Benjamin Fourcade
La crise économique, la hausse constante du chômage, les bouleversements de nos modes de vie nous poussent à revoir notre modèle sociétal. Il convient de réfléchir à comment les politiques sociales peuvent lutter efficacement contre la pauvreté et ainsi préserver le citoyen des diverses crises qui se succèdent depuis 40 ans. Le revenu universel, «véritable utopie gauchiste» pour certains, moyen de réduction des dépenses sociales pour d’autres, est au coeur des débats publics aujourd’hui. Certains politiques, candidats à l’élection présidentielle 2017, en ont même fait leur cheval de bataille. Mais cette mesure est-elle réaliste ? En quoi consiste-t-elle réellement ? Comment la mettre en place ? Peut-elle changer la Société ? Quelle place pour le travail ?
I. Les bases du RU
Ses origines : L’idée est ancienne. On entend parler du RU pour la première fois au XVIe siècle chez Thomas More, philosophe, théologien et humaniste anglais. Dans son oeuvre L’Utopie, publiée en 1516, il imagine «une île où chacun serait assuré des moyens de sa subsistance sans avoir à dépendre de son travail.» Le révolutionnaire Thomas Paine le reprend au XVIIIème siècle et défend l’idée d’un fonds alimenté par les propriétaires terriens permettant de verser à chaque individu un revenu minimum à sa majorité. Plus proche encore, dans le courant du XXème siècle, l’économiste libéral Milton Friedman reprend l’idée du RU mais estime qu’il devrait se substituer quasiment à l’ensemble de l’action publique : «On verse un montant à chacun et chacun se débrouille ensuite pour acheter sur le marché des services d’éducation, de santé, de transport, de logement, etc.» Le revenu universel n’est pas une idée nouvelle. Selon les choix de chacun, sa mise en place reposant sur des philosophies différentes, peut ne pas servir les mêmes intérêts. Le revenu universel, c’est quoi ? Le revenu universel (ou revenu de base, ou revenu d’existence), pourrait être défini comme un droit inaliénable, cumulable avec d’autres revenus, distribué par la puissance publique (Etat, collectivités territoriales) à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans conditions des ressources ni exigence quelconque et dont le montant et le financement seraient déterminés démocratiquement.
Ses trois grands principes sont :
• universel
• individuel
• inconditionnel
II. Le RU, une vision Humaniste
Pourquoi un revenu universel ? Le RU a vocation à être versé à tous les individus. Cette mesure, contrôlée par l’Autorité Publique, ferait partie des dispositifs du domaine des politiques sociales. En théorie, ce revenu doit garantir, à tous, les moyens de vivre décemment, afin que chacun dispose des moyens nécessaires pour accéder à ses besoins fondamentaux (se loger, se nourrir, se vêtir, s’éduquer, se soigner). Il doit permettre contre les exclusions et éviter que les bénéficiaires potentiels des minimas sociaux actuels en soient exclus (les non-recours, 1/3 des ménages éligibles au RSA socle et 2/3 des personnes éligibles au RSA ne le demandant pas du fait des lourdeurs des démarches administratives et/ou de la stigmatisation). Il doit réduire les écarts d’inégalités entre les individus. Une nouvelle manière d’aborder le travail ? Aujourd’hui, on travaille pour gagner de l’argent et pouvoir vivre. Si dès la naissance, nous percevons un revenu sans travailler, la relation avec la nécessité de travailler changera. Il pourrait permettre ainsi à chacun d’aborder le travail de façon plus sereine sans peur du chômage et sans peur du lendemain. «Mettre en place un revenu de base, c’est donner le choix à chaque individu de s’engager dans des activités auxquelles il donne du sens, et qui donc seront des activités productives de sens lorsqu’elles ne sont pas productives économiquement. C’est donc un puissant catalyseur, un formidable investissement dans de nouvelles activités, vectrices de richesse économique et sociale.» (Cf. le Mouvement Français pour un Revenu de Base). De possibles effets positifs sur la Société ? Si l’on change sa manière d’aborder le travail (ne plus travailler pour soit mais pour les autres), cela peut être un vecteur de développement de l’engagement citoyen (bénévole associatif, militant, artiste, etc). Il peut permettre de lutter contre le travail «forcé», ne plus être obligé d’accepter un emploi par nécessité. Cela peut aussi avoir un impact positif sur la santé des individus (réduction du stress au travail, angoisse de licenciement). Il pourrait permettre de revaloriser certains emplois mal payés (je n’accepterai pas un emploi pour rien). Il lutterait donc contre la précarité de l’emploi et pourrait obliger certains employeurs à revoir la rémunération et les conditions de travail de certains de leurs postes. Un RU pour palier à l’évolution technologique ? Avec d’importants changements dans le monde professionnel et la robotisation des métiers, de nombreux emplois vont disparaître dans le secteur de l’industrie, de la construction et bien d’autres encore. Les avancées technologiques sont significatives. Elles sont un bienfait pour la Société et l’amélioration des conditions de vie. Ce RU pourrait être la solution pour que l’être humain survive sans travailler, éliminant les problèmes de pauvreté. (Le PDG de Tesla, constructeur automobile haut de gamme, défend cette théorie). Le RU contre la précarité liée au numérique? L’aire du numérique bouleverse le monde du travail. Des emplois voient le jour avec l’émergence des applications mobiles. Les chauffeurs, livreurs, prestataires divers, développement des activités dans les grandes agglomérations grâce à l’évolution technologique (UBER, Deliveroo, Take Eat Easy, etc). Souvent ces emplois sont précaires. Ces nouveaux actifs ne sont pas salariés et sont pour la plupart des auto-entrepreneurs. Aucune garantie de l’emploi, ils travaillent à la course ou au forfait. Par exemple, un chauffeur UBER (qui n’est pas salarié de l’application) va travailler environ 70 heures par semaine, 6 jours sur 7, et ne réussira à se dégager qu’un salaire proche du SMIC (après déduction de l’ensemble de ses charges). En 5 ans, le nombre d’auto-entrepreneurs a été multiplié par dix (190 000 inscrits en 2010 et 1 075 000 auto-entrepreneurs en 2015 d’après les sources ACOSS/INSEE). Ces nouveaux travailleurs ne bénéficient d’aucune assurance chômage et ne peuvent pas cotiser pour la retraite. Un RU pourrait leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie et les rendre moins dépendants économiquement de ces nouvelles formes de travail. Le RU pourrait résoudre de nombreux problèmes causés par l’évolution de la Société. Il pourrait être une réponse pour lutter contre la pauvreté. Mais s’agit-il d’une utopie ou d’une mesure réaliste ?
Dans ce concept ancien, il n’ya pas que des effets positifs !
III. Les limites au RU
En quoi une telle mesure peut-elle remettre en question les principes de notre Société ? Il est nécessaire de s’interroger sur la remise en question du principe de solidarité. Cette logique qui veut qu’en fonction de nos ressources nous aidons ou nous sommes aidés. Le revenu universel ne fait aucune différence entre «les riches et les pauvres». Le principe de solidarité pourrait donc disparaître peu à peu (prélèvements obligatoires – impôts et cotisations – prélevés selon ses moyens, principe dit par répartition, individualisation de la sécurité sociale, allocations sous conditions de ressources, etc). Il ne remet pas en cause les inégalités dues au patrimoine reçu à la naissance alors qu’aujourd’hui les patrimoines sont les premiers facteurs d’accroissement des inégalités dans le monde.
Le RU, ressource financière supplémentaire ou alternative aux aides actuelles ? Ce revenu n’a pas la même ambition pour tous. C’est là toute l’ambiguÏté d’un pareil dispositif. Quel rôle doit-il réellement jouer ? Certains voient dans le RU, une ressource supplémentaire pour sortir de la précarité, offrir une chance à tous de vivre dans les meilleures conditions possibles sans pour autant détruire les mesures existantes dans le domaine de l’action sociale. D’autres qui défendent le RU, veulent proposer un pack unique supprimant l’ensemble des aides actuelles (allocations familiales, aides au logement, RSA, etc). D’aures pourraient même aller encore plus loin en proposant, pourquoi pas, de supprimer le SMIC. Si tout le monde dispose d’un revenu dès la naissance, à quoi bon conserver un salaire minimum dans une activité professionnelle.
Si le RU voit le jour, les pensions de retraite pourront-elles être assurées dans l’avenir ?
Qu’adviendra-t-il des acquis sociaux si durement obtenus ?
De possibles effets pervers ? Si l’on estime que le revenu de base permettrait de changer sa vision du travail rémunéré et u’il aiderait les individus à mieux s’épanouir dans leur vie, il pourrait aussi provoquer des dérives dans le système de l’emploi.
Certains employeurs pourraient décider de réduire les salaires de leurs employés sous prétexte qu’ils disposent déjà d’un revenu individuel.
Le RU pourrait-il être une mesure antisystème ? Il est important de se demander si la mise en place d’un RU, pour tous, encouragerait l’individu à être actif dans la Société. En effet, certains reprochent au système actuel d’être trop laxiste et abusé. Même si le RU a l’ambition de détacher l’individu de son univers professionnel (alors que le travail sociabilise le citoyen) pour l’ouvrir sur la collectivité, offrir à chacun une ressource financière sans la moindre contrepartie pourrait ne pas aider au développement de l’effort collectif et de l’attractivité de la Société. Celle-ci a une responsabilité envers le citoyen mais le citoyen a également un rôle à jouer dans la vie de la Communauté.
Comment le financer ? La question du montant du revenu et de son financement est également essentielle. Par exemple, un revenu universel de 500€ par mois (équivalant du RSA) représente un coût de 400 milliards d’euros par an de budget soit 18% du PIB. Aujourd’hui, l’ensemble des minimas sociaux versés en France, représente 23 Milliards d’euros soit 1,1% du PIB. Comment fiancner le complément ?
Pour un revenu universel de 1000€ par mois, c’est le double. Autant de difficultés pour mettre en place un revenu permettant à chaque individu de pouvoir vivre décemment.
Pour financer une telle mesure deux solutions sont possibles :
• Réduire considérablement les dépenses publiques. Les politiques sociales ne seront pas les seules touchées. L’ensemble des actions menées par l’Autorité Publique sera impacté. C’est très certainement là où veulent en venir les libéraux : réduire les dépenses publiques, désengager la collectivité publique dans de nombreux domaines et se satisfaire d’une redistribution simpliste sans étudier les besoins réels de l’individu.
• Augmenter les prélèvements ne sont pas augmentés, c’est le salaire net qu’il faudra baisser pour qu’il n’y ait pas de répercussions sur le coût du travail.
La mise en place d’un RU ne doit pas remettre en question la place de l’Autorité publique dans la Société et sa vocation : celle de préserver l’intérêt général.
Si le RU ne peut pas être mis en place avec pour objectif principal de lutter contre la pauvreté, sans pour autant rogner l’ensemble des politiques sociales et des dépenses publiques, il doit néanmoins se concevoir comme un concept philosophique. Il doit être vu comme une nouvelle forme de penser. La réflexion sur un tel dispositif doit nous permettre d’analyser comment améliorer les politiques sociales et les rendre plus en lien avec la réalité d’aujourd’hui.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance concevait une sécurité sociale qui devait assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail. Créée par ordonnance en octobre 1945, elle offrait aux salariés des prestations de solidarité. Ce système dit «par répartition» est un principe fondamental de notre Société. Il ne doit pas être remis en question. Lutter contre la pauvreté, réduire les inégalités entre les individus, répartir équitablement la richesse produite, sont des ambitions que doivent porter les politiques sociales. Nous devons préserver ces fondamentaux avec une population de plus en plus nombreuse, de plus en plus âgée, même s’il est nécessaire d’adapter les dispositifs existants. Enfin, si le concept du RU doit nous interroger sur notre relation au travail, il est aussi nécessaire de réfléchir afin de valoriser et reconnaître l’engagement citoyen. Le principe de travailler pour les autres sans contrepartie financière rend service à la Société. Il est plus que nécessaire de réfléchir à comment engager davantage l’individu dans la Société sans pour autant qu’il soit lésé dans le déroulement de sa propre vie. •