Tribune

« Les CLCC disposent […] d’une combinaison d’atouts uniques pour décliner une stratégie de prévention globale »

Par
Sophie Beaupère
Déléguée générale d’Unicancer

40 % des cancers pourraient être évités en opérant sur les comportements à risque tels que le tabac, l’alcool, les modes et habitudes de vie ou les expositions environnementales1. Agir via les trois niveaux de prévention – primaire, secondaire et tertiaire2 – s’impose ainsi plus que jamais comme un impératif de santé publique. Pour améliorer leur efficacité et pallier les limites des programmes de prévention traditionnels, les récentes innovations technologiques, thérapeutiques et organisationnelles constituent des leviers majeurs. 

La révolution numérique, doublée de la révolution organisationnelle de la médecine, a entraîné une croissance exponentielle des données médicales et de santé. Ces données massives peuvent être mises en relation et en interaction grâce à des outils numériques puissants et des évolutions technologiques qui ont donné naissance à l’intelligence artificielle. Il en découle de grands changements et de nombreuses innovations pour la pratique médicale, notamment en cancérologie avec l’arrivée du concept de médecine de précision et de médecine « one health ». 

Utilisé dans le champ de la prévention, le recours aux algorithmes et à l’exploitation de données permet d’identifier très précocement les cancers et de réduire l’apparition de formes graves. Il facilite la modélisation des maladies dans l’ensemble des composantes des patients, l’adaptation, la personnalisation de leur prise en charge sur un champ très large couvrant l’estimation individuelle du risque, l’anticipation de la réponse au traitement ainsi que son impact, mais aussi l’aide à la décision médicale pluridisciplinaire pour définir la stratégie de prise en charge la plus adaptée. En découle enfin le développement de nouveaux types d’essais cliniques, grâce aux techniques des bras synthétiques3 ou de jumeaux numériques4, qui renouvellent l’approche des études et permettent d’améliorer la compréhension des pathologies et des traitements, pour que chaque soignant puisse mieux les adapter au profil de chaque patient. 

Au long cours, les applications digitales à destination des patients ainsi que les différents outils de suivi des parcours de soins garantissent également un suivi étroit concourant à la réduction de la survenue d’effets indésirables ou de complications impactant la qualité de vie des patients. 

En ce sens, Unicancer bâtit depuis plusieurs années une stratégie en matière de pilotage des parcours de soins, à l’aide d’outils de télésurveillance, de téléconsultation et de télésuivi, afin qu’ils soient structurés, coordonnés, digitalisés et évalués. L’un des exemples emblématiques de cette dynamique est le projet Onco’Link de suivi à domicile des patients traités par anticancéreux oraux. Face à l’essor massif du recours aux traitements anticancéreux par voie orale pris à domicile dont la majorité est délivrée par les pharmacies d’officines en ville, l’expérimentation portée par Unicancer et lancée en 2021 dans le cadre de l’article 51 vise à améliorer la qualité de suivi des patients traités par anticancéreux oraux et à réduire la consommation de soins liée aux complications et au suivi du traitement des patients via une détection précoce des éventuelles complications. La principale réussite de l’expérimentation réside dans la qualité de la remontée d’informations sur les traitements dont bénéficient les patients et permise par un outil commun de recueil de données. 

En parallèle, la Fédération déploie plusieurs programmes digitaux visant à évaluer la qualité de vie des patients atteints de cancers, tels que l’étude CANTO (Cancer Toxicities) qui s’assure que les patients guéris de cancer vivent avec la meilleure qualité de vie possible en s’attachant à prévenir les éventuelles toxicités et séquelles liées aux traitements, ou encore l’initiative Clic’Consult, une plateforme numérique pour accompagner les patients dans la préparation de leur consultation médicale. 

Au sein des Centres de lutte contre le cancer, le dépistage, la surveillance prolongée des patients, la recherche, les soins et l’enseignement constituent des missions fondamentales, inscrites dans leurs statuts par l’ordonnance du 1ᵉʳ octobre 19455. Les CLCC disposent en effet d’une combinaison d’atouts uniques pour décliner une stratégie de prévention globale, efficace et coordonnée à l’échelle territoriale : la visibilité auprès du grand public, les soins de support, l’expertise en matière de dépistage et de détection précoces, les consultations d’oncogénétique ou encore la biologie moléculaire. À date, plus de 35 projets liés à la prévention au sens large sont développés dans le réseau Unicancer. 

Parmi les plus emblématiques figurent Épidaure, le département historique de prévention de l’Institut de cancérologie de Montpellier qui développe depuis 1988 des programmes de recherche et des actions de prévention et d’éducation en santé auprès des jeunes de la région pour réduire leur exposition à des facteurs de risque, ou encore le Bergo’Bus, une initiative déployée par l’Institut Bergonié depuis 2021 pour favoriser la logique d’aller-vers, indispensable à l’accessibilité aux soins des populations les plus éloignées des établissements de santé. Sur le volet de la prévention secondaire, l’étude internationale MyPeBs, une étude clinique internationale multicentrique randomisée d’envergure auprès de 56 700 patientes résidant dans différents pays européens et promue par Unicancer vise à évaluer l’efficacité et la faisabilité d’un dépistage personnalisé du cancer du sein, basé sur le risque individuel de chaque femme. Enfin, le programme Interception, déployé dans le cadre d’un dispositif article 51 par Unicancer, est aussi une source d’inspiration forte. Piloté par Gustave Roussy, il a pour objectif d’identifier au plus tôt les personnes à haut risque de cancer, organise des journées de sensibilisation et propose un suivi à distance renforcé par la coordination ville-hôpital et le télésuivi assuré par un questionnaire en ligne. 

En s’appuyant sur les nombreuses actions menées par les Centres de lutte contre le cancer en la matière, la Fédération Unicancer a déployé une stratégie forte incarnée par un « Groupe Prévention » dont l’objectif est le partage de bonnes pratiques, le renforcement du positionnement des CLCC sur la prévention et la définition de lignes directrices communes à l’ensemble du réseau. Parce que près de 20 % des patients pris en charge développent un second cancer, la prévention des risques de rechute est l’une des priorités majeures identifiées par le groupe, qui nécessite une stratégie de prévention tertiaire proactive incluant des objectifs ciblés et des outils efficaces : les atouts du numérique sont indiscutables. Unicancer a ainsi mis en œuvre la co-construction d’un parcours commun des patients en phase de rétablissement ou encore des journées de partage de pratiques enrichissantes sur des thématiques telles que l’après-cancer. 

Plus largement, Unicancer plaide et travaille à la modélisation de centres de prévention et de ressources multidimensionnels qui assureraient la continuité entre la prévention primaire, secondaire et tertiaire. Adossés à des centres experts et à dimension pluridisciplinaire, ils réunissent les différentes compétences dans un même lieu, mais s’appuient aussi sur les outils numériques pour démultiplier leurs actions6

Sources :
1. Centre international de recherche sur le cancer, Organisation mondiale de la santé et Santé Publique France. Rapport « Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine – Centre international de recherche sur le cancer », 2018.
2. Les 3 niveaux de prévention selon l’OMS : Prévention primaire (ensemble des mesures visant à éviter ou réduire la survenue ou l’incidence des maladies, des accidents et des handicaps) ; prévention secondaire (intervention qui cherche à diminuer la prévalence d’une maladie dans une population) ; prévention tertiaire (intervient après la survenue de la maladie et tend à réduire les complications et les risques de rechute. Il s’agit d’amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie ou de son traitement).
3. Un bras de contrôle synthétique ou bras virtuel est une approche où des données externes à l’essai sont utilisées comme base de comparaison pour évaluer les résultats du groupe expérimental. 
4. Le jumeau numérique, en anglais « digital twin », est un concept ancien issu de l’aéronautique, utilisé dès les années 1960 par la NASA. En santé, la modélisation fine d’un patient ou de ses organes par un JN permet d’envisager une meilleure prise en compte de ses particularités pour sa prise en charge médicale, voire même pour la conception de nouvelles thérapeutiques. 
5. Légifrance. Ordonnance n°45-2221 du 1ᵉʳ octobre 1945 relative à l’organisation des centres de lutte contre le cancer. Octobre 1945. 
6. Un des exemples phares est le futur « Centre de prévention » du CLCC lyonnais, qui sera à 100 % dédié à la prévention du cancer et verra le jour courant 2025 sur le site du Centre Léon Bérard. Il comprendra entre autres un dispositif déjà opérationnel : un portail d’information Internet dédié à la prévention des cancers et aux enjeux des liens entre santé et environnement.