme d’habitude le romanesque, l’imagination raisonnée ou débridée guident les récits…
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Épisode 4 // Par JEAN-PAUL SEGADE
Cher ami, je t’écris de KOS une île grecque de l’archipel du Dodécanèse où je passe d’excellentes vacances. Je me réveille d’une sieste un peu lourde de par la chaleur régnante malgré le vent toujours présent. Je ne sais pas si le vin de la région un mélange d’athiri et d’assyrtiko est la cause de mon sommeil profond pendant lequel j’ai conversé avec Hippocrate. J’avais oublié que cette île avait vu naître au temps du siècle de Périclès (495-425 avant-JC) celui qui influencera la médecine jusqu’à Galien… Notre sujet de conversation était d’actualité comme si au sommet de l’Olympe, il observait notre planète.
Interrogé sur la crise du Covid pour lui il ne faut pas voir dans cette nouvelle épidémie une malédiction des Dieux, une vengeance divine ou un complot de quelconque société secrète. J’ai dans mon temps bien distingué la médecine de la théurgie et j’ai consacré le début de mes réflexions à l’autonomie de la médecine à l’égard de la religion : la médecine n’est plus à la remorque d’une anthropologie philosophique, elle doit demeurer une science de l’homme. Le Covid reste pour lui un phénomène naturel. Mais il me fit le reproche suivant : si vous aviez lu mon traité vous auriez pu réfléchir sur le lien entre la santé et l’environnement. L’évolution de l’environnement comme du commerce entre les hommes accélère l’apparition de nouvelles maladies. Celles-ci attendaient que les circonstances permettent leur diffusion. Dans le traité des airs, des eaux et des lieux, j’ai bien écrit : solidaire de son milieu homme jouit de la meilleure santé quand les influences extérieures sont équilibrées et modérées.
La crise actuelle que vous connaissez est une des crises que l’humanité connaît et connaîtra dans l’avenir, la mondialisation et l’évolution des transports ne font qu’accélérer le mouvement.
Sur les enseignements de la crise, il en retient quatre confusions :
La confusion entre l’art médical et la manière d’informer
La médecine est un art qui a ses règles et il a été étonné du pouvoir des pseudo-experts, qui n’avaient jamais vu la maladie, ni soigner un malade qui annonçaient une vérité contredite le lendemain et relayée par la force des médias. Nos journalistes seraient-ils devenus des descendants d’Asclépios. Pourtant un de vos ancêtres me dit-il avec malice, avait déjà écrit sur les dangers de confondre opinion et science. Celui-ci (La Fontaine : Fable Démocrite et les Abdéritains) avait mis en garde sur l’application en médecine de la maxime vox populi vox dei. Le médecin est un art, vous dites, aujourd’hui une science, elle doit se méfier des opinions. Et d’un sourire calculé, il me cita la conclusion de la Fable de la Fontaine :
Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est jugé récusable
En quel sens est donc véritable
Ce que j’ai lu dans certain lieu
Que sa voix est la voix de Dieu ?
La confusion sur le rôle de la médecine
L’objectif n’est pas la science pour la science, l’objectif est le malade mais inversement l’objectif n’est pas la vie éternelle. La mort fait partie de la vie et demander à la médecine ce qui n’est pas de la médecine, c’est-à-dire l’immortalité, ou à la nature ce qui n’est pas de la nature, c’est être ignorant. Certes, me dit-il, les siècles à venir m’ont reproché que ma médecine constituait une médecine sans anatomie ni physiologie et qu’elle se situait dans une approche plus naturelle que scientifique mais avais-je les moyens d’entrevoir ce que le progrès a apporté en 20 siècles de connaissances ?
La confusion sur qui fait quoi ?
Son triangle formalisé dans le texte les Epidémies positionne l’art de la médecine entre la maladie, le malade et le médecin. Les trois éléments sont indispensables, le médecin apporte son savoir et sa connaissance de la maladie et le malade doit adhérer à la prise en charge. Ce schéma reste d’actualité comme le démontre le débat sur l’apport de l’intelligence artificielle dans la santé. Ce triangle entre le médecin qui combat la maladie par sa connaissance et le malade qui aide le médecin dans sa démarche n’exclut pas au contraire le progrès scientifique mais comme Hippocrate l’a démontré dans ses Traités, le rassemblement des données obtenues par le sens (c’est-à-dire l’expérience) se complète par la raison c’est-à-dire la faculté de calculer le Logismos. Ce qui échappe aux regards des yeux est vaincu par le regard de l’intelligence me dit-il qu’elle soit numérique ou humaine peut importe mais elle doit reposer sur la clinique. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’intelligence artificielle va donner l’illusion que la vérité est au bout des algorithmes. Je n’ai pas effectué ce travail de déconstruction de la médecine à la religion pour que vous, les hommes du XXIe siècle, vous donniez à vos ordinateurs les mêmes pouvoirs que mes concitoyens donnaient aux mages.
La confusion sur les vaccins
Avant de conclure cet entretien, il eut un regret celui de de ne pas avoir connu la vaccination. Mon siècle, me rappela t’il, a connu la peste d’Athènes. Elle éclata au début de la saison chaude en 430 avant-JC puis s’affaiblit, modéra ses atteintes pendant deux ans, et fut endémique en 428 et 427, avec une recrudescence au début de l’hiver 427, pour disparaître dans les derniers mois de l’an 426. Elle a été rapportée par Thucydide, dans le Livre II de son Histoire de la guerre du Péloponnèse, Elle a causé plusieurs dizaines de milliers de morts, dont celle de Périclès, soit un quart à un tiers de la population, marquant ainsi la fin d’une époque privilégiée. La vaccination aurait évité ses épisodes successifs. Je ne comprends pas votre discussion actuelle alors même que l’Histoire démontre le contraire. Être utile reste la clé de la démarche de santé traduite par son gendre Polybe par la formule Primun non nocere ; Ce serment que tous les médecins prêtent au moment de leur thèse devrait convaincre ceux qui doutent de leur bienveillance mais votre siècle semble ne plus vouloir reconnaître l’autorité, c’est-à-dire, la sagesse des maîtres… Ah ce moment-là le téléphone sonna et vient interrompre un dialogue que j’aurais aimé poursuivre. Comme tu le vois, cher ami, c’est un rêve bien étrange au cours duquel l’Histoire et l’actualité m’ont éclairé sur nos discussions du CRAPS : les vérités premières restent éternelles.