Tribune
Dr. Jean-Paul Ortiz
Président d’honneur de la Confédération des Syndicats Médicaux Français
L’engagement des professionnels de santé dans leur métier a toujours été largement souligné : on parle souvent de métier exercé par vocation. Il est vrai que l’image du médecin taillable et corvéable à merci, sollicité à toute heure, travaillant de jour comme de nuit, et faisant jusqu’à 70 heures par semaine et plus, a encore gardé toute sa place dans l’imagination populaire. De même, les enquêtes d’opinion mettent que les infirmières, libérales ou salariées, sont parmi les professionnels les plus estimés par la population en raison de leur engagement fort dans leur activité.
Aujourd’hui, qu’en est-il ?
La démographie médicale a entraîné une crise majeure de l’accès aux soins médicaux : la demande est largement supérieure à l’offre, quel que soit le secteur géographique, en ruralité comme dans les grandes villes, en médecine générale comme en spécialité. De même, il est souvent très difficile d’obtenir une prise en soins auprès d’une infirmière libérale, ou d’autres professionnels de santé tels que les orthophonistes, etc.
Si les besoins de la population ont dépassé la quantité d’offres de soins, celle-ci s’est profondément modifiée : les médecins surchargés n’hésitent plus à refuser des patients, chose impensable il y a quelques décennies. Aujourd’hui, ils souhaitent une vie professionnelle comme tout autre cadre supérieur, ce qui est logique et légitime : ils aspirent à des week-ends tranquilles, à des vacances, à des horaires de travail plus habituels ; ceci est particulièrement vrai dans les jeunes générations, que ce soit des jeunes médecins hommes ou femmes. Ils sont, comme d’autres catégories professionnelles, touchés par le burn-out.
Les professionnels de santé auraient-ils donc perdu la vocation ?
Auraient-ils perdu le sens de la valeur travail dans leur engagement professionnel ? Certainement pas. La réalité est tout autre, montrant bien la persistance de ces valeurs partagées dans la médecine française : les médecins travaillent 55 heures par semaine en moyenne ! Les infirmières salariées dans les hôpitaux dépassent tous les jours leur temps de travail théorique afin de transmettre les informations nécessaires concernant leurs patients à la collègue qui prend le relais. Et l’expérience du Covid a montré combien l’ensemble des professionnels de santé était resté fidèle à cet engagement professionnel fort et avait gardé le sens de leur métier, quel que soit leur statut. Alors que l’hôpital traversait une crise majeure depuis des années, alors que la médecine libérale souffrait et se désagrégeait, la pandémie Covid a entraîné une mobilisation sans précédent, sans faille, avec une solidarité exceptionnelle entre tous qui a permis à la population d’être prise en charge sans problème !
Une perte de sens ?
Pourtant, les observateurs avertis décrivent chez les professionnels de santé une perte du sens de leur travail en particulier après cette terrible pandémie. Démissions en cascade, changement total de métier, de profession, burn-out, abandon des jeunes en cours d’études de santé (en école d’IDE et même en cours de deuxième cycle de médecine). Il ne s’agit pas d’une perte de leur engagement, mais plutôt d’un manque de reconnaissance de leur place dans la chaîne du soin. Une reconnaissance insuffisante pour les médecins qui, au-delà de revenus beaucoup plus modérés que leurs riches prédécesseurs, n’ont plus la même considération de la part des patients : rendez-vous non honorés, agressivité et violences verbales voire physiques dans les cabinets médicaux ou à l’hôpital etc. Le médecin n’est plus respecté comme hier, il ne se sent plus reconnu, y compris financièrement (le tarif de la consultation médicale est vécu comme humiliant par certains d’entre eux). Ceci participe à la perte du sens de son engagement dans le travail.
De même, les autres professionnels de santé sont écrasés par un système très hiérarchisé et bureaucratique, reposant encore trop sur une parole médicale omniprésente qui guide encore trop la prise en charge du patient. Ils parlent d’un système de santé médico-centré, exprimant ainsi leur revendication d’une (r)évolution nécessaire : aller d’un système hiérarchisé vers un système coordonné. Il est temps de passer à un management participatif et de permettre à chacun d’évoluer dans sa profession. Le débat autour des délégations de tâches ou des transferts d’activité doit prendre toute sa place et donner à chaque acteur du soin une perspective dans sa vie professionnelle, un plan de carrière, y compris pour les médecins.
Au total, la valeur travail reste fortement ancrée chez tous les professionnels de santé. Mais l’organisation de la prise en charge du patient, ainsi que du rapport entre les différents professionnels doit évoluer pour donner à chacun une place méritée et donc redonner à tous le sens de la valeur de leur extraordinaire engagement professionnel.