Pr Antoine Magnan
Conseiller recherche de la DGOS, Ex-Président du Comité national de coordination de la recherche (CNCR), Hôpital Foch et université de Versailles Saint Quentin Paris-Saclay
L’Hôpital prépare la médecine de demain avec les universités et les EPST.
La médecine de demain est une médecine utilisant largement le numérique, dont les décisions seront fondées sur des preuves générées à partir de l’étude de données massives : cliniques, fonctionnelles, d’imagerie, biologiques, d’environnement… Ces données intégrées ensemble et par rapport au temps permettront d’affiner les facteurs de risques des maladies ou de leurs complications, la réponse aux traitements ciblés, et la survenue d’effets secondaires. Cette médecine personnalisée permettra d’apporter la bonne prise en charge au bon patient. Son développement repose sur l’existence de preuves construites grâce à l’analyse de cohortes de patients parfaitement bien phénotypés, de bases de données très larges et d’excellente qualité, et de biocollections soigneusement caractérisées stockées dans des conditions certifiées. Les cohortes « en vie réelle » reposent de plus en plus sur l’utilisation des données de santé générées au cours du soin, qui alimentent des entrepôts de données utilisables à des fins de recherche.
Dès lors qu’il s’agit de patients, ce sont les structures hospitalières, par essence en charge du recrutement, qui constituent les bases de données et les biocollections. Un savoir-faire s’est construit au cours des 30 dernières années au travers des organisations des départements de recherche clinique et d’innovation des centres hospitaliers universitaires (CHU) et d’un nombre croissant de centres hospitaliers publics et privés souhaitant investir le champ de la recherche. Ces structures ont l’expertise de la rédaction de projets, de la réponse aux appels d’offres, des demandes d’autorisation et des contrôles qualité nécessaires à une recherche d’excellence. Elles possèdent les centres de ressources biologiques et les entrepôts de données nécessaires.
Mais on ne fait pas de recherche sans chercheurs, et la recherche à l’hôpital repose nécessairement sur un écosystème académique et universitaire, public et privé, de haut niveau, permettant de définir une stratégie de recherche compétitive, répondant aux standards internationaux et à même de répondre aux grandes questions de santé publique. Les CHU sont par essence au cœur de tels écosystèmes, co-construits avec les universités et les établissements publics scientifiques et techniques (EPST), le plus souvent l’INSERM mais aussi le CNRS, l’INRA et d’autres. La présence d’enseignants-chercheurs hospitalo-universitaires qui émargent à une université et à un EPST permet d’organiser ce ménage à trois avec la réussite que l’on connaît depuis plus de soixante ans. Le lien entre les hospitalo-universitaires et les chercheurs a permis le développement de la recherche translationnelle débouchant sur des essais cliniques et des innovations. Les CHU ne sont pas les seuls établissements hospitaliers à répondre à ces objectifs, et outre un certain nombre de grands centres hospitaliers publics certains hôpitaux privés, dont certains établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), sont devenus des acteurs importants de la recherche hospitalière. Ils permettent souvent une agilité et une rapidité de la prise de décision à sa mise en œuvre contrastant parfois avec la lourdeur administrative des paquebots hospitalo-universitaires publics. Parmi les ESPIC, le cas des centres de lutte contre le cancer (CLCC) est probablement exemplaire. Centrés sur le cancer, ils ont su développer des structures d’essais précoces capables de répondre rapidement aux enjeux de l’innovation et de maintenir une attractivité forte de la France pour les industriels en matière de traitements anticancéreux.
Un système à bout de souffle à réinvestir et à rénover.
Pourtant, le système semble aujourd’hui à bout de souffle. La crise COVID a bien sûr redonné à la recherche hospitalière un élan et un dynamisme fort, mais désordonné et insuffisamment efficace, mettant ainsi en lumière le retard important de la France par rapport aux autres pays européens pour ce qui est de la recherche et développement de médicaments antiviraux ou de vaccins. En effet, la perte d’attractivité pour les carrières hospitalo-universitaires, la lourdeur des organisations en recherche, l’empilement de structures redondantes et illisibles, la difficulté à avoir des politiques de recherche cohérentes entre les acteurs ont éloigné les chercheurs de l’hôpital et découragé les investisseurs privés et les grandes entreprises du médicament.
Quelles sont les solutions ? D’abord, notre recherche en santé souffre d’un déficit structurel en financement qu’il est absolument nécessaire de rattraper. Les différents appels d’offres du plan d’investissement d’avenir ont indéniablement permis depuis 10 ans à de grands projets d’émerger, et la loi de programmation de la recherche récemment votée apportera aussi des possibilités de financement intéressantes. La crise du COVID a montré l’importance de la recherche en santé et à cet égard sera probablement une opportunité en incitant à un effort inédit que le « Ségur de la santé » a préfiguré. Encore faut-il que cette manne injectée aille bien à la machine de recherche elle-même, aux investissements nécessaires sur le terrain et aux chercheurs eux-mêmes. Ceux-ci préfèrent, en effet, souvent d’autres pays européens dans lesquels ils sont mieux soutenus et mieux reconnus. Il ne faudrait pas que cet effort aille alimenter de nouvelles structures soi-disant d’appui, coûteuses en ressources humaines et venant s’ajouter à des entités déjà existantes et jamais évaluées.
Mais l’argent n’est pas le seul levier de relance de la recherche en santé, notamment hospitalière. Une interaction beaucoup plus forte entre les acteurs, allant jusqu’à l’intrication et un maillage serré de ceux-ci entre eux, est une nécessité absolue et une urgence. Aujourd’hui, le seul moyen de développer la recherche d’excellence si compétitive sur le plan international, c’est de faire « ensemble » entre acteurs de proximité, dans le cadre d’une politique de site offensive et structurante. L’université autonome sur son territoire doit pouvoir être un acteur fort d’incitation pour que les EPST, mais aussi les grandes écoles et les collectivités locales comme les régions, unissent leurs forces à celles de l’hôpital pour développer une recherche efficace et agile, centrée sur les forces locales.
L’hôpital au centre du maillage territorial de la recherche et de la formation à la recherche
L’hôpital doit être un acteur majeur de cette dynamique, en proposant le développement de nouveaux métiers de la recherche à l’interface entre médecins, soignants, chercheurs, et bien sûr patients. Cela peut se faire en rénovant et réinventant parfois des outils qui existent et ont fait leurs preuves : les Centres d’investigations cliniques qui marient l’INSERM et l’Hôpital doivent être revisités. Ceux qui ne fonctionnent pas doivent être arrêtés, et d’autres doivent être créés pour donner leurs chances aux acteurs qui souhaitent travailler ensemble. Le modèle doit être étendu en dehors des CHU, dans les structures hospitalières qui ont l’ambition, la masse critique et les compétences.
Les étudiants doivent être mieux accueillis à l’hôpital. Étudiants en médecine mais aussi en biologie, en sciences sociales, en ingénierie, en informatique etc. L’Hôpital est un lieu de stage incomparable capable d’attirer à la santé de multiples disciplines. Les parcours MD-PhD qui permettent aux étudiants en médecine d’acquérir une formation solide en recherche doivent être multipliés. L’hôpital peut être à l’initiative de ces parcours, dans une logique de stratégie de site avec les universités et les EPST.
L’hôpital doit aussi pouvoir accueillir des chercheurs confirmés, et pourquoi pas en embaucher en donnant à des postdocs qui ont vocation à développer une recherche translationnelle ambitieuse la possibilité de le faire dans l’établissement, là encore sous l’égide des universités et en lien fort avec les EPST. S’il n’y a pas de recherche sans chercheurs, il n’y a pas non plus de recherche en santé sans médecins et sans soignants. À côté d’unités de recherche fondamentale, il manque souvent des laboratoires de recherche translationnelle, faute de moyens et d’accès aux patients. C’est de la responsabilité de l’Hôpital au sens large d’offrir cet espace, ce chaînon manquant avant la recherche clinique proprement dite. De tels laboratoires peuvent avoir les tutelles hospitalières, universitaires et des EPST.
Enfin, qui dit politique de site dit aussi politique territoriale. Lorsque j’étais président du Comité national de coordination de la recherche (CNCR), j’ai beaucoup poussé à une organisation territoriale de la recherche notamment dans le périmètre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ou des subdivisions universitaires, incluant les CHU et les établissements qui les entourent, y compris certains ESPIC et les CLCC. Le développement de la recherche en dehors des CHU, éventuellement sous l’égide ou la tutelle de ceux-ci lorsqu’il s’agit de partager des compétences rares et de venir en appui, a l’intérêt scientifique majeur de pouvoir inclure dans les cohortes des patients qui ne relèvent pas des soins de recours et d’obtenir un reflet meilleur de la réalité. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit des études en vie réelle et des études à partir des données de santé. Développer la recherche dans ces établissements, c’est renforcer leur attractivité pour les médecins, pour les patients, et pour les industriels qui y trouveraient de nouveaux espaces d’investigation. Il y a une dimension d’égalité d’accès à l’innovation dans un concept de « parcours recherche » du patient qui est aussi à considérer. Il reste encore à convaincre les acteurs eux-mêmes.
Le post-COVID sera le temps de la réinvention de la recherche en santé dans notre pays. Les outils existent, saisissons-les et faisons-nous confiance. La France pourra alors redevenir une terre de découverte et d’innovation.