Guillaume Wasmer
Directeur d’hôpital détaché
L’hôpital public est sans doute à la Ve république ce que l’école publique était à la IIIe : le ciment social du Pacte républicain. Au milieu des peines et des drames, la crise liée au Covid-19 aura eu un effet salutaire : remettre crûment en lumière les fondements de l’hôpital public et de son utilité sociale. On peut – au moins pour quelque temps – espérer une suspension de « l’hôpital public bashing » et des mesures aveugles de rationnement qui ont conduit à le fragiliser dangereusement ces dernières années.
Mais cette crise peut également avoir un effet délétère si une autre cécité se substitue à celle qui préexistait. Dans un pays qui consacre presque 12 % de son PIB à la santé, où les dépenses de santé croissent de 4 % par an, quand la croissance est de 2 % les meilleures années, il faut être lucide sur ce qui a déclenché un déclin continu de la qualité du service public hospitalier ces dernières années. Et il faut savoir y faire face avec un regard neuf, en prenant en compte des contraintes, qui ne se sont malheureusement pas évaporées.
Proposition 1 : Clarifier l’objectif de la raison d’être de l’hôpital public
On ne peut pas demander tout et son contraire à l’hôpital public. Être performant économiquement mais en faire un lieu privilégié d’accueil des SDF et des réfugiés, s’engager dans une politique de diminution des structures et des lits et participer à l’aménagement du territoire, résorber l’emploi précaire et diminuer le volume de dépenses de personnel…
Les politiques antérieures ont conduit au choix implicite du maintien d’un maillage hospitalier parmi les plus importants d’Europe, mais avec un parc relativement vétuste par rapport à ses voisins, un plateau technique d’un niveau moyen perfectible, et dont les lignes de garde fonctionnent avec des médecins qui ne sont pas toujours parmi les mieux formés.
Il faut avoir le courage de faire le choix d’un hôpital public élitiste : l’hôpital public doit être en mesure de proposer les meilleurs médecins, les meilleurs équipements, les meilleurs bâtiments pour tous sans distinction, quitte à revoir en profondeur le maillage hospitalier actuel. L’hôpital public du XXIe siècle ne doit pas se résumer à être celui du XIXe, assurant les fonctions d’hospice et de dispensaire en laissant les autres champs aux secteurs privés et à quelques services de CHU.
Proposition 2 : Réformer le pilotage de l’hospitalisation
La lourdeur des EPS est incontestable. Mais le modèle des ESPIC connaît ses propres lourdeurs. C’est au sein du statut actuel d’établissement public qu’il faut redonner l’autonomie aux dirigeants des hôpitaux, dans un cadre territorial qui dépasse la structure hospitalière, mais qui engloberait des fonctions actuellement assurées par les ARS.
• La création d’entités régionales hospitalières autour des CHU/établissements support de GHT avec un lien de subordination entre DG CHU/territoire et directeurs d’hôpital. Ces structures devront intégrer au sein de leur gouvernance les médecins libéraux (éviter à tout prix le développement étanche des GHT et des CPTS), et une représentation beaucoup plus forte des usagers, qui pourraient disposer d’un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent au même titre que les représentants du personnel ;
• L’intégration dans ces entités territoriales des collaborateurs des ARS qui s’occupent actuellement de la tutelle des hôpitaux publics (toutes les fonctions de validation budgétaire, de suivi RH des directeurs-cadres-PH et de transmission et de suivi des règles de la FPH) ;
• Maintien en ARS des seules fonctions de régulation (organisation et financement) du secteur hospita- lier dans son ensemble (autorisation, SROS, parcours de soins, investissement FIR et innovation etc.) ;
• Une déconcentration des leviers de gestion stratégique ministériels au profit d’un nouvel établissement national regroupant les fonctions hospitalières publiques de RH (dont le CNG et dont les services en charge de la gestion de la FPH) et de stratégie (pouvoir de décision en terme de CREF et d’investissement, la performance avec l’intégration de l’ANAP et la suppression pure et simple du COPERMO).
Proposition 3 : Associer différemment les collectivités locales
Permettre aux collectivités locales d’intervenir dans le champ de l’hospitalisation mais dans un cadre bien défini :
• Participation au financement d’équipements innovants ;
• En cas de maintien dans les territoires de certaines structures ou activités sur des critères autres que ceux de seuls santé publiques et notamment d’aménagement du territoire, possibilité d’appeler les collectivités locales en garantie en cas de dépassement d’un seuil de déficit de ces activités/structures.
Proposition 4 : Réformer le mode d’allocation des ressources
• Réaffecter une masse supérieure de dépenses publiques vers l’hôpital : (mais au détriment de qui ? Police ? Justice ? Éducation ?) ;
• Stopper le mouvement de préemption de dépenses en début d’année, et y substituer un système d’augmentation des masses financières communes aux acteurs de santé pour une gestion populationnelle, à la capitation, en y intégrant le secteur ambulatoire. Mettre en place des ORDAM qui eux-mêmes se déclineraient dans les territoires ; en acceptant que la rémunération des acteurs de santé varie en fonction de leur densité dans les territoires ;
• Permettre aux hôpitaux de prendre des parts dans des start-up, de valoriser leur savoir-faire et leurs équipes, voire d’être dans une démarche capitalistique contrôlée :
1 – Ouvrir le financement des hôpitaux à d’autres acteurs : industriels, laboratoires, fondations et mutuelles dans des conditions réglementées et cadrées ;
2 – Accepter la labellisation/naming des hôpitaux comme pour les salles de spectacle pour quelques années par des industriels de santé qui pourraient en faire des démonstrateurs à l’instar de ce qu’on voit en Corée du Sud par exemple.
Proposition 5 : Renforcer la gouvernance interne en la diversifiant en sortant des cadres de rémunérations de la FP
• Sortir des corporatismes : avec l’évolution des techniques et des savoirs, l’allongement de la vie professionnelle, il faut permettre aux médecins d’aller plus facilement vers le management mais dans le cadre d’un parcours maîtrisé, avec des formations adaptées et communes à celles des autres managers de santé (formation en binôme ?), aux soignants d’aller plus vers le médical, aux ingénieurs d’aller vers la médecine, intégrer des directeurs médicaux au sein des équipes de direction, dont dépendraient les DIM ;
• Si on ne sort pas l’hôpital du statut de la FP qui reste un marqueur politique fort, le cadre d’attractivité devra être revu par des éléments d’intéressement :
1 – Possibilité ouverte à l’ensemble d’un service de soins (IDE, AS, cadre, secrétaire médicale, etc.) en tant que collectif et non pas aux seuls médecins d’une activité libérale à l’hôpital complémentaire à l’activité publique, encadrée dans son volume et son montant ;
2 – Instaurer des primes à la publication pour toute une équipe ;
3 – Reverser des primes liées aux IFAQ et indicateurs qualité pour toute une équipe ;
4 – Revoir les modalités de rémunération de certaines spécialités (radiologie, cardiologie, néphrologie) pour lesquelles les écarts de rémunération publiques et privées sont les plus importantes et compromettent le maintien de ces activités dans la sphère publique.
Proposition 6 : Capitaliser sur la souplesse et l’agilité développées pendant la crise pour faire face aux enjeux plus quotidiens
• Mettre sur pied des équipes d’appui mobiles à déclencher en cas de crise : médicales (radiologues, chirurgiens, anesthésistes, DIM) et administratives (RH en cas de conflit social, équipes publiques d’assistances maîtrise d’ouvrage pour un projet d’investissement…) ;
• Changer le rapport de force face à la pénurie dont les intérimaires sont aujourd’hui les grands gagnants en créant des équipes mobiles publiques mobilisables rapidement pour éteindre un « incendie » ;
• Créer des réserves sanitaires régionales capables d’aller aider des établissements sur un temps court, créer au niveau régional des systèmes et procédures permettant la gestion et l’activation de lits de soins critiques très rapidement ;
• Créer un plan d’interopérabilité numérique accéléré entre tous les acteurs de santé d’un territoire, appuyé sur le recours à un nombre restreint d’opérateurs pour éviter la dispersion actuelle.