Tribune

« Lorsque l’on parle du travail avec les personnes handicapées, elles font souvent référence au sens qu’il apporte à leur vie en leur permettant de contribuer à la société »

Par
Jean-Marc Collombier
Directeur Général de Messidor

Depuis 1975, l’association Messidor œuvre à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques en s’appuyant sur le travail. Presque 50 ans après sa création, notre projet a conservé sa dynamique initiale, une dynamique construite autour du travail pour permettre aux personnes handicapées psychiques de s’inscrire dans un parcours de rétablissement.

Dans le fonctionnement de notre association, le travail est considéré sous différents aspects :

– C’est le moyen de générer des ressources de financement pour améliorer la qualité des accompagnements ;

– C’est aussi et surtout des activités supports à partir desquelles peuvent se construire les parcours de transition et le retour à un emploi de droit commun. Le travail est un moyen et un outil d’accompagnement.

La question de la valeur accordée au travail va donc bien au-delà de la dimension économique, même si cette dimension reste essentielle au financement de notre fonctionnement.

Pour les personnes accompagnées dans nos établissements et services, le travail est souvent un marqueur de normalité qui joue un rôle central pour la dignité des individus. Il apporte une reconnaissance sociale et permet à la personne de retrouver une meilleure estime d’elle-même. Donner la possibilité de travailler aux personnes handicapées psychiques, de retrouver un statut de salarié, c’est leur permettre de retrouver une autre identité, ne plus se voir comme un malade, mais comme une personne engagée dans une démarche de reconstruction appelée « rétablissement ».

Le travail offre une structure quotidienne et une routine qui peut être particulièrement bénéfique pour les personnes atteintes de troubles psychiques. Il donne aux individus un sentiment de sécurité, d’accomplissement et de valeur personnelle, parce qu’à travers leur contribution productive à la société, le travail permet de renforcer l’estime de soi et la confiance en soi.

Le travail offre également des opportunités d’interaction sociale en dehors de la sphère familiale, permettant de sortir de la solitude. Il favorise la création de liens avec les collègues et les clients. Les relations sociales au travail peuvent jouer un rôle crucial dans le rétablissement en fournissant un réseau de soutien et en luttant contre l’isolement social.

Le travail permet aux personnes handicapées psychiques d’acquérir et de développer des compétences professionnelles, ce qui permet non seulement d’améliorer leurs perspectives d’emploi, mais aussi de renforcer leur sentiment d’efficacité personnelle et leur autonomie.

Lorsque l’on parle du travail avec les personnes handicapées, elles font souvent référence au sens qu’il apporte à leur vie en leur permettant de contribuer à la société. Cela offre aux personnes la possibilité de subvenir à leurs besoins, de gagner leur vie sans dépendre des aides sociales et de se sentir accomplies. Retrouver un rôle, une fonction dans la société, retrouver de l’indépendance et de la liberté dans ses choix sont des facteurs importants dans le rétablissement des personnes souffrant de troubles psychiques. Elles sont sensibles à ces bénéfices qui sous-tendent en grande partie leur motivation, parfois plus que les revenus attendus de leur activité professionnelle.

Le travail contribue aussi à réduire le stigmate associé aux troubles psychiques. En démontrant leurs compétences et leurs contributions au sein du milieu professionnel, les personnes handicapées psychiques contribuent à changer les perceptions négatives et à favoriser une société plus inclusive.

Il y a une grande permanence dans le projet de Messidor, les principes qui ont permis d’asseoir notre fonctionnement et notre développement sont encore valables, mais les conditions de mise en œuvre du projet évoluent. Il s’adapte aux transformations sociétales et législatives, aux attentes des personnes handicapées, des professionnels accompagnants, des clients. Le turnover de l’encadrement est aujourd’hui bien plus présent. Le monde supporte moins les contraintes et l’accomplissement personnel doit être rapide, entre projet collectif et projet personnel, chacun cherche sa voie.

Plus que le travail, ce sont les conditions de mise en œuvre du travail qui sont interrogées. C’est ensemble que les dirigeants, managers, encadrants et personnes handicapées doivent travailler pour trouver les modalités de fonctionnement qui préservent le sens au travail, la qualité des relations interpersonnelles et la rentabilité économique.

Je ne pouvais pas terminer sans apporter le témoignage d’Anne, une personne accompagnée dans l’un de nos établissements qui exprime avec ses mots la valeur travail : « Le fait de travailler à Messidor m’aide à me retrouver moi-même, à renouer avec ce que j’étais avant. À l’hôpital psychiatrique, on n’est plus rien, on n’est a priori plus capable de rien, et moi, je sens que j’ai un potentiel en moi et qu’il faut le développer. J’ai eu un moment un peu creux dans ma vie et je sais que j’ai quand même un potentiel en moi, que ce n’est pas détruit définitivement, que cela peut revenir… Le travail m’oblige à faire l’effort de me lever tous les matins ; venir travailler m’oblige à avoir un rythme de vie comme tout le monde. Parce que je suis restée quand même dix ans sans travailler, ma vie était devenue un peu le chaos, alors que là, je remets de l’ordre dans ma vie. »