Dr François Blanchecotte
Président du Syndicat des Biologistes (SdB) & du Centre National des Professions de Santé (CNPS)
Ne serait-ce que poser la question aurait été inimaginable il y a peu de temps. Aujourd’hui, pourtant, elle est légitime et la réponse pourrait étonner de nombreux observateurs du monde de la santé. Mais il est vrai que le paysage de la biologie médicale a complètement changé ces dernières années et que la crise du Covid a révélé les faiblesses mais aussi les forces de son évolution.
Les laboratoires de biologie médicale privés peuvent-ils développer des activités de recherche ? Je ne vais pas maintenir le suspense bien longtemps : pour moi, oui, sans aucune hésitation. Cela peut surprendre tous ceux qui, ces dernières décennies, n’ont entendu parler de notre spécialité médicale qu’à propos de restructuration ou des dépenses de biologie médicale.
Un paysage totalement restructuré
Le paysage de la biologie médicale est aujourd’hui totalement différent de ce qu’il était il y a encore cinq ou dix ans. Si les biologistes médicaux ont réussi à maintenir le maillage de proximité, avec la présence d’environ 4 000 points de contact avec les patients, le « back-office » a totalement été transformé : là où il y a 10 ans on comptait près de 4 000 sociétés, nous n’en avons plus aujourd’hui que 400 à 500. Le secteur est maintenant structuré autour de quelques grands groupes de laboratoires qui ont tous développé peu ou prou la même stratégie : construire des plateaux techniques chargés d’optimiser la réalisation des analyses, laissant aux biologistes médicaux présents dans les laboratoires de proximité les phases de pré et post-analytique, c’est-à-dire celle de contact avec les patients et les prescripteurs.
Des plateaux techniques de haute performance
Résultat, la France est aujourd’hui couverte de plateaux techniques de haute performance à la fois en termes de cadence mais aussi de très forte sophistication. C’est ainsi que la biologie médicale privée a pu rattraper son retard, voire prendre de l’avance en matière de biologie moléculaire de masse par rapport au secteur public qui avait jusqu’ici l’apanage des examens très spécialisés.
Forts de cette technicité de haut niveau, certains groupes ont constitué de véritables cellules de recherche. Depuis quelques années, certains ont ainsi commencé à régulièrement déposer des brevets en matière de diagnostic. Mais il serait réducteur de penser que leur champ de recherche se cantonne aux seules techniques de diagnostic.
S’il serait faux de prétendre que les biologistes médicaux privés vont investir le champ de la recherche fondamentale, ils ont toutefois de nombreuses cartes à jouer et peuvent devenir des acteurs importants de la recherche appliquée et de la recherche clinique. Deux principales pistes s’offrent à nous :
• Celle de la collaboration avec le secteur public pour des études épidémiologiques ou de suivi en direct de l’évolution qualitative et quantitative des pathologies dans la population.
• Celle de la collaboration pour des études de patients.
Une mine d’or appelée données biologiques
Qu’avons-nous à offrir, me direz-vous ? Une mine d’or pour la recherche médicale et les études de santé publique. En effet, les laboratoires de biologie médicale conservent (légalement et obligatoirement) dans leurs serveurs des quantités presque infinies de données de leurs patients qui, en respectant bien évidemment les règles de protection des données d’anonymisation, peuvent donner lieu à un nombre presque aussi infini d’études cliniques, épidémiologiques ou d’évaluations de réactifs concourant à participer activement à la recherche médicale et en santé publique. Nous travaillons également sur nos bases de données en y greffant algorithme et intelligence artificielle (IA), obtenant des résultats prometteurs en termes de médecine de précision et de médecine prédictive, y compris sur la Covid.
Le cas de cette épidémie de la Covid a été un accélérateur. Les biologistes médicaux ont ainsi pris pleinement conscience de la valeur des données dont ils disposent. En quelques semaines, nous avons ainsi pu mettre sur pied, avec les équipes de la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) et de Santé publique France, l’outil SI-DEP qui recueille et centralise les informations sur les tests de dépistage RT-PCR de la Covid (positifs comme négatifs) permettant ainsi aux autorités sanitaires et aux chercheurs de disposer de données exhaustives et surtout quasiment en temps réel avec un relevé journalier. Dans les premières semaines de confinement, nous avons mené des évaluations de réactifs sur de grandes séries, nous permettant de proposer des tests sérologiques avant les rapports des autorités. Enfin, nous sommes aujourd’hui à même de mettre en route une campagne de séquençage de masse du virus pour identifier et cartographier les variants.
Vers une biologie médicale à plus forte valeur médicale ajoutée
La biologie médicale est aujourd’hui à un tournant. Nous savons qu’il y a aujourd’hui environ 10 à 15 % d’examens de biologie inutiles. En revanche, nous savons aussi qu’il y a une marge d’environ 20 % d’examens supplémentaires à réaliser si nous voulons mieux dépister et mieux diagnostiquer, afin de pouvoir prendre en charge les patients plus tôt et donc plus efficacement. En y ajoutant une réelle implication dans les programmes de recherche, il apparaît évident que les biologistes médicaux sont aujourd’hui aux portes d’une évolution majeure de leur profession vers un renforcement considérable de leur valeur médicale ajoutée. Une évolution qui sera d’autant plus rapide et importante que les secteurs publics et privés sauront travailler ensemble, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.