Dossier

« La santé des plus jeunes est un enjeu de société qui doit faire l’objet d’un portage politique fort des pouvoirs publics »

Par
Anaïs Fossier
Directrice des études et des relations publiques du CRAPS

Si au siècle dernier, la France avait l’un des taux de mortalité infantile les plus faibles d’Europe grâce, notamment, à la généralisation de la vaccination, des antibiotiques, au déploiement des dépistages prénataux et à une amélioration de la prise en charge des nouveau-nés, force est de constater que la donne a changé. Elle a changé car depuis 2015, la mortalité infantile y est supérieure à la moyenne européenne. Selon l’Insee, la France se classe ainsi à la 26e place (derrière la Suède, l’Italie et l’Espagne), avec 2700 décès d’enfants de moins d’un an recensés en 20211. Parmi eux, 1200 décès annuels sont jugés évitables et plus de 50 % des événements graves en salle d’accouchement aussi2. En parallèle, la morbidité infantile augmente : troubles du neurodéveloppement, diabète, obésité, augmentation des passages aux urgences pour gestes et idées suicidaires, sont autant d’alertes qui témoignent d’une dégradation – préoccupante – de la santé des plus jeunes. Un état des lieux qui révèle les difficultés de notre politique de santé publique à s’adapter aux plus vulnérables de notre société, nos enfants. 

La pluralité d’acteurs qui interviennent, avec des objectifs et des priorités souvent différents, la persistance de nombreux plans et programmes nationaux et territoriaux de santé non ou mal coordonnés, ne permettent pas une vision unifiée et transversale de la santé de l’enfant qui s’inscrive dans la durée. De cet éclatement résulte une grande difficulté de lisibilité des acteurs pour les parents, des délais de prise en charge importants, une prise en compte insuffisante de l’ensemble des besoins de santé de l’enfant, une méconnaissance (et complexité) des dispositifs d’accompagnement aux familles, et plus globalement, des difficultés pour identifier les priorités à mettre en œuvre. Missionnée par le ministre de la Santé en septembre 2020, l’Inspection générale des affaires sociales faisait d’ailleurs état d’une organisation « non-optimale et insuffisamment intégrée des soins de santé de l’enfant en France ». Un constat qui doit nous interpeller collectivement et nous conduire à identifier les pistes d’amélioration possibles de notre système de santé ainsi que les problématiques de santé émergentes qui touchent les plus jeunes. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une telle réflexion. Les indicateurs sanitaires, économiques et sociaux de demain en dépendent. 

ARRÊTER DE METTRE DES « PANSEMENTS SUR UNE JAMBE DE BOIS » 

L’hiver 2022 a tristement mis en lumière la fragilité de notre système de santé pédiatrique avec des urgences saturées, des nourrissons déplacés, un personnel soignant durement éprouvé. Une situation insoutenable qui avait conduit plus de 10 000 soignants à dénoncer dans une lettre ouverte au président de la République une « dégradation criante des soins » mettant « quotidiennement en danger » les enfants. Leur témoignage – poignant – en dit long : « nous pensions que transférer des enfants à 300 kilomètres de chez eux était une dégradation majeure des soins, nous constatons désormais qu’il pouvait y avoir pire : ne plus pouvoir transférer, car l’épidémie a déferlé partout, saturant l’ensemble des services de pédiatrie français ». Face à l’urgence, Mélodie Aubart, neuropédiatre à Necker, avait alors appelé de ses vœux des réformes structurelles pour ne pas « continuer de mettre en permanence des pansements sur une jambe de bois », fustigeant le mot d’ordre du « petits patients, petits moyens », avec l’idée que n’importe qui pouvait faire de la pédiatrie » prédominant pendant des années. Si cette crise dont chacun a pu mesurer l’ampleur a fait la une de tous les médias, elle n’est cependant pas nouvelle puisque les professionnels de la pédiatrie sont habitués à fonctionner dans des conditions « extrêmement dégradées », rappelle le Président du Conseil National Professionnel de la pédiatrie, Robert Cohen, avec « une charge de permanence et de continuité des soins particulièrement importante, notamment aux urgences pédiatriques ». Une crise qui touche par ailleurs tous les champs de la santé de l’enfant : la ville, l’hôpital, le public, le libéral, la prévention, les soins curatifs, la formation et la recherche. C’est donc l’intégralité du système de prise en charge de la santé de l’enfant qui doit être repensé et renforcé. 

En 2023, 8740 pédiatres étaient recensés sur le territoire3. Si le nombre de pédiatres hospitaliers a augmenté ces dernières années, celui des libéraux est en revanche en chute libre, avec seulement 2676 praticiens en exercice4. Une situation dont l’aggravation est à prévoir au regard des départs en retraite qui s’annoncent, puisque 44% des pédiatres avaient plus de 60 ans en 2020, et faute de jeunes praticiens mobilisables. On constate plus largement que la place du pédiatre dans le parcours de santé de l’enfant est très variable selon les territoires. Preuve en est : huit départements comptent moins d’un pédiatre pour 100 000 habitants5. L’Indre affiche, à titre d’exemple, une densité de 1,85 pédiatre pour 100 000 habitants, alors que ce chiffre atteint 45,8 à Paris et 21,75 dans le Val-de-Marne6. Les délais pour obtenir un rendez-vous chez un pédiatre s’allongent quant à eux fortement et atteignent en moyenne trois semaines, contre seulement deux jours chez un généraliste. Une situation qui explique que plus de 85 % des enfants de moins de 16 ans soient aujourd’hui suivis par des généralistes, alors que seulement 30 % bénéficient d’un suivi pédiatrique (souvent axé sur les moins de deux ans ou issus de milieux favorisés)7. Cette situation contraste avec celle de la majorité des pays européens, où la prise en charge de la santé de l’enfant est principalement confiée à un pédiatre plutôt qu’à un médecin généraliste. Une prise en charge par les médecins généralistes français rendue difficile puisque leur formation en matière de santé infantile reste, pour beaucoup, très insuffisante et hétérogène. Compte tenu du contexte démographique des professionnels et de l’évolution du temps médical, une réflexion visant à définir un périmètre d’action pour valoriser les compétences de chaque spécialité et à favoriser la complémentarité des interventions, s’impose. Il est plus globalement nécessaire d’organiser des réseaux de professionnels coordonnés sur des objectifs communs qui correspondent aux besoins et aux réalités des territoires. Des réseaux coordonnés qui incluraient notamment la PMI, la médecine scolaire et les professionnels de santé libéraux pour améliorer la lisibilité des ressources en santé. Le manque de coordination et de clarté de l’offre de soins avec des professionnels qui interviennent de façon fragmentée ne permettant pas une prise en charge optimale et conduisant in fine de nombreux parents à s’orienter vers les urgences déjà saturées. Une coopération plus étroite entre la pédiatrie de ville et celle hospitalière gagnerait par ailleurs à être développée, en particulier pour la prise en charge des maladies chroniques. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons espérer avoir une prise en charge de la santé de l’enfant de qualité. 

ASSUMER UNE POSITION DE « RESPONSABILITÉ POLITIQUE » 

L’égal accès de tous les enfants à des soins de qualité, et ce dès la naissance, doit rester un objectif central de nos organisations. La qualité des prises en charge et l’organisation des soins jouent un rôle décisif en matière de gestion des risques en santé périnatale lors des accouchements et des suites de la naissance. Ces moments sont déterminants pour la survie des nouveau-nés, mais aussi pour leur développement émotionnel et cognitif. La structuration de la prise en charge globale et l’appui à la parentalité autour de la naissance constituent dès lors un enjeu central de santé publique. Pourtant, les principaux indicateurs de santé périnatale mettent en lumière une performance « médiocre de la France par rapport aux autres pays européens » avec des risques périnataux en progression. Des risques identifiés liés à différents facteurs tels qu’une prise de poids inadaptée pendant la grossesse, des consommations à risque, l’augmentation des grossesses tardives, mais aussi à une sécurité et une qualité des soins insuffisantes. Si le sujet de la fermeture des maternités pour des raisons de qualité et de sécurité des soins fait régulièrement l’objet de débats passionnés, il n’est pas nouveau puisqu’en 20 ans, 40 % des maternités de proximité ont fermé leurs portes8, principalement celles de type 1 à la faible activité (moins de 300 accouchements par an). Dans les plus gros établissements, la couverture reste « satisfaisante » mais ces établissements sont « saturés et offrent des conditions de travail et d’accueil dégradées »9. « Si dans le haut risque, c’est le manque de lits en réanimation néonatale et le manque de personnels infirmiers qui pose problème, dans le bas risque, c’est l’organisation de l’offre périnatale qui est en cause » analyse le président de la société française de néonatalogie, Jean-Christophe Rozé. Même constat à la société de médecine périnatale qui identifie la dispersion des plateaux techniques comme l’une des « principales causes d’événements indésirables dans le domaine de la gynécologie-obstétrique ». 

En effet, « l’éparpillement des structures de soins » rend celles de petites tailles peu attractives et conduit à la réalisation d’un nombre d’actes techniques très insuffisant pour rester compétent sur un temps long avec « un risque en cas d’urgences vitales ». En outre, l’évolution de la démographie des professionnels de santé associée à une réduction du temps médical affecte directement le fonctionnement des structures avec un recours quasi-systématique à l’intérim (qui désorganise les équipes en place) et conduit in fine à leur maintien « sous perfusion » quand en parallèle « l’offre de soins néonatale est devenue insuffisante et inadaptée ». Face à ce constat, l’idée d’une restructuration de l’offre de soins incluant un regroupement des plateaux techniques obestétricaux a fait son chemin. Si les élus locaux, au nom de la proximité la rejettent – pour la plupart – en bloc, le chef de la maternité de Necker, Yves Villes , au nom de la sécurité de la mère et de l’enfant insiste : une centaine de maternités devraient faire l’objet d’un regroupement et accoucher dans celles qui pratiquent moins de 1000 accouchements par an ne serait plus acceptable ! Une vision partagée par la sénatrice de Meurthe-et-Moselle, Véronique Guillauton, considérant qu’une rationalisation des plateaux techniques apparaît « souhaitable et inévitable » précisant toutefois qu’une « offre de proximité garantissant un suivi prénatal et postnatal immédiat sur le territoire » doit être garantie. 

Dans la même lignée, Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes appelle à la vigilance puisqu’une restructuration subie induirait une « réorganisation de l’offre de soins non-pertinente, non coordonnée et profondément déstabilisatrice dans les territoires ». Pour qu’une telle situation ne se produise pas, il convient donc aujourd’hui d’assumer une « position de responsabilité politique ». La question d’un accès rapide aux services de maternité, en particulier dans les zones où les distances représentent un enjeu majeur, est par ailleurs essentielle. La DGOS rappelle que des délais d’accès supérieurs à 30-45 minutes augmentent le risque de mortalité périnatale. Dès lors, une réorganisation implique d’être en capacité de garantir un système de transport d’urgence efficace et d’envisager des solutions d’hébergement temporaire pour les femmes enceintes proches du terme. Une réforme de l’offre de soins périnatals devrait, en outre, s’appuyer sur une évaluation des besoins de santé dans les territoires, prenant en compte l’évolution de la natalité et les spécificités géographiques. Seule une approche coordonnée, alliant proximité et sécurité, permettra d’assurer une prise en charge de qualité pour toutes les femmes et leurs nouveau-nés. 

PRENDRE CONSCIENCE QU’AUJOURD’HUI « C’EST DÉJÀ DEMAIN » ! 

Les enfants et adolescents traversent de nombreux changements physiologiques, affectifs et scolaires, qui peuvent jouer un rôle déterminant dans l’apparition de souffrances psychiques. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et appellent à une prise de conscience urgente : environ 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent d’un trouble psychique et une étude de la DREES révèle par ailleurs que, pour l’année 2022, les tentatives de suicide ont augmenté de 63 % chez les 10- 14 ans. Autre fait interpellant, l’usage de médicaments psychotropes se répand chez les plus jeunes. Entre 2014 et 2021, la consommation d’antidépresseurs a augmenté de 62 % chez les enfants, et celle d’hypnotiques et sédatifs de 155 %10. Des risques doublés, voire triplés depuis le Covid par une « société qui a du mal à se construire avec des éléments de référence, qu’ils soient économiques, sociologiques, politiques » regrette Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes. Si la crise sanitaire a révélé avec acuité une souffrance psychique des plus jeunes, le phénomène n’est pas nouveau puisque la demande de soins en santé mentale pour les jeunes a progressé de 10 à 20 % par an ces dix dernières années avec pour effet une saturation des dispositifs de soins, en particulier ceux d’urgence. Une évolution des besoins déjà évoquée par le Sénat qui, en 2017, soulignait l’inadéquation de l’offre de soins en psychiatrie pour les mineurs et les difficultés rencontrées dans la prise en charge des situations d’urgence. Ces difficultés relèvent de problèmes structurels identifiés de longue date tels que le déficit de professionnels, la fragmentation des prises en charge ou encore un défaut d’approche globale. Ces insuffisances ont des conséquences graves : adolescents soignés dans des services pour adultes faute de place en pédopsychiatrie, délais d’attente pour un suivi souvent très longs, défaut de repérage des violences…qui engendrent des retards dans les diagnostics, les traitements et des difficultés à mettre en oeuvre une prévention efficace et une prise en charge de qualité. 

Alors qu’une prise en charge précoce des enfants et adolescents atteints de troubles psychiques est gage d’une meilleure stabilisation de la maladie voire de rétablissement à l’âge adulte, il est crucial d’agir suffisamment tôt. D’autant plus lorsque nous savons que 35 % des troubles psychiatriques chez les adultes apparaissent avant l’âge de 14 ans et 48 % avant 18 ans11. De façon plus globale, les retards dans le repérage des violences sont extrêmement préjudiciables puisque « 30 % à 40 % des patients que nous voyons en consultation et en hospitalisation ont subi des violences et/ou des violences sexuelles dans leur enfance » rappelle Rachel Bocher. En France, les violences envers les enfants restent une réalité préoccupante. En 2022, 24 % d’un échantillon de 1000 Français de plus de 18 ans estimaient avoir été victimes de maltraitances graves au cours de leur enfance. Parmi les enfants, ceux qui sont en situation de handicap ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être victime de violences sexuelles. Des traumatismes qui laissent de surcroît des traces profondes et engendrent à long terme des maladies graves telles que les cancers, les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux ou encore des troubles psychologiques sévères, avec une espérance de vie réduite de près de 20 ans pour les victimes12. Face à ces différentes obser vations, il est indispensable d’agir et de détecter les troubles le plus en amont possible en mobilisant l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ de la santé de l’enfant. L’articulation entre le dépistage précoce et la prise en charge doit par ailleurs être renforcée par une meilleure coordination des différents métiers oeuvrant pour le bien-être, le développement de l’enfant, et les soins psychiques. Cela implique de favoriser la coordination entre tous les 
professionnels et de promouvoir le travail en réseau au niveau du bassin de vie de l’enfant. 

Dans un autre registre mais non sans lien, l’obésité infantile qui progresse de façon préoccupante devrait également se voir accorder un haut degré de priorité par les pouvoirs publics. Les chiffres sont en effet édifiants : en 2020, 34 % des enfants de 2 à 7 ans et 21 % des enfants de 8 à 17 ans étaient en situation de surpoids ou d’obésité13. Une réalité qui appelle des réponses urgentes puisque 20 % et 50 % des enfants en situation d’obésité avant la puberté le resteront à l’âge adulte. Un chiffre qui peut grimper à 50 % voire 70 % si l’obésité persiste après la puberté14. Le surpoids et l’obésité, ainsi que les maladies qui leur sont liées, sont en grande partie évitables par l’acquisition de comportements favorables à la santé. A cet égard, une approche pluridisciplinaire qui intègre donc, entre autres, un accompagnement nutritionnel, un suivi psychologique et une activité physique régulière, est cruciale. Activité physique qui demeure malheureusement très insuffisante chez les plus jeunes. Le professeur François Carré, cardiologue et président du collectif « Pour une France en forme », a d’ailleurs comparé la capacité physique des collégiens actuels à celle d’un adulte sédentaire de 60 ans. Un phénomène source d’inquiétude pour le professeur Carré puisque « cela signifie un risque de maladie, voire de mortalité plus précoce ». « Aujourd’hui, les enfants ont globalement une pression artérielle et des taux de glycémie et de cholestérol plus élevés que ceux d’il y a vingt ans », « ils ont des maladies de vieux et préparent leur infarctus à 30 ans » ! 

L’activité physique et la lutte contre la sédentarité doivent par conséquent être promues à tous les âges de la vie. La généralisation en primaire (septembre 2022) des 30 minutes d’activité physique quotidienne a été un important progrès, mais reste une simple recommandation. « On ne donne pas vraiment aux écoles les moyens de la mettre en pratique », déplore Augustin Raupp, enseignant en activité physique adaptée (APA).Des recherches ont plus largement montré que l’état nutritionnel de la mère a une influence significative sur le devenir de l’enfant. La probabilité d’avoir un enfant atteint d’obésité est en effet 2,5 fois plus élevée quand sa mère l’était avant la grossesse15. Le Président de l’Association française de chirurgie, Patrick Pessaux, rappelle à cet égard l’importance d’investir sur la prévention primaire qui se situe dès la procréation pour éviter l’obésité et insiste sur l’attention particulière devant être portée à la prise en charge des futures mères en surpoids et en obésité. Pour ce faire, « un suivi rapproché permettrait la détection plus rapide des cas d’obésité » constate le président. « Cela implique les crèches et le milieu scolaire », lieux appropriés pour proposer des cours sur l’alimentation et apprendre aux enfants et à leurs parents à manger plus sainement. « C’est un chantier à mener avec la restauration collective, mais aussi en multipliant les activités sportives dans nos crèches et nos écoles ». 

FAIRE DE L’ÉCOLE RÉPUBLICAINE UN « LIEU DE SANTÉ PUBLIQUE » ! 

Chacun perçoit sans difficulté les liens qui unissent la santé et l’éducation. Plus le niveau d’éducation d’un individu est élevé plus sa santé a de chances d’être bonne et vice-versa16. Un enfant qui a des difficultés à voir, entendre ou s’exprimer sera inévitablement confronté à des difficultés scolaires. C’est également un lieu privilégié pour l’apprentissage de comportements favorables à la santé, qui constitue le facteur ayant l’impact le plus déterminant sur la santé à long terme. L’enjeu est donc central pour le système éducatif. Parce que c’est l’une des conditions de la réussite de tous les élèves, parce que la santé est un enjeu de citoyenneté et parce que l’école républicaine a vocation à contribuer à la réduction des inégalités d’éducation et de santé. Faire de l’école un levier de lutte contre les inégalités (qui s’enracinent dès le plus jeune âge) doit donc être un idéal vers lequel tendre. Influencées par le revenu, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle des parents, ces inégalités se répercutent de manière alarmante sur la santé des enfants. Ceux d’entre eux issus de foyers à faible revenus présentent ainsi un taux de surpoids ou d’obésité trois fois plus élevé que ceux des foyers les plus aisés. En matière de santé mentale, les inégalités sociales sont également nombreuses. Santé publique France rapporte d’ailleurs que « de nombreuses pathologies sont plus fréquentes en présence d’un désavantage social (surtout financier), notamment les troubles mentaux ». Qu’il s’agisse de « troubles du spectre autistique, du comportement, émotionnels », les enfants des milieux défavorisés semblent les plus touchés. Pour rappel, 1 enfant sur 5 vit en situation de pauvreté en France. À Mayotte, ce chiffre s’élève à 8 enfants sur 10, en Guyane à 6 sur 10. Lutter contre ces inégalités de destin implique alors de prendre des mesures ciblées, précoces et intégrées. Cela commence par des politiques éducatives qui prennent en compte la santé des enfants, leur environnement familial, et les conditions sociales dans lesquelles ils évoluent. Cela passe également par des actions de prévention et d’éducation à la santé mises en oeuvre dès le plus jeune âge puisque nous savons qu’elles ont beaucoup plus d’efficacité qu’une intervention tardive qui complexifie les changements de comportements. 

Acquérir des savoirs en santé suppose par ailleurs de disposer d’un bon niveau de littératie en santé et de compétences psychosociales. De faibles compétences en la matière étant associées à des comportements moins favorables à la santé, une augmentation des hospitalisations et des coûts. À l’inverse, un bon niveau de littératie en santé renforce la résilience individuelle, aide à limiter les inégalités en matière de santé et améliore le bien-être. Ces compétences que chaque enfant est appelé à maîtriser, relèvent de l’action quotidienne des acteurs de l’éducation et en premier lieu les enseignants. Ainsi, les établissements scolaires sont invités à « construire une démarche éducative progressive telle qu’un parcours éducatif de santé » explique Didier Jourdan, directeur de la chaire Unesco « éducation et santé ». Un parcours « basé sur les programmes scolaires et les dispositifs de prévention locaux, qui décrit les compétences à acquérir à chacune des étapes de la scolarité et le cadre qui permettra d’y par venir ». L’école est donc un des lieux privilégiés pour promouvoir les comportements favorables à la santé. La médecine scolaire constitue pour cela un domaine d’action primordial, mais se trouve en grande difficulté. Alors que des visites médicales sont prévues (et obligatoires) à 6 et 12 ans, huit enfants sur dix n’ont jamais rencontré de médecin scolaire17 durant leur scolarité en primaire, et quatre sur dix n’ont pas bénéficié du bilan de santé pourtant obligatoire à l’entrée au collège. Une défaillance qui prive les enfants les plus vulnérables d’une évaluation préventive constituant parfois la seule garantie d’accès aux soins et à un suivi sanitaire. La variabilité du taux de réalisation des examens en milieu scolaire selon les départements s’avère également préjudiciable pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. 

La Cour des comptes avait d’ailleurs souligné en avril 2020 les difficultés persistantes dans l’organisation de la médecine scolaire. En particulier « la répartition des missions entre les médecins et les infirmiers qui repose sur une intervention séparée et cloisonnée, sans système d’information partagé ni principe de subsidiarité ou de gradation dans le suivi ». In fine, malgré des moyens en hausse depuis 2018, la politique de santé scolaire « ne parvient pas à pleinement réaliser ses missions » déplore l’ancien député de l’Essonne, Robin Réda. Une conclusion plutôt logique compte tenu de la charge de travail : un médecin scolaire pour 13000 élèves, un psychologue de l’éducation nationale (PsyEN) pour 1500 élèves et un infirmier pour 1300 élèves18. En résumé, nous faisons face à « l’aboutissement insatisfaisant d’une histoire administrative compliquée, à contre-courant de l’évolution retenue pour tout le reste des dispositifs et professions de santé », « une réponse excessive à des pressions catégorielles faisant prévaloir des approches par métier au détriment d’une vision globale des besoins de la santé scolaire » note la Cour. La santé scolaire, dispositif clé dans la stratégie de santé publique doit par conséquent être rénovée par des investissements humains et matériels mais aussi par une profonde réorganisation de son fonctionnement. Dans cette optique, un pilotage coordonné au niveau départemental, académique et central est « absolument nécessaire pour replacer la santé scolaire au centre des préoccupations des responsables administratifs et académiques » et pour mettre en exergue « l’importance de ces professions et de leur travail au quotidien, et pour assurer une bonne répartition des moyens sur un territoire donné » estime Robin Réda. Finalement, ce n’est qu’avec « une volonté forte de transformer la santé scolaire portée par les ministères qui en ont la charge »19 que nous pouvons espérer rendre les futures générations autonomes dans la gestion de leur santé. 

Pour conclure, bien que la santé de l’enfant ait figuré ces dernières années parmi les priorités revendiquées des gouvernements successifs, force est de constater que cela ne s’est pas concrétisé par un plan d’envergure. Les réponses demeurent encore trop insuffisantes, avec un empilement de mesures ponctuelles et fragmentées, sans vision globale ni ambition réelle. La santé des plus jeunes est un enjeu de société qui doit faire l’objet d’un portage politique fort des pouvoirs publics. En leur garantissant un accès universel à des soins de qualité, en renforçant la prévention dès le plus jeune âge, nous poserons les fondations d’une société plus juste et solidaire, où chaque individu dès son enfance pourra s’accomplir. Si le président de la République veut croire que « nos enfants vivront mieux demain que nous ne vivons aujourd’hui », cela ne sera possible qu’à la condition qu’une politique de santé de l’enfant globale, ambitieuse, qui refonde le système de prévention et de soins, soit mise en oeuvre ! 

Sources :
1. INSEE – Depuis 2015, la mortalité infantile en France est supérieure à la moyenne européenne.
2. INSERM et HAS – Augmentation significative de la mortalité infantile en France.
3. DREES.
4. Assurance Maladie – Convention médicale- Focus pédiatres.
5. Vie Publique – Pédiatrie et soins de santé des enfants : une situation préoccupante.
6. Sénat – Mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale
7. Vie Publique – Pédiatrie et soins de santé des enfants : une situation préoccupante
8. Public Sénat, Fin des accouchements dans les petites maternités
9. Académie de médecine, Rapport 23-05, Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : Organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence. 
10. La Croix – Santé mentale : cinq points à retenir sur la future « grande cause nationale ».
11. Cour des comptes, La pédopsychiatrie, un accès et une offre de soins à réorganiser.
12. https://www.france-enfance-protegee.fr/wp-content/uploads/2024/05/Parcours-de-soins-pour-les-enfants-proteges-Reco-CNPE-2024-01.pdf
13. Ligue nationale contre l’obésité – Forte progression de l’obésité en France.
14. France Assos santé – Obésité des enfants l’urgence d’agir.
15. Assurance Maladie – Prévention du surpoids et de l’obésité de l’enfant.
16. https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2017/11/health-at-a-glance-2017_g1g800d8/health_glance-2017-fr.pdf
17. Assemblée nationale – Question écrite n° 14697 : Situation alarmante de la médecine scolaire.
18. Unaf – Enquête sur la vision que porte les parents sur la médecine scolaire 
19. Révolutionner la prévention, une réforme de la santé scolaire pour agir dès l’enfance -François Krabansky, médecin spécialiste en santé publique.