Dr Julien Carvelli
Service de réanimation des urgences de l’hôpital de la Timone, Marseille Immunopôle (AP-HM)
Mesdames, Messieurs,
J’ai 34 ans et travaille en réanimation à Marseille. Je suis interniste de formation, jeune chercheur motivé à mes heures perdues… je ne les compte déjà plus. La recherche médicale est une passion. Pratique ou fondamentale, elle donne du sens à mon métier et s’inscrit en synergie avec mon activité de clinicien, toujours au service des patients. Cette articulation clinicien-chercheur est essentielle à mes yeux, nous ne devons jamais la perdre, même au détriment de la rentabilité scientifique. La recherche médicale nous rapproche chaque jour de la vérité en essayant de donner une réponse aux questions qui n’en ont pas ou pas complètement : quand et comment apparaît une maladie ? Quels en sont les mécanismes ? Ces questions visent à proposer et à évaluer des solutions (notamment thérapeutiques) pour améliorer la qualité de vie des patients, la condition humaine en général.
Le chercheur doit engager les meilleurs moyens à sa disposition et la meilleure méthodologie. L’exigence intellectuelle et morale (intégrité scientifique et éthique) l’accompagne tout au long de ses travaux.
La recherche est un bien fondamental de notre société. Elle est le socle du savoir. Celui-ci réunit tous les citoyens, il est universel. La France doit réinvestir dans une recherche de qualité, la valoriser, la rendre plus accessible et plus juste.
Reconnaissance et valorisation des médecins-chercheurs
Il est facile de comprendre pourquoi la recherche épidémiologique est un bastion de la recherche médicale au Danemark. Depuis la fin des années 60, les données santé de tous les Danois sont collectées dans des bases de données standardisées et interconnectables grâce au numéro de registre civil, unique et personnel, attribué à tous les Danois à la naissance. La collecte et sauvegarde systématique de tissus et échantillons biologiques humains débute à la même époque. S’y rajoutent aujourd’hui les données génomiques, collectées au sein du Centre génomique danois. Toutes ces bases de données sont ouvertes pour la recherche. Toutefois, l’enjeu principal est la protection des données privées, et sa garantie peut entraîner des délais pour obtenir l’accès aux bases de données. Le projet « OSCAR » travaille sur le développement d’une plateforme sécurisée, qui sera finalisée en 2023. Cette plateforme de données de santé danoises, cryptées et anonymisées, permettra d’effectuer des analyses agrégées rapidement et en toute sécurité et dans le plein respect de la vie privée et des droits des citoyens sur leurs propres données.
Essais cliniques avec le personnel soignant et le patient au cœur
Le médecin-chercheur est souvent un universitaire (futur ou actuel). Les universités sont trop politisées et empêchent parfois une recherche innovante et de qualité. Dans l’attribution des financements pour la recherche, les commissions d’attribution, au niveau universitaire et des directions hospitalières, sont trop bien en place : les mêmes décideurs, partout, chaque année ! Les liens d’intérêt et enjeux politiques polluent l’attribution de ces financements. Les liens d’intérêt financiers sont souvent mis en avant, mais on oublie les liens d’intérêt politiques dans le secteur public. Une démocratisation est essentielle avec la mise en place d’un turn-over et d’un rajeunissement des décideurs. Par ailleurs, au sein d’équipes de recherche répondant à une organisation pyramidale, le jeune chercheur représente trop souvent une main-d’œuvre « bon marché », serviable (son avenir en dépend), avec peu de liberté personnelle en termes d’entreprise et de découverte. Il faut bousculer cet équilibre pour redynamiser le système. Il faut encourager la mobilité des médecins-chercheurs et mettre en concurrence hôpitaux et universités : un médecin-chercheur à Marseille pourrait facilement aller exercer son activité de recherche à l’université de Lyon et accéder à un poste universitaire dans les 2 villes. Ce travail doit être pensé à l’échelle européenne.
Bref, redynamisons rapidement la recherche française (et européenne) !
La recherche française obéit à une routine administrative et institutionnelle qu’il convient de bousculer. Les systèmes en place ne favorisent pas la créativité, l’entreprise, l’innovation et la prise de risque. Le système public, notamment universitaire, doit rapidement revoir ses mécanismes de fonctionnement sous peine de voir les meilleurs chercheurs partir, dans le secteur privé ou à l’étranger. En dehors de la démocratisation et la libéralisation du fonctionnement de la recherche au sein même du secteur public, le renforcement des liens public-privé est essentiel : le secteur privé est riche et permet d’accélérer l’entreprise et l’innovation. L’indépendance du chercheur est essentielle, mais le lien avec le secteur privé ne la sacrifie absolument pas.
L’enseignement de la recherche est également un pilier de son dynamisme. La « bonne » recherche, intellectuelle et morale, doit être enseignée le plus tôt possible au plus grand nombre. Elle pourrait commencer dès le plus jeune âge en enseignant les manières d’accéder à une bonne information scientifique, notamment sur les outils numériques. La recherche doit « faire envie » aux plus jeunes ! L’enseignement moderne est pluridisciplinaire et délocalisé. Il permet un accès permanent et à n’importe quel endroit. Le maintien du lien dont la société a besoin pour que la science puisse continuer à lui profiter passe évidemment par l’éducation.
Je suis critique mais pas moins optimiste. Mes convictions s’appuient, concernant le savoir, sur un besoin de liberté, de justice et d’universalisme. Au-delà de cette lettre, j’en parlerai sans relâche de vive voix à qui voudra bien m’entendre.