Interview
Cendra MOTIN
Députée La République en Marche de l’Isère
Le recueil de données exhaustives et fiables sur l’état de santé des fonctionnaires relève d’un exercice de haute école. Toutefois, MFP Services est en mesure d’apporter des indications précises sur le sujet à l’instar de son baromètre santé. Selon vous, pour quelles raisons la structure est-elle en capacité de fournir ces éléments ?
CM – Dans sa vision concernant la santé de ceux qui gèrent, donc d’une partie des fonctionnaires et dans sa volonté de mieux la prendre en compte, MFP Services était en avance. Elle était en avance, car elle dispose de chiffres et de données. Ce sont des éléments importants, car nous ne mesurons pas suffisamment aujourd’hui l’importance de la data en santé et notamment lorsque l’on tente de mettre en œuvre des actions en amont du curatif. En France, nous sommes très compétents pour faire du curatif mais nous avons toujours négligé les données qui permettraient de faire autre chose, donc de la prévention et pour cela, il faut être en capacité d’objectiver un certain nombre d’éléments. Les acteurs comme MFP Services savent objectiver ces éléments, parce qu’ils ont des données, et parce qu’ils voient les consultations avant que les choses ne deviennent trop graves pour la santé des agents. Ils ont d’ailleurs réalisé des études extrêmement parlantes sur l’utilisation des benzodiazépines dans la fonction publique et ont, pendant des années, promu des campagnes de vaccination, de sensibilisation et d’information. Campagnes qui ont toutefois été déployées de manière assez inégale entre les différents ministères.
Les agents des petites collectivités territoriales sont-ils désavantagés en matière de santé au travail et de prévention des risques ?
CM – Les plus petites collectivités – qui doivent répondre en permanence aux urgences et à une demande des concitoyens de plus en plus importante avec des moyens qui eux ne le sont pas – ne disposent en effet ni des outils nécessaires, ni des effectifs suffisants pour assurer à leurs agents une prise en charge de qualité en termes de santé au travail (suivi médical, prévention des risques…) à la différence des plus grandes collectivités. Nous sommes un peu dans le même cas qu’une grande entreprise face à des TPE-PME. Même si chacun tente de faire au mieux, on se retrouve bien souvent dans des situations où il faut gérer du curatif intensif grave. Ce phénomène est d’ailleurs bien mis en exergue par les chiffres relatifs à l’absentéisme dans la fonction publique qui montrent que les petites collectivités sont très touchées, car elles disposent d’un grand nombre de personnels de catégorie C. Ces personnels sont peu renouvelés, donc la pyramide des âges est très vieillissante et les arrêts de travail depuis une dizaine d’années tendent à être de plus en plus longs. On tombe alors dans la longue maladie. Par ailleurs, ayant promu le retour du jour de carence dans la fonction publique, l’on constate concrètement, et c’est important de le dire, que l’augmentation de la durée des arrêts n’est pas plus importante après le jour de carence qu’elle ne l’était avant.
Les acteurs, notamment les politiques et les employeurs, semblent prendre conscience de la nécessité d’agir pour préserver la santé des agents. La crise sanitaire a-t-elle accéléré cette prise de conscience ?
CM – La crise que nous traversons a démontré – et cela a été testé notamment durant le premier confinement – que près de 70 % des salariés ont répondu qu’ils faisaient confiance à leur employeur pour prendre soin de leur santé. Nous ne nous y attendions pas. Surtout à l’heure où la médecine du travail n’a pas toujours bonne presse, puisqu’elle n’a pas nécessairement rempli le rôle que nous aurions pu en attendre lors du premier confinement, en tous les cas dans les lieux où la prise en charge de la santé des fonctionnaires est assez aléatoire, voire inexistante dans certains ministères.
Du côté du patronat, un accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail qui met l’accent sur la prévention a été trouvé. C’était indispensable et nous l’attendions depuis longtemps. Cela permet, d’une part, de revoir le rôle des équipes pluridisciplinaires et notamment des médecins du travail en ce qui concerne la santé des salariés, car aujourd’hui ils sont seulement sur les avis d’aptitude ou d’inaptitude, donc sur du curatif et interviennent peu voire pas sur le préventif. Cet accord démontre une volonté d’être beaucoup plus dans l’anticipation et de changer la vision actuelle du management.
Enfin, sur la base du rapport rendu par Charlotte Lecocq, une proposition de loi accompagnera cet accord national interprofessionnel et posera le sujet de l’universalité de la santé au travail. Cette proposition accompagnera également le mouvement de la généralisation d’un suivi de santé au travail pour les fonctionnaires, lancé il y a un an par Olivier Dussopt et repris par Amélie de Montchalin. Nous savons que si, dans la fonction publique territoriale, de nombreuses collectivités font déjà appel à des médecins du travail qui sont dans des services de santé au travail sur leur territoire, (donc interprofessionnels), il manque aujourd’hui une réelle prise en compte de la santé au travail dans les ministères, notamment dans la fonction publique d’État. La fonction publique hospitalière étant, quant à elle, un peu à la marge puisqu’ils sont professionnels de santé et qu’ils bénéficient déjà d’un certain nombre de prises en charge. Cette nouvelle prise en compte de la santé au travail et d’un parcours de santé au travail, un peu plus tout au long de sa vie, quels que soient son statut ainsi que les annonces d’Amélie de Montchalin sur la complémentaire santé – qui était une demande forte de la majorité dans la réforme de la fonction publique de 2019 – est un élément important. Finalement, la crise a accéléré les projets en cours qui aboutiront dans les mois qui viennent.
Aujourd’hui Députée, vous êtes également une experte des ressources humaines. De quelle manière, selon vous, la prévention doit-elle se traduire dans une politique de ressources humaines pour la Fonction publique, notamment en termes de compétitivité et d’efficacité, pour une meilleure performance globale des agents de la Fonction publique ?
CM – Les managers doivent apprendre à repérer les signaux faibles de l’absentéisme. Ces signaux faibles sont de plusieurs natures et résident en premier lieu dans les motivations de l’agent qui, s’il n’est pas motivé par son travail, sera plus souvent absent. Les tâches qu’il effectue, doivent par conséquent être intéressantes et de nature à le motiver. Nous avions à cet égard insisté sur l’importance du management. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’apprentissage et de formation, car n’est pas manager qui veut. En effet, si certains y voient l’aboutissement d’une carrière, pour être compétent en la matière, il faut aimer aider les gens à surpasser un certain nombre de difficultés qu’ils peuvent rencontrer.
D’autre part, la question de la mobilité est essentielle puisqu’il est possible qu’un agent aime son emploi puis s’en lasse. Dans cette optique, la mobilité interministérielle, donc inter-fonction publique et également au sein même d’un ministère, est fondamentale. Nous avions d’ailleurs insisté sur ce sujet dans la réforme de la fonction publique, afin que le décloisonnement entre les fonctions publiques soit plus simple. Tous ces éléments sont des leviers de ressources humaines qui permettent d’éviter des taux d’absentéisme importants.
En outre, certains signaux faibles parfois plus simples à repérer peuvent être le fait de situations totalement extérieures au monde professionnel, à l’instar des changements soudains d’habitudes que l’on constate souvent chez les agents aidants. Il est, dans ce cas, utile de trouver avec l’agent en difficulté des méthodes de travail différentes qui lui permettent d’avancer dans sa vie professionnelle tout en prenant en considération sa situation personnelle et ainsi éviter les arrêts de travail et donc l’absentéisme. Par ailleurs, penser les fins de carrière est essentiel car les arrêts de travail augmentent considérablement et de manière automatique en vieillissant, notamment lorsqu’au sein d’un couple l’un prend sa retraite avant l’autre. Il faut, par conséquent, être en mesure d’aider et d’accompagner celui qui perd sa motivation, à lui trouver des temps de travail différents.
Au final, tout cela a été rendu possible avec la réforme de la fonction publique qui permet plus de mobilité aux agents, aux managers d’être mieux formés, et qui offre également plus de souplesse dans l’organisation du travail en « redonnant la main » à des administrations sur leur organisation du travail afin qu’elles puissent mieux accompagner les agents qui se trouvent dans des situations parfois très différentes mais qui génèrent de l’absentéisme, pesant finalement sur l’administration.
Selon vous, quel est l’acteur le plus pertinent pour mettre en place des politiques de prévention, le plus à même de centraliser et de promouvoir au sein des services les actions à mettre en œuvre pour générer une proximité efficace ?
CM – Aujourd’hui, sauf exceptions, les agents sont mieux « servis » en termes de santé dans une grande collectivité que dans un grand ministère, à l’instar des enseignants qui ont un taux d’absentéisme et de longue maladie extrêmement important. Toutefois, il est essentiel que chaque ministère se saisisse de la question de la santé des agents, notamment au regard des spécificités existantes au sein de la fonction publique. En outre, il s’agit de la responsabilité du politique, donc du gouvernement et des ministres, de se préoccuper de l’état de santé des agents qu’ils ont sous leur responsabilité. Je pense que la « grande politique » doit être menée au niveau des ministères mais que les déclinaisons doivent être repensées, puisqu’il n’est pas possible d’avoir un service central de santé au travail pour ces grands ministères. Il faut donc, dans un premier temps, déconcentrer.
Concrètement, les collectivités territoriales ont tout intérêt à mutualiser sur le domaine de la prévention et à mettre en œuvre des politiques de prévention adaptées à leur territoire. La dimension territoriale est, en effet, extrêmement importante puisque nous n’aurons pas les mêmes politiques de prévention dans le Nord de la France qu’en Bretagne. D’où l’intérêt d’avoir une politique générale au niveau national et une déconcentration ensuite.
Enfin, il faut intégrer le principe de réalité car il n’y a pas plus de médecins du travail au sein des ministères qu’ailleurs. Au regard de ce constat, nous plaidons pour l’universalité des services de santé au travail. En effet, un médecin du travail est en capacité de prendre en charge un enseignant au même titre qu’un ouvrier ou une secrétaire. En revanche, en ce qui concerne la prévention, les politiques doivent être mises en œuvre par les ministères car ces dernières seront liées aux métiers et à leurs spécificités. Le suivi serait assuré sur le terrain par des médecins du travail locaux. Cela me semble évident.
En ce qui concerne la problématique de pénurie de médecins, l’ouverture aux médecins de ville dans l’accord national interprofessionnel est à saluer. Toutefois, il faut d’ores et déjà faire un travail de formation pour les médecins du travail et les médecins généralistes sur de nouvelles professions et de nouvelles formes de prises en charge, puisque la mesure qui acte la fin du numerus clausus dans la loi « Ma santé 2022 » ne portera ses fruits que d’ici une dizaine d’années.
L’État, nous le savons, ne peut pas tout. Les mutuelles, quant à elles, connaissent parfaitement leurs adhérents et les problématiques auxquelles ils font face au quotidien, notamment dans la Fonction publique. À cet égard, peuvent-elles être un acteur de premier plan pour cibler les problématiques et proposer des actions préventives pertinentes au sein des ministères ?
CM – En réalité, elles le font déjà puisqu’elles font des propositions aux ministères. Toutefois, ces propositions ne sont pas toujours entendues, car la prise en charge des complémentaires par les employeurs publics ne revêt pas encore de caractère obligatoire. Je pense que le paradigme va changer et que la volonté des ministères va largement évoluer à partir du moment où ils seront cofinanceurs.
Ils seront, en effet, directement intéressés et beaucoup plus garants de l’équilibre du système. En outre, lorsqu’un employeur finance une complémentaire santé, il attend un retour sur investissement. Plus globalement, les employeurs n’ont pas intérêt à ce que leurs agents soient malades et que cela génère des problématiques financières et organisationnelles. Par ailleurs, si l’employeur doit s’assurer que les agents travaillent dans de bonnes conditions (via la prévention primaire sur le lieu de travail), que le médecin du travail doit veiller sur l’état de santé général de l’agent pour qu’il soit apte à travailler et qu’il devra demain aller dans chaque administration pour voir si tous les éléments de contextes du lieu de travail requis et les conditions de travail sont respectés, la mission de prévention des complémentaires santé consiste quant à elle à aller voir les données, notamment de prescriptions faites par les ministères dont elles disposent, et de les analyser pour ensuite impulser des actions de prévention en santé et qui peuvent être indépendantes des conditions de travail.
La grande plus-value de MFP Services est d’être un régime obligatoire et d’avoir accès à ces données sur les prescriptions, qui leur permet d’avoir une analyse fine, y compris par ministère. À cet égard, MFP Services est en capacité de donner des « armes » de prévention pour les ministères qui seront beaucoup plus pertinentes encore que celles que nous pouvons avoir dans le privé. Avec le cumul des datas, de leur expérience, avec des résultats probants dans certains ministères, plus la participation financière des employeurs, tout est en place pour que MFP Services devienne un acteur de la prévention santé pour tous les ministères et de tous les agents publics.