Interview
Michèle Delaunay
Ancienne ministre déléguée aux personnes âgées
Présidente de l’Institut de Santé Publique, d’épidémiologie et du développement (ISPED) de Bordeaux
Plus d’un tiers des décès liés au Covid-19 concernent les résidents d’ehpad. Quel regard portez vous sur la gestion de la crise sanitaire ?
Ce ne sont pas 30 % mais 50 % des morts du Covid-19 qui concernent des résidents d’EHPAD. Ce pourcentage dramatique a été constant depuis le début de la crise. Il réunit les résidents morts au sein de l’EHPAD et ceux qui ont été envoyés en urgence à l’hôpital où ils sont morts. Au premier temps de l’épidémie, les morts en ehpad n’ont pas été comptabilisés et il a fallu beaucoup attendre pour que la communication gouvernementale en fasse état. Jamais cependant le Pr Salomon, n’a accepté de formuler le total des résidents décédés soit au sein de l’établissement soit après transfert en urgence à l’hôpital. Santé Publique France était alors la seule source accessible confirmant ce pourcentage terrible de 50 %, alors même que les ehpad ne constituent que 1 % de la population française. Aujourd’hui les résidents d’Ehpad morts de la Covid-19 sont près de 15 000.
Voilà ma principale critique à la gestion de la crise : alors que l’on a su très tôt que les grands âgés étaient principalement à risques (90 % des morts surviennent après 70 ans), l’attention aux Ehpad, la nécessité de les soutenir, en premier lieu en personnel et en présence médicale, a été négligée. Ils ont constitué un chaudron de contamination dès le moment où le virus était entré dans les établissements. Ma proposition de permettre aux familles qui le pouvaient et le voulaient de reprendre temporairement à domicile « leurs âgés » n’a pas été relayée alors que cela aurait pu sauver des vies. Le personnel des EHPAD est longtemps resté sans matériel de protection, et la seule mesure forte a été d’imposer un confinement en chambre individuelle alors même que cela risquait de provoquer dépressions et syndromes de glissement.
Je fais moins de cas du cafouillage qui a accompagné l’utilisation des masques ; jusqu’à ces derniers jours d’ailleurs les messages gouvernementaux sur les mesures à prendre ne faisaient pas même mention du port de masque. Heureusement, notre système de santé a fait preuve une fois de plus de sa vitalité et de son engagement. De très belles initiatives ont montré aussi sa réactivité, comme le transport à distance de malades quand les services de réanimation étaient saturés.
Le déconfinement est en cours et j’espère cette fois que le bon sens des populations permettra d’éviter une reprise de l’épidémie. Que chacun de nous y contribue.
La crise engendrée par la Covid-19 réinterroge-t-elle le modèle actuel des Ehpad ?
Oui, et fortement. Nous le savions déjà, ce modèle est à revoir, ne serait-ce que parce qu’il ne répond pas aux attentes de la génération qui va bientôt en avoir besoin.
Le premier changement consiste en la perméabilisation entre vieillissement à domicile et en ehpad. Dans un territoire, l’Ehpad doit constituer un centre de ressources pour son territoire : il doit pouvoir déployer des professionnels au domicile en cas d’aggravation de l’état d’une personne vivant seule ou insuffisamment aidée ; inversement, il doit pouvoir accueillir temporairement un agé traversant une crise et même disposer d’un accueil d’urgence pour soigner et faire le point de la situation du patient afin de mesurer s’il peut ou non retourner à son domicile. De plus, il ne doit plus être ce lieu où l’on entre et où l’on reste jusqu’à la fin, comme l’a hélas démontré la réticence du secteur des Ehpad à laisser sortir temporairement les résidents, sans frais particuliers pour eux ou leur famille.
Une réforme sur la dépendance est prévue. Selon vous quels sont les points majeurs qui conditionneront sa réussite ?
Cette formule était celle du Gouvernement de Nicolas Sarkozy qui l’a, de fait, abandonnée. De même que mon Gouvernement a renoncé à faire l’acte II de la loi ASV qui devait s’appeler « grand âge et établissements ». Espérons qu’après le drame du Covid, il ne puisse plus désormais en être de même.
La base de cette « réforme » est la revalorisation du personnel de ce secteur qui doit devenir une voie d’excellence, saluée, gratifiée à la mesure de son engagement. Aux derniers jours de mon Ministère, j’avais édité un « plan des métiers de l’autonomie » (toujours en ligne) dont je ne changerais rien aujourd’hui : formation, meilleurs salaires, passerelles entre les divers métiers de l’autonomie, progression de carrière en particulier par des échelles de valorisation des acquis de l’expérience, et perméabilisation grâce à cette progression des de la barrière entre « soignants » et « non soignants ».
Les deux rapports de Dominique Libault et Myriam El Khomri, sont remarquables et la loi grand âge, que nous attendons tous a d’ores et déjà tout le matériau qu’il faut. Le principe directeur d’un « 5e risque » doit guider la question du financement. Là aussi, les propositions ne manquent pas et ce 5e risque, s’il est robuste, marquera un pas aussi important que la Sécurité sociale elle-même quand elle a été mise en place. L’augmentation de l’espérance de vie a une double conséquence : les grands âgés sont plus nombreux, et ils sont plus nombreux à avoir des troubles cognitifs1 qui imposent l’exigence d’un accompagnement plus médical qui est à la base de cette notion de 5e risque.
En toutes choses, il faut essayer de tirer le meilleur du pire. Le drame du grand âge ces derniers mois doit nous amener à poser en profondeur la question de leur place dans la société. Les grands âgés seront bientôt, avec l’arrivée de la génération du baby boom, 4 millions. Ne les laissons pas sombrer dans une citoyenneté marginale et un manque de considération qui s’assimileraient à une euthanasie de fait. Permettez-moi de détourner quelque peu un mot d’esprit de François Mauriac « Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe qu’il faut se laisser marcher sur l’autre ». La vie n’a pas moins de valeur quand elle est proche de sa fin, peut-être même au contraire…
1 L’incidence de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés augmente selon l’âge. Quand en 1945, l’espérance de vie moyenne était de 65 ans, ils étaient relativement peu fréquents en plus d’être moins bien identifiée.