TRIBUNE
La qualité de l’analyse portée par l’ACP ne supporte pas l’approximation, tant les chances thérapeutiques du patient en dépendent

Jean-Paul Ségade & Frédéric Bouvier

Vice-Président du CRAPS, IGAS et ex-Directeur Général de l’AP-HM & Directeur de la Stratégie et New Business Development de Philips

La santé offre un cadre idéal pour aborder le débat sur l’innovation et l’évolution de notre société. Le débat récent sur le transhumanisme, l’apport des technologies de l’information dans les métiers de la santé, la robotisation de certaines fonctions médicales, l’émergence de médicaments plus efficaces et personnalisés sont un des aspects d’une innovation en marche. L’objet de cet article est d’aborder un cas concret celui de l’anatomie pathologie et d’essayer d’en tirer des incidences.

Le contexte

L’Anatomie et Cytologie Pathologique (ACP) est l’étude microscopique des altérations organiques des tissus et cellules. De nombreuses affections (à l’instar du cancer) ne peuvent être reconnues avec précision que par l’examen microscopique d’un fragment de la lésion (histopathologie) ou d’un étalement de cellules isolées (cytopathologie). L’examen anatomopathologique est une étape clé du parcours du patient en oncologie qui permet de caractériser le type de cancer et de préparer la décision thérapeutique. L’avenir de l’ACP est donc de nature à présenter des enjeux majeurs pour le système de santé.

Les enjeux 

Enjeux épidémiologiques. Le besoin d’examen ACP connaît une dynamique forte qui s’accélère, dû au vieillissement de la population, ainsi qu’à la progression des pathologies chroniques, inflammatoires et surtout cancéreuses. Le cancer est la première cause de mortalité prématurée en France, devant les maladies cardiovasculaires, avec 148 000 décès en 2015. L’incidence du cancer a été augmentée par 2 au cours des trente dernières années, pour atteindre 355 000 nouveaux cas en 2015. Cette incidence continuera de croître avec la transition démographique et les modes de vie.

Enjeux démographiques. Les médecins ACP sont devenus une ressource rare, avec une répartition hétérogène sur le territoire. On compte en France moins de 1600 anatomopathologistes, avec une densité moyenne de seulement 2,2 pour 100 000 habitants, et une plus forte densité en région parisienne et le sud-est. L’âge moyen est de 52 ans, la population en activité a diminué de 10% entre 2008 et 2013.

Enjeux cliniques. La qualité de l’analyse portée par l’ACP ne supporte pas l’approximation, tant les chances thérapeutiques du patient en dépendent. Or les examens microscopiques, tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui, conduisent à une variabilité des observations qui menace la pertinence du diagnostic posé pour 25% des lames (un patient sur quatre).

Enjeux d’efficience. Le flux logistique des lames de verre est aujourd’hui un frein à la diminution des délais de rendu des résultats et une perte d’efficience des laboratoires Le flux logistique, en l’absence de dématérialisation du produit d’observation, conduit à des délais dans la procédure du fait des conditions actuelles de stockage et manipulation des lames. Cela retarde les examens et limite la possibilité de solliciter un second avis dans des conditions optimales pour le patient.

L’innovation induite

Elle  repose sur trois exigences et induit un modèle d’organisation.

• Performance organisationnelle : limitation des manipulations physiques ;

• Performance clinique : algorithmes d’aide au diagnostic, intelligence adaptative identifiant les zones d’intérêt et réalisant le comptage tumoral, priorisation des informations diagnostic, élimination des déviations ; élimination des pertes de chance pour le patient ;

• Performance médico-économique : mise en réseau des médecins ACP, sécurisation du second avis.

Le modèle. Le modèle induit par ce projet intègre une évolution vers des modèles organisationnels de « tour de contrôle » et des modèles économiques de « plateforme as-a-service » à l’échelle d’un territoire autour d’un établissement pivot.

Le modèle économique se traduit par  des gains de productivité exprimés en nombre de lames traités et en économie en personnel de près de 20% des effectifs soit un retour sur investissement sur 5 ans.

Les effets indirects concernent principalement la réduction des durées moyennes de séjour hospitalier. L’analyse du PMSI 2015 permet d’observer un écart jusqu’à +2,4 jours entre les DMS d’une même série de GHM, avec ou sans acte ACP. La pathologie numérique offre des gains de productivité tels qu’on peut envisager de réduire substantiellement cet écart. 

Les leçons

Au-delà de cette exemple, il appartient au monde de la santé et donc de l’hôpital de relever le défi de la révolution numérique à l’hôpital et de faire de ce progrès un levier de transformation. Cet exemple démontre que la dynamique qui en découle va conduire à la concentration de l’expertise dans des centres régionaux ainsi constitués avec une finalité positive pour le malade.

à chaque progrès technique correspond un mode d’organisation de la santé :

• L’émergence d’un fort progrès technique a conduit dans un premier temps à la construction de hauts plateaux techniques. à cette architecture correspondait le temps plein médical  un statut unique mais également la concentration dans un seul lieu de toutes les activités (mythe de l’établissement mono site). 

• La révolution des techniques informatiques, l’hyper spécialisation des métiers, l’innovation médicale poussent à la fédération de compétences diverses et non de structures ou de bâtiments. 

Or, force est de constater que la peur des incidences de ce progrès médical l’emporte sur la nécessaire anticipation d’un progrès technique en marche. Comme à toutes les époques l’innovation rebat les cartes, et heurte les rentes de situation de toute nature. 

Ce qui coûte cher dans notre système de santé ce n’est pas l’innovation mais le refus de prendre en compte ses incidences en continuant de financer des organisations inefficientes ou maintenir des règles statutaires ne collant plus aux nouvelles organisations. Le tout, in fine, au détriment du patient comme au détriment d’une conduite positive du changement avec l’ensemble des acteurs médicaux et non médicaux.

Le danger c’est d’avoir peur de l’innovation, la chance c’est de tirer profit de l’innovation et d’anticiper.