Tribune
Pr. Alain Bernard
Président de l’IRAPS Bourgogne-Franche-Comté
Ces dix dernières années, nous avons observé un changement important de la chirurgie grâce à l’avènement des technologies dites mini-invasives, où le chirurgien réalise l’opération en pratiquant de petites incisions. Ces nouvelles approches ont eu le mérite de permettre aux patients de récupérer plus rapidement et d’être moins pénalisés par l’acte de chirurgie. Les technologies mini-invasives ont influencé la diminution de la mortalité et des complications, cependant ce n’est pas le seul facteur qui a contribué à cette évolution favorable. Le facteur prépondérant est la modification des cancers opérés évitant de pratiquer sur les patients des interventions mutilantes. Plus récemment, la chirurgie robotique est en train de s’imposer auprès des équipes chirurgicales pour réaliser un certain nombre d’interventions.
Quels bénéfices pour les patients ?
L’innovation chirurgicale va poursuivre sa progression par l’intermédiaire de la robotique et de l’intelligence artificielle. Dans quelques années, le métier de chirurgien n’aura plus rien à voir avec celui que nous avons pratiqué. Nous pouvons imaginer que ces technologies sont développées pour bénéficier aux patients en leur permettant d’être mieux traités et de voir leur qualité de vie améliorée. Ce point essentiel, nous avons du mal à l’observer lorsqu’on lit la littérature consacrée à toutes ces nouvelles technologies. En théorie, toute innovation technologique devrait faire l’objet de la démonstration de son bénéfice pour le patient ainsi que de sa sécurité grâce à des études probantes. Pour le moment, nous sommes dans l’attente de ce type d’étude. En revanche, nous observons une médiatisation des exploits chirurgicaux faisant croire aux patients que la technologie va les guérir de leur maladie sans avoir la moindre démonstration scientifique du bénéfice. Nous avons l’impression que certaines équipes sont plus dans une démarche « marketing » que dans une démonstration de l’amélioration significative de la vie de leurs patients grâce à la technologie. Sur les réseaux sociaux, les mérites de la chirurgie 4.0 sont vantés en parlant de l’intelligence artificielle associée à la chirurgie robotique. Ces présentations sont magnifiques, elles font rêver, elles ne peuvent que séduire les chirurgiens et leurs patients. Ces communications évoquent de manière marginale des bénéfices potentiels pour le patient.
Pour essayer de changer le cours des évènements, cela passe par la sensibilisation des jeunes chirurgiens aux méthodes d’évaluation des technologies de santé. Au cours de leur cursus de formation, le sens critique devrait être enseigné. Les méthodes d’évaluation d’une technologie innovante et de la recherche clinique sont peu enseignées à la faculté de Médecine et au cours de la formation des internes de chirurgie. L’évolution des nouvelles technologies devrait inciter les nouveaux chirurgiens à se former à ces démarches.
Former des médecins avant tout
Cela peut paraître un lieu commun que de rappeler qu’un chirurgien est avant tout un médecin à la disposition de son patient pour lui proposer l’intervention la plus appropriée à son état de santé. Nous sommes inquiets de l’évolution du métier à cause de la rapidité du changement des pratiques. La formation des jeunes chirurgiens devrait davantage insister sur la notion d’empathie qui est trop souvent peu évoquée et de l’importance du colloque singulier. Les formations dispensées au cours de l’apprentissage du métier de chirurgien sont le plus souvent focalisées sur la maîtrise de la technologie chirurgicale. Si les responsables de ces formations ne prennent pas conscience de cela, le métier de chirurgien sera de plus en plus dévalorisé pouvant aboutir à son remplacement par des techniciens ou des ingénieurs qui seront capables de réaliser des interventions chirurgicales grâce à l’intelligence artificielle et à la robotique. Nos propos peuvent paraître exagérés, cependant l’innovation chirurgicale va se poursuivre et la formation devra s’adapter si elle veut continuer de former des médecins capables de pratiquer des interventions chirurgicales. La prise en compte du patient dans toutes ses dimensions ne pourra pas être supplantée par l’intelligence artificielle. Seul le chirurgien pourra échanger, informer et rassurer le patient, en n’oubliant pas qu’un patient n’est pas uniquement un organe à traiter.
Des plateaux techniques performants
Toutes ces nouvelles technologies, exigeant des investissements importants, vont contraindre de revoir l’organisation des plateaux techniques, si l’on veut que chaque patient français puisse accéder à ces innovations. La nécessité de regrouper les plateaux techniques s’impose pour obtenir des équipes ayant un volume d’activité suffisant pour maîtriser ces technologies. L’évolution du métier de chirurgien passe par le travail en équipe qui est essentiel pour offrir aux patients des soins de qualité. L’équipe comprend non seulement des chirurgiens, mais également les anesthésistes, les infirmières, les kinésithérapeutiques, entre autres. Les résultats d’une intervention chirurgicale reflètent le travail d’une équipe au quotidien ainsi que son organisation.
Évaluation de la qualité des soins
L’évolution du métier de chirurgien du fait de l’accélération des nouvelles technologies imposera d’évaluer les résultats de sa pratique et fera de la démarche qualité une des priorités. La demande des patients est forte d’obtenir une information sur la performance de l’équipe chirurgicale qui doit le prendre en charge. Pour répondre à cette demande légitime des patients, les chirurgiens devront accepter l’analyse des résultats de leur pratique et de la pertinence de leurs indications.
La France, comme je l’ai déjà écrit, possède un certain retard par rapport à d’autres pays dans la démarche de l’évaluation des résultats. La transformation du métier de chirurgien devra intégrer la dimension de la mesure de la qualité des soins, si l’on veut que le chirurgien de demain soit avant tout un médecin et pas uniquement un technicien. Se poser la question de la qualité des soins qui sont pratiqués, c’est de la médecine. Cette démarche permet aux équipes de se comparer à une référence nationale, cette démarche vertueuse peut corriger d’éventuels écarts.
Enfin, d’imaginer que l’on peut demeurer chirurgien tout au long de sa carrière sans une remise en question à un moment donné, grâce à une évaluation de ses connaissances et de la qualité de sa pratique, est inconcevable. Une confirmation à un intervalle régulier du niveau de compétence et de sécurité d’un chirurgien et de son équipe est indispensable. Cette démarche devra être intégrée dans les carrières des futurs chirurgiens.
Conclusion
Vous avez compris que le métier de chirurgien va considérablement changer au cours des prochaines décennies. Pour rendre le futur métier de chirurgien attractif, la notion d’équipe devient essentielle. La formation à la recherche clinique et à la démarche qualité devient indispensable. Le patient doit demeurer au centre des préoccupations des futurs chirurgiens. Si tous ces principes fondamentaux de la pratique médicale ne sont pas respectés, nous aurons dans le futur des techniciens de santé maîtrisant parfaitement les outils technologiques, mais éloignés d’une médecine humaniste dont ont besoin les patients.
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– « Mortality and failure-to-rescue major complication trends after lung cancer surgery between 2005 and 2020: a nationwide population-based study ». BMJ Open 2023 ; 13 : e075463. doi : 10.1136/ bmjopen-2023-075463
– « Is the Évaluation of Robot-Assisted Surgery Based on Sufficient Scientific Evidence? ». J. Clin. Med. 2023, 12, 422. https://doi.org/10.3390/jcm12020422
– « Comparaison de la mortalité des résections pulmonaires en France avec les autres pays européens ». Revue des maladies respiratoires : https://doi.org/10.1016/j.rmr.2022.08.002