Tribune
Par
Joseph Tedesco,
Directeur général du Centre National de l’Expertise Hospitalière
C’est entendu. L’hôpital de demain sera numérique ou ne sera pas. Quand on observe les transformations dans d’autres secteurs d’activité comme les mobilités ou la grande distribution, il serait bien naïf de penser que l’hôpital de demain sera identique à celui que nous connaissons aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit de demander à Hertz et à Walmart, pourtant leaders sur leurs marchés respectifs et inspirants pour de nombreuses autres entreprises pendant de longues années, comment ils ont été supplantés par des entreprises « digital natives » comme Uber et Amazon qui ont complètement réinventé les modes de consommation, la supply chain et les business models associés.
D’ailleurs, les puissantes transformations à l’œuvre dans les domaines de la biotechnologie, de la Medtech, du digital et de l’intelligence artificielle sont une occasion que l’hôpital doit saisir pour se transformer. Il y a là une déferlante technologique qui à en croire ses promoteurs garantit fiabilité et qualité des prises en charge, aide à la décision, optimisation du workflow et j’en passe. Tout ceci est vrai. Il suffit, si le lecteur a besoin d’être convaincu, d’observer la puissance des intelligences artificielles métiers et notamment celles déployées en imagerie. De la réduction du bruit pour bénéficier d’images de qualité à la production quasi instantanée d’un diagnostic, qui devra être validé par un médecin, par exemple pour la détection d’un cancer du sein, les transformations des prises en charge sont nombreuses, prometteuses, les possibilités immenses. Ou bien sur un registre digital, les nouvelles applications permettent d’ores et déjà d’effectuer des suivis à distance pour les patients chroniques, dès lors que l’hôpital s’est doté et organisé autour d’une plate-forme de suivi, ce qui est loin d’être une pratique majoritaire. Ou encore l’essor des téléconsultations, à l’hôpital et en ville, qui transforment les prises en charge et rendent les soins plus accessibles, à quelques contraintes administratives près.
Mais ces quelques exemples ne doivent tromper personne. Il s’agit ici d’outils. Et ces outils doivent être au service d’une stratégie. Si pour un hôpital il s’agit de bien connaître l’offre technologique existante, ce qui au passage suppose que chaque hôpital dispose de compétences pour identifier l’offre existante et en analyser, domaine par domaine, les impacts en termes de création de valeur pour les patients et/ou en amélioration des conditions de travail, il s’agit surtout de bien connaître « ses patients ». C’est-à-dire de les segmenter par grands types de pathologies, par exemple les épisodiques, les chroniques et les polypathologiques et d’identifier les technologies qui permettront de gagner en efficience et en qualité, dans un moment où l’hôpital fait face à un problème d’attractivité qui se traduit dans de nombreux endroits par une fermeture de lits, alors même que les besoins de santé vont aller grandissants du fait du vieillissement de la population et de l’explosion des pathologies chroniques. Sans ce travail en profondeur, le risque est grand de succomber aux charmes de la technologie, et pour être moderne d’empiler des technologies sur des pratiques existantes avec au final une transformation assez modeste. Les exemples sont malheureusement déjà nombreux.
Aussi, si des technologies existent, elles nécessitent au préalable, pour être déployées de manière massive et décisive, une réflexion stratégique puissante et collective, qui part bien d’une analyse du type de patient pris en charge, d’un travail sur les nouvelles modalités de prise en charge et l’ensemble des circuits administratifs associés. Sauf à vouloir « informatiser l’existant ». Et souvenons-nous que des entreprises comme Uber ou Amazon ont réinventé un marché, ils n’ont pas uniquement délivré une technologie.
En clair, malgré l’ensemble des discours produits qui laissent à penser que tout est simple, les nouvelles technologies disponibles, si elles ouvrent des perspectives réelles comme les intelligences artificielles utilisant la technologie LLM, ne sont que des outils au service d’une stratégie. Tout le travail qui consiste à définir la bonne stratégie et les chantiers de transformation associés doit être premier. Et cela est sans doute rassurant.
Choisir la bonne stratégie est d’autant plus important que les solutions pour être déployées à l’échelle, devront être testées et même entraînées en ce qui concerne les IA. Et ceci ne pourra être effectué que par les professionnels de santé eux-mêmes. La conséquence est immédiate. Cela demandera du temps, temps qui est déjà rare pour ces professionnels. Dès lors, autant ne pas se tromper de vision, de stratégie.
Pour déterminante qu’elle soit, la réflexion stratégique n’est pas le tout. Elle doit s’accompagner d’une réflexion sérieuse sur les infrastructures informatiques disponibles qui sont essentielles dans un contexte d’hôpital numérique, sur la qualité des données, leur interopérabilité et leur rangement dans différentes bases, mais aussi sur la qualité du stockage avec des solutions cloud appropriées dont le volet sécurité doit être appuyé et sur la qualité du Wi-Fi pour faciliter l’accès aux données. Évidemment, tout cela a un coût. La trajectoire d’investissement est essentielle. Ce qui renforce la nécessité de disposer de la bonne stratégie pour ne pas investir à perte dans des technologies.
C’est entendu, l’hôpital de demain sera numérique ou ne sera pas. Mais, il y aura quelques préalables pour qu’il advienne réellement et à l’échelle. L’outil aussi stimulant soit-il ne remplace pas la réflexion. Le vrai challenge est là.