Interview
VÉRONIQUE PUCHE
Directrice des Systèmes d’Information de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)
Pouvez-vous préciser le rôle du dispositif de ressources mensuelles dans le programme de modernisation de la délivrance des prestations sociales ? En quoi peut-il être considéré comme un carrefour des données sociales, cousin de la banque carrefour des données sociales belge ?
À l’origine, le DRM fait suite à un rapport de 2017 de l’IGAS et de l’IGF qui identifiait le manque de contemporanéité entre la situation des bénéficiaires et leurs droits sociaux soumis à condition de ressources. Le parallèle avec la banque-carrefour des données sociales belge est pertinent, un benchmark avait effectivement été établi : tout n’était pas complètement transposable, mais le DRM constitue tout de même un référentiel consolidé qui permet d’avoir une visibilité sur l’ensemble des ressources perçues par les salariés et les bénéficiaires des revenus de remplacement. Le DRM tel qu’il est aujourd’hui gagnerait à être complété et le modèle de données enrichi pour effectivement disposer de l’ensemble des ressources des individus : c’est bien le plan de marche qui est envisagé.
Quels sont les enjeux et pistes concrètes d’utilisation du DRM pour appuyer la lutte contre le non-recours ? Quels autres besoins pourraient être couverts ?
À l’origine, il y avait plusieurs enjeux au DRM : rendre plus transparentes les données qui sont détenues par les organismes de Sécurité sociale, ne pas solliciter plusieurs fois l’assuré (principe du « dites-le-nous une fois »), et se mettre en capacité de mieux répondre à l’objectif de lutte contre la fraude et le non-recours. Le fait de disposer, dans une base, de l’ensemble des ressources individuelles pour l’intégralité de la population, avec un caractère croisable, constitue un outil redoutable d’efficacité. à ce titre, le principe de contemporanéité fait du DRM un outil mobilisable pour répondre de manière réactive à des commandes politiques d’aides financières activables selon les ressources des individus, comme dans le cadre du versement de l’indemnité inflation à la fin de l’année 2021. Cette indemnité a pu être versée sans sollicitation des usagers, sur le seul examen du DRM et des croisements de données qui ont été effectués, ce qui constitue un usage extrêmement prometteur. Le DRM ouvre également des perspectives prometteuses en matière de lutte contre la fraude : on pourra plus facilement identifier s’il y a des versements de prestations antagonistes ou si des versements se situent au-delà d’un plafond de ressources. Cela s’inscrit dans la continuité des actions de lutte contre la fraude qui sont réalisées au niveau de chaque organisme, sur leur périmètre de prestations, et constitue une opportunité forte de développer en cible une approche transverse à la sphère sociale.
Quels enjeux identifiez-vous pour la CNAV en tant qu’opérateur dans le cadre du déploiement de ce dispositif vis-à-vis des partenaires de la sphère sociale ?
La CNAV est opérateur de plusieurs référentiels transverses majeurs de la sphère sociale : le SNGI pour les identités des individus, le RGCU pour l’alimentation des carrières, le RNCPS pour la connaissance par bénéficiaire des affiliations et risques couverts, l’EIRR pour les échanges interrégimes de retraite (qui a vocation à converger vers le DRM) et désormais le DRM. En tant qu’opérateur informatique, elle porte également, vis-à-vis des organismes clients, les enjeux liés à la qualité, la stabilité et l’intégrité des données qui sont contenues dans ces différents référentiels et en particulier sur le DRM. Les données qui sont contenues dans les référentiels sont des données de référence et doivent, en ce sens, être le moins transformées possible. La garantie de cette intégrité constitue un enjeu pour la CNAV en tant qu’opérateur. Le DRM, en tant qu’entrepôt de données alimenté par les dispositifs sources que sont la Déclaration sociale nominative (DSN) et Prélèvement à la source des revenus autres (Pasrau), n’a ainsi pas vocation à modifier ces données. Vis-à-vis des systèmes sources, la mise en place d’une gouvernance de la donnée pour maintenir l’intégrité de la donnée sur toute la chaîne de traitement est donc essentielle.
Pensez-vous qu’une bonne intelligibilité des données est également un prérequis pour l’acceptation par les bénéficiaires de cette logique « inversée » d’un système qui va calculer les prestations sans leur détailler les éléments recueillis, c’est-à-dire avec possiblement un effet « boîte noire » ?
C’est vrai qu’aujourd’hui l’usager connaît les données qu’il renseigne pour le calcul des prestations. Le fait d’automatiser la récupération de la source du calcul peut entraîner un effet « boîte noire » : c’est pour cela qu’une des conditions de réussite est d’opérer une simplification, une clarification de la réglementation pour que cela puisse être lisible et communicable vis-à-vis de l’ensemble de la population. Un travail est également à mener pour restituer à l’assuré les données que l’on détient sur lui de manière compréhensible.
La logique trimestrielle de la période de référence, mise en place dans le cadre de la réforme des allocations logement, entraîne des fluctuations fortes de revenus, impactant de manière conséquente le versement des droits. Y a-t-il, dans le cadre de l’élargissement des usages à venir, des perspectives d’évolution sur la notion de période de référence, pour tendre vers une temporalité qui permettrait plus de stabilité dans le versement des droits ?
Un retour d’expérience sur la notion de contemporanéité et sur la période de référence pourra être utile pour la suite. Le sujet des périodes de référence peut faire débat. Lors de la réflexion sur la mise en place de l’indemnité inflation, cela a aussi été un sujet majeur : partait-on sur une base de référence de 3 mois, d’un mois ? On est finalement partis sur une période de référence d’un mois, en faisant en sorte que cela puisse être le plus juste.
Est-ce que vous identifiez aujourd’hui des écueils à éviter sur les prochaines années concernant ce programme de transformation majeur ?
À chaque fois que l’on va étendre les usages du DRM, il faudra être vigilant à ne faire porter au DRM que ce qu’il doit porter, en tant que référentiel et ne pas y introduire de règles de gestion métier à la place d’un organisme client du DRM. Un autre écueil à éviter serait de ne pas travailler sur les parcours usagers qui sont des éléments clés pour que les réformes à venir fonctionnent et soient vécues par les bénéficiaires comme une réelle simplification.