Tribune

« La Mutualité Française se mobilise pour l’accès de tous à la pleine santé, dans tous les lieux et à tous les âges. Le milieu professionnel, véritable « territoire de santé », est investi de longue date par les mutuelles »

Par
Éric Chenut,
Président de la Mutualité Française

L’évolution des modes de production liée notamment aux évolutions technologiques, le développement des emplois non salariés lié notamment à un nouveau rapport au travail, le développement du télétravail et des plateformes permis par la transition numérique, le réchauffement climatique et le vieillissement de la population ont des conséquences non négligeables sur les typologies d’emploi et les conditions de travail.

La Mutualité Française se mobilise pour l’accès de tous à la pleine santé, dans tous les lieux et à tous les âges. Le milieu professionnel, véritable « territoire de santé », est investi de longue date par les mutuelles. Nous sommes convaincus qu’à l’heure où beaucoup s’interrogent sur le sens du travail, sur comment « être bien » au travail, questionner le levier de la santé au travail devient indispensable. Dans son dernier Observatoire consacré à la santé au travail1, la Mutualité Française a montré la situation complexe en la matière dans notre pays.

Ainsi, en France, les maladies professionnelles ont connu une progression extrêmement marquée au cours des deux dernières décennies, avec une hausse encore plus forte pour les femmes.

Les différences d’espérance de vie selon la catégorie sociale demeurent anormalement élevées, les écarts entre les ouvriers et les cadres atteignant 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes. C’est également le cas pour l’espérance de vie sans incapacité qui conditionne l’état de santé à la fin de la carrière professionnelle et la capacité à profiter sereinement de la période de retraite. Ces inégalités ne sont pas une fatalité sous réserve d’un engagement majeur.

Partie 1 : Investir dans le virage préventif et soutenir le développement d’une culture de prévention

Le virage préventif que la Mutualité Française et de nombreux acteurs appellent de leurs vœux doit passer par une intégration résolue de la santé au travail au cœur de la santé publique.

Il faut soutenir les employeurs publics et privés, ainsi que les branches professionnelles dans le déploiement de la prévention, par le développement d’outils de prévention individuelle et collective favorisant la prise de conscience du milieu professionnel sur les déterminants d’un environnement favorable à la santé. Le soutien au développement de la prévention devrait également passer par des actions sur les facteurs de risques, c’est-à-dire la prévention primaire, notamment en renforçant les incitations financières. Le mécanisme de majoration de la cotisation accident du travail – maladie professionnelle pour les entreprises présentant un taux de sinistralité élevé pourrait ainsi être activé.

La mobilisation des données de santé et du numérique est par ailleurs une piste d’action pour analyser les risques professionnels et construire une politique de prévention efficace et mesurable. La sous-valorisation des données sociales et des données de santé constitue, en effet, un immense gâchis et une perte de chance.

Le développement d’une approche globale de la santé qui considérerait l’exposition à tous les facteurs de risque en santé environnementale (pesticides, qualité de l’air, changement climatique, développement des outils numériques…) est également souhaitable.

Enfin, la médecine du travail est à refonder pour en développer l’attractivité : renforcer le fonctionnement de manière intercatégorielle entre les typologies de professionnels de santé, faciliter le développement de services de santé au travail, faire converger les médecines scolaire, universitaire et du travail dans une discipline de santé publique populationnelle par exemple.

Partie 2 : Répondre aux enjeux de l’usure professionnelle et de la pénibilité

Dans son Observatoire, la Mutualité Française a rappelé que le taux d’emploi des 55-64 ans en France fait partie des plus faibles d’Europe, et que notamment 45 % des salariés ne sont plus en emploi avant leur départ à la retraite. Plusieurs facteurs expliquent ces données. Parmi elles figurent les conditions de vie au travail. Ainsi, la durée moyenne des arrêts pour accidents du travail augmente avec l’âge. C’est aussi le cas des arrêts maladie, avec une accentuation très nette pour les plus de 60 ans.

Il nous apparaît nécessaire de repenser la place du travail et le rôle des seniors dans la société. Permettre que les personnes restent en emploi dans de bonnes conditions suppose de penser les évolutions et reconversions professionnelles avant la survenue de l’incapacité.

Par ailleurs, l’usure professionnelle n’est pas une fatalité et plusieurs réponses peuvent être apportées pour les prévenir. Les conséquences d’une santé dégradée sur les ruptures de parcours professionnels sont majeures en termes économique et social. Les moyens de s’en protéger existent au travers des couvertures en prévoyance. Elles restent aujourd’hui mal connues et inégalement diffusées. La généralisation de la prévoyance est un progrès social et solidaire nécessaire.

Enfin, quand près d’un Français sur cinq est aujourd’hui en situation d’aidance familiale, cette question doit devenir prioritaire : information et accompagnement des aidants, augmentation des moyens affectés à la prévention en santé au travail et évaluation de leur bonne utilisation.

À l’heure où beaucoup s’interrogent sur le sens du travail, la Mutualité Française veut mettre en lumière le déterminant de santé que constitue le travail, dans l’objectif de réduction des inégalités et recherche de la pleine santé. Comme dans de nombreux domaines, la mise en œuvre d’une politique cohérente implique une mobilisation s’appuyant sur l’ensemble des acteurs, dépassant les postures, ainsi qu’un investissement sur l’évaluation et la démarche scientifique.

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Sources :

1. Mutualité Française. Rapport « L’Observatoire de la Mutualité Française ». Février 2023.