TRIBUNE
Benjamin Fourcade
Avec la hausse constante du chômage, de nouvelles formes d’emplois salariés sont apparus (télé travail, travail partiel, …). Le statut d’auto-entrepreneurs, créé en 2008 (loi du 1er janvier 2009) avait pour objectif de favoriser la création d’emplois par la création d’entreprises sans augmenter le nombre des emplois salariés.
Ce statut s’applique aux personnes physiques qui veulent créer ou possèdent déjà une entreprise individuelle dans le but d’exercer une activité commerciale, artisanale ou libérale. Les obligations déclaratives sont limitées sur le plan administratif, social et fiscal.
Pour bénéficier de ce régime, l’auto-entrepreneur peut se déclarer par internet (www.lauto-entrepreneur.fr) ou auprès du centre de formalités des entreprises (CFE), de la chambre de commerce (activités commerciales), de la chambre des métiers (activités artisanales) ou des Urssaf (activités libérales).
Cette déclaration vaut déclaration d’activité auprès du régime social des indépendants (RSI) et déclaration d’activité aux services fiscaux (avec, le cas échéant, l’option pour le régime du versement libératoire de l’impôt sur le revenu).
L’auto-entrepreneur qui crée son activité commerciale doit s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au répertoire des métiers (RM) pour les activités artisanales, qu’il s’agisse d’activités principales ou complémentaires (loi n°2014-626 du 18 juin 2014).
Sur le plan fiscal :
L’auto-entrepreneur peut bénéficier du régime fiscal de la micro-entreprise s’il réalise un chiffre d’affaires annuel ne dépassant pas un certain seuil qui s’élève à :
• 82 200 € pour les activités commerciales de vente de marchandises
• 32 900 € pour les activités de prestations de services et les professions libérales Ces seuils sont réévalués chaque année dans la même proportion que le barème de l’impôt sur le revenu.
En outre, l’impôt sur le revenu généré par l’activité de l’auto-entrepreneur peut, lui aussi, être payé forfaitairement sur la base du chiffre d’affaires réalisé.
Sur le plan social. L’auto-entrepreneur est affilié à la sécurité sociale et valide des trimestres de retraite. Il s’acquitte forfaitairement de ses charges sociales et de son impôt sur le revenu uniquement sur ce qu’il encaisse. S’il n’encaisse rien, il ne déclare rien et ne paie rien !
Un versement unique mensuel ou trimestriel règle les charges sociales et fiscales. Le forfait concerne l’ensemble des charges sociales (cotisation d’assurance maladie – maternité et la cotisation supplémentaire d’indemnités journalières, cotisation d’allocations familiales, cotisation d’assurance vieillesse du régime de base, contribution sociale généralisée (CSG), contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), cotisation au titre de la retraite complémentaire obligatoire, cotisation au régime d’invalidité et de décès).
Selon les activités, le versement unique des contributions est :
• Pour les activités de vente de marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou les prestations d’hébergement le versement unique est de 13 % du chiffre d’affaires (social + fiscal).
• Pour les activités de prestations de services commerciales ou artisanales autres que celles relevant du seuil de 82 200 € le versement unique est de 23 % du chiffre d’affaires (social + fiscal)..
• Pour les prestations de services délivrées par les professionnels libéraux qui relèvent de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) le versement unique est de 20,5 % du chiffre d’affaires (social + fiscal).
L’activité peut être exercée à titre principal ou complémentaire (salariés d’une autre entreprise, retraité,…).
Depuis sa création, le nombre d’auto-entreprises n’a cessé d’augmenter. En 2010, 190 000 personnes ont déposé une demande d’immatriculation d’auto-entreprise. Fin Juin 2015, il a été recensé par les URSSAF 1 075 000 auto-entrepreneurs inscrits (sources ACOSS/INSEE).
La moitié de ces entreprises ne déclarent aucun chiffre d’affaires !
Les créations d’entreprise sous cette forme concernent principalement les secteurs des transports, du bâtiment et de la construction, du soutien aux entreprises, de l’enseignement, l’action sociale et le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Le transport, est le premier secteur économique utilisateur d’auto-entrepreneurs. Le transport est l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois du pays. Son organisation s’est métamorphosée ces 10 dernières années avec l’aire du numérique. Transports de voyageurs longues ou courtes distances, transports de marchandises, livraison à domicile, l’ensemble des services de transport a été revu grâce aux nouvelles technologies. Il existe aujourd’hui différentes applications numériques permettant d’accéder à ces services. Une grande partie de ces donneurs d’ordres nouvelle génération font appel à des auto-entrepreneurs pour effectuer les prestations.
«UBER» est la première plateforme de mise en relation entre voyageurs et transporteurs pour du transport local. Il en existe d’autres comme, «Allo Resto service » (livraison de plats à domicile), « TOK TOK TOK » (service de commande de produits divers en livraison de proximité). Les services rendus « séduisent » un peu plus chaque jour les utilisateurs, principalement les jeunes qui maitrisent les outils numériques permettant d’avoir recours à ces services (réf au principe de l’économie collaborative).
Le secteur du bâtiment et de la construction est le deuxième secteur professionnel le plus concerné par la création d’entreprises sous statut d’auto-entrepreneurs. Des compétences professionnelles sont toutefois exigées pour la réalisation des travaux du bâtiment. L’auto-entrepreneur doit attester d’une qualification. L’absence de contrôle rend aléatoire la vérification de cette qualification avec les risques liés notamment pour le client..
Les start-ups du secteur de l’économie numérique ont souvent recours à des travailleurs sous statut d’auto-entrepreneurs. Les entreprises spécialisées dans les services à l’usager ou aux entreprises utilisent des auto-entrepreneurs pour réaliser des prestations en offrant un « service rapide et simple d’utilisation ».
Un statut favorable aux donneurs d’ordres. Une entreprise faisant appel à des auto-entrepreneurs peut externaliser certaines de ses missions. Elle peut ainsi réduire ses charges d’exploitation (réduction des coûts, réduction de la masse salariale, etc) et ainsi augmenter ces marges. Cela pourrait s’apparenter à une nouvelle forme de sous-traitance (le fait de faire appel à un prestataire externe pour effectuer une opération). Une entreprise qui ne fait appel qu’à des auto-entrepreneurs pour effectuer les opérations dont elle a la charge peut réduire considérablement ses charges d’exploitation (30 à 40% de charges en moins) en ne versant plus la moindre cotisation sociale. Elle rend un service moins cher que ses concurrents traditionnels. Cela pourrait s’apparenter à de la concurrence déloyale notamment dans le cadre des professions réglementées.
Des dérives dans l’embauche. En théorie, l’auto-entrepreneur, comme tout entrepreneur, est indépendant. Il doit pouvoir organiser son activité comme il l’entend à partir du moment où il respecte les obligations fixées dans le contrat signé avec le donneur d’ordre.
La réalité est toute autre. Ces travailleurs sont souvent totalement dépendants du donneur d’ordre qui impose, dans le détail (délais, coût de la prestation imposé,…) l’organisation des missions à effectuer.
L’auto-entrepreneur a quelquefois un contrat d’exclusivité avec son donneur d’ordre. Ils ne disposent pas de clients propres sans l’appui technique de l’application numérique dont est propriétaire le donneur d’ordre.
Enfin, il faut noter qu’il est bien plus facile de rompre un contrat avec un auto- entrepreneur que de licencier un salarié titulaire d’un contrat de travail (CDD, CDI). S’agissant des professions réglementées, des dérives encore plus inquiétantes apparaissent. C’est le cas dans le secteur du transport. Le métier de transporteur (voyageurs, marchandises) est un métier réglementé, nécessitant des autorisations spéciales pour exercer la profession. Des auto-entrepreneurs doivent reverser un loyer à leur donneur d’ordres pour effectuer la prestation en échange du prêt du matériel nécessaire à l’exercice (véhicules, téléphones, codes pour application, licence de transport, etc).
Certains donneurs d’ordres contournent la réglementation en ne faisant appel qu’à des auto-entrepreneurs non motorisés, la réglementation des transports ne s’appliquant qu’aux véhicules motorisés (les bicyclettes ne sont pas des véhicules motorisés et les transports en vélos ne sont donc pas visées par la règlementation,…).
Exemple du cas de « Take Eat Easy ». La Start-Up belge « Take Eat Easy », spécialisée dans la livraison de plats à domicile par des livreurs à vélo, demande son placement en redressement judiciaire le 26 Juillet 2016 après 3 années d’activité et près de 16 millions d’euros de levées de fond. « Take Eat Easy » avait 160 salariés, intervenait dans 20 villes françaises, travaillait avec 3200 restaurants fournisseurs de repas et avait 350 000 clients. Elle avait fait livrer 1 million de commandes depuis la création. Elle utilisait les services de 2500 livreurs en France, tous auto-entrepreneurs.
Sur chaque commande, « Take Eat Easy » facturait au restaurant une commission de 25- 30%, et des frais de livraison au client de 2,5 €. La fermeture subite de la société a laissé les livreurs sans emplois, pas payés pour les courses effectués entre le 1er et le 25 Juillet. Certains livreurs avaient du verser une « caution » à leur donneur d’ordre avant de commencer à travailler pour lui (175€ pour le matériel housse et téléphone portable).. Un recours collectif a été engagé pour réclamer les sommes non versées et requalifier le contrat en contrat de travail entre le livreur et le donneur d’ordre.
D’autres recours ont été engagés à l’encontre de la société « TOK TOK TOK ». Elle est assignée aux prud’hommes par l’un de ses livreurs qui demande à être requalifié en tant que salarié.
La question de la requalification de ces auto-entrepreneurs en tant que salariés est au cœur du débat. Dépendance économique, interdiction de travailler pour la concurrence, liens de subordination, contrats de partenariat, location de matériels par les donneurs d’ordres, sont des éléments qui poussent à croire que ces auto- entrepreneurs ne sont pas des travailleurs indépendants comme veulent le faire croire ces nouvelles entreprises « innovantes ».
Les nouvelles technologies bouleversent considérablement l’organisation du travail. L’évolution juridique autour de ces nouveaux services n’a, quant à elle, pas évolué aussi vite. Il s’est alors installé un flou juridique autour de ces nouvelles activités. Mais, ces pratiques protègent-elles réellement les utilisateurs des services ?
Elles instaurent des distorsions de concurrence entre ceux qui payent la totalité des cotisations (les entreprises «normales») et les auto-entrepreneurs notoirement sous taxés sur le plan social comme sur le plan fiscal. Ce statut peut même conduire à la disparition d’entreprises déjà existantes qui pourraient être fragilisées par une concurrence « déloyale » du fait des charges moindres.Le principe initial était de créer un statut simplifié pour les nouveaux entrepreneurs avant la création d’une véritable entreprise.
Les dérives autour de ce statut n’ont fait qu’accentuer la précarisation du salariat en incitant à l’externalisation des activités jusque là exercées au sein de l’entreprise en tant salarié. En période de crise, à un moment où la reprise est « molle », le risque est grand de voir des entreprises demander à des « éventuels collaborateurs » de se déclarer auto-entrepreneur afin de les utiliser comme sous-traitant plutôt que de les embaucher.
L’absence de contrat de travail, de protection juridique (accident du travail, responsabilité, assurance professionnelle, assurance chômage, cotisations retraite) du prestataire comme du client poseront des problèmes juridiques qu’il serait nécessaire d’anticiper.Sur le plan financier, les bénéfices tirés par les auto-entrepreneurs (rappel : le moitié ne déclare aucune recette donc aucun bénéfice) restent peu élevés. Un « jeune chauffeur d’UBER» expliquait dans une interview à la télé, qu’il percevait 6 000€uros par mois de recettes pour 55 à 60 heures de travail par semaine, principalement la nuit et le WE. Sur ces recettes, après versement des redevances à UBER, la location de son véhicule et le paiement des charges diverses, son revenu net mensuel était inférieur à 2 000€uros. Mais, « il est libre »…
« Libre » mais privé de droit comme de prestations (voir situation des « livreurs de « Take Eat Easy ») auxquelles les salariés, par leurs luttes, ont accès aujourd’hui (prestations en cas de cessation d’activité de l’entreprise,…).
En effet, en dehors d’une protection sociale « à minima », les auto-entrepreneurs disposent de beaucoup moins de droits pour les arrêts de travail, le chômage ou la retraite.
Les cotisations minimales qu’ils versent par ailleurs ne manqueront pas de peser sur les ressources de la protection sociale du fait des réductions de cotisations accordées.
Conformément à la volonté exprimée par le gouvernement à travers l’adoption de lois récentes, de « libérer » les activités économiques, les prestations de service assurées par les auto-entrepreneurs doivent, en tous cas, être « organisées » pour protéger aussi bien le consommateur que le marché.
La qualification juridique de ces activités est donc impérieuse pour proposer un cadre réglementaire permettant d’assurer une concurrence loyale entre les opérateurs économiques.
S’agissant notamment du secteur du bâtiment, et malgré les quelques contraintes fixées dans la Loi, les compétences de l’auto-entrepreneur difficiles à évaluer avant l’engagement des travaux, devront faire l’objet d’une règlementation afin de permettre, au client de contester les malfaçons. Il faut rappeler qu’il n’existe aucun contrôle à priori des diplômes de l’auto-entrepreneur pas plus que sa souscription d’assurances professionnelles couvrant les risques.
Enfin, le coté « déclaratif » des documents sociaux et fiscaux déposés favorise la fraude (sous déclaration du CA réalisé) aucun contrôle n’étant prévu. Le risque de non imposition des rémunérations perçues est important à un moment où la collectivité a des difficultés à trouver des ressources pérennes.