INTERVIEW
Stéphane Pardoux
Directeur Général du CHI de Créteil
Dans le cadre des GHT, la politique d’achats des établissements – notamment pour les médicaments – va évoluer, est-ce un gage d’efficience ?
La politique d’achats va évoluer et c’est une bonne chose. Elle va tout à la fois se professionaliser et bénéficier d’un effet masse critique qui sera bénéfique pour les finances publiques.
Cette professionalisation par le biais des cellules d’achats uniques va notamment apporter progressivement une meilleure sécurité juridique même si le code des marchés publics demeure lourd et mériterait d’être encore simplifié.
Par l’effet de taille, les GHT vont pouvoir mieux négocier et solliciter les fournisseurs pour des offres intégrées associant acquisition et exploitation, compétences de maintenance et expertises techniques. C’est ce que nous venons de faire par exemple pour la gestion de parc de nos 50 échographes.
Cet effet masse critique va également offrir aux industries de tous les domaines des interlocuteurs en nombre plus restreint et est donc de nature à faciliter un suivi plus personnalisé des projets et des contrats.
Au-delà, la politique d’achats des GHT va très certainement par effet de masse et par effet de professionalisation évoluer vers un recours plus massif à la sous-traitance de fonctions non stratégiques. Nous sommes aujourd’hui dans le monde public très en deçà sur ce sujet par réticence historique alors même que nous avons la chance d’avoir une offre industrielle et de services forte et des entreprises parmi les plus compétitives au monde.
Enfin, le recours aux centrales d’achats va s’élargir tant leur offre est aujourd’hui large, globale, pertinente (même si bien sûr j’ai un faible pour la démarche d’innovation du RESAH – j’en suis le Vice-Président du Conseil d’Administration).
Les centrales d’achats proposent en effet progressivement des offres qui vont au-delà du simple acte d’achat et permettent aux établissements de bénéficier de compétences techniques fortes.
Je ne suis pas persuadé que les changements les plus importants vont être dans le domaine du médicament pour lequel, il existait déjà de nombreuses centrales d’achats régionales ou départementales en complément des acheteurs nationaux et des acheteurs locaux.
J’entends la crainte de constitution d’acheteurs uniquement nationaux avec les risques que cela ferait peser sur le marché et les conditions d’approvisionnement en cas de souci. Je ne crois pas que nous en soyons là, le monde des acheteurs publics est aujourd’hui encore très fragmenté, il va se rationaliser mais demeurer multiple.
Sincèrement, je ne vois que des avantages à cette démarche commune sur les achats. Tous les grands groupes privés dans quelque domaine que ce soit mènent une rationalisation de leurs achats. Je suis persuadé que les hospitaliers y inclueront pour le bien de tous une démarche éthique, locale parfois et moderne.
Et juste un chiffre, en 2017, le gain sur achats grâce à une politique plus incisive a représenté près de 3 millions d’euros ce qui est considérable !
Le système français de santé est très cloisonné, est-ce souhaitable d’envisager des échanges plus pro-actifs avec les industries de santé ou encore la médecine de ville ?
C’est plus que souhaitable, c’est indispensable pour continuer à rendre le système francais encore plus efficace et surtout encore plus efficient. Des marges de manoeuvre existent encore et il convient de toutes les activer dans un contexte de meilleure utilisation de l’argent public. C’est dans ce cadre que les échanges doivent encore s’amplifier.
Mais ne voyons pas les choses d’une façon trop critique, ces échanges sont aujourd’hui très importants et pour beaucoup féconds. L’enjeu est de les rendre plus simples et plus directement opérationnels.
Dans cette optique, les échanges avec les industries de santé doivent être basées sur l’innovation et dépasser aujourd’hui le cadre des relations interpersonelles souvent médicales (et parfois opaques) pour s’insérer dans un cadre plus institutionnel.
L’innovation sous toutes ses formes est aujourd’hui omniprésente et les industriels de santé doivent appréhender les établissements de santé comme des partenaires à tous les stades de ce processus d’innovation. Nous pouvons être co-bâtisseurs, terrains d’expérimentation, de test, de recettage.
Mais nous pouvons également être co-financeurs notamment dans le cadre de protocoles de recherche ou même dans le cadre de structures souples type fondations, recherche ou fonds de dotation qui se multiplient dans les établissements de santé.
Ces échanges pourraient prendre la forme de conventions cadres avec des financements pluriannuels et ainsi nous dépasserions les éventuels conflits d’intérêts en œuvrant ensemble pour des transformations profondes. Nous venons de le faire avec deux grands laboratoires pharmaceutiques.
Même chose avec les start up. Celles-ci doivent dès la phase amont avoir le réflexe de nous solliciter pour tester, sonder, évaluer ! Nous pouvons là encore jouer le rôle d’incubateur, de pouponnière, nous le faisons d’ailleurs de plus en plus car nous sommes beaucoup sollicités ayant été identifiés comme un terrain propice à des démarches innovantes.
Concernant la médecine de ville, les échanges doivent prendre deux formes.
D’abord la lutte contre la désertification médicale. L’hôpital public peut jouer là encore un rôle moteur en participant avec les professionnels de ville à la création de lieux de soins pluriprofessionnels au sein desquels interviendront demain des professionnels aux statuts divers (et pourquoi pas demain un seul statut d’ailleurs). Dans ce cadre nous sommes extrêmement favorables au projet de création de postes d’assistants en médecine ambulatoire à exercice partagé ville-hôpital annoncé récemment par notre ministre.
Nous avons par ailleurs des projets en lien avec des communes en Essonne notamment pour aider au renforcement du tissu de premier recours. Ce sujet nous concerne désormais au premier plan. Nos urgences sont très souvent en phase de surchauffe et il nous faut aujourd’hui à tout le moins essayer de stabiliser ce flux croissant même si cela sera difficile car les Francais ont pris des habitudes.
Second mode d’échanges, le transfert de données médicales pour améliorer la prise en charge et le parcours. Nous attendons beaucoup du DMP newlook initié par l’Assurance maladie qui semble démarrer sur de bonnes bases (le Val-de-Marne est département pilote) et avons hâte de pouvoir alimenter celui-ci simplement et directement.
Il faut pour cela que les conditions de l’interopérabilité et de la consultation soient simples. Attention dans les projets régionaux qui se développent, de ne pas créer des systèmes trop complexes et à la tentation globalisante de tout faire faire à un seul outil.
Dans l’attente d’un outil simple et ouvert, nous avons localement développé une plateforme de mise à dispositions des CR et données des patients vers les médecins traitants adresseurs avec la société APICEA. 350 médecins du Val-de-Marne y sont connectés et apprécient. Ils peuvent même désormais prendre rendez-vous directement en ligne pour leurs patients. C’est simple et peu couteux.
L’article 51 du PLFSS encourage l’expérimentation, qu’envisagez-vous dans le cadre du parcours de soins pour le GHT que vous pilotez ?
Nous en sommes au stade de compréhension du mécanisme qui offre une véritable avancée mais semble très complexe et très aléatoire dans son opérationnalité immédiate.
Nous en sommes également à la phase d’identification des projets potentiellement éligibles et de partenaires avec lesquels nous pourrions envisager un tel projet. Nous avons échangé avec nos partenaires HAD et également avec des start up notamment dans le cadre de la mise en œuvre de la télémédecine de facon plus globale.
Nous aurons des projets mais nous les voudrions assez larges pour tout de suite sortir du stade de la simple expérimentation modeste.