Baptiste Mousques & Dr Julien Peignet
Interne en psychiatrie au CHU de Nantes & Pédopsychiatre au CHU de Nantes
Chez mon patient
Nous sommes tous les trois assis en cercle les uns en face des autres sur de soyeux fauteuils en rotin, que notre hôte a disposés spécialement pour nous accueillir. Je suis alors interne en médecine spécialisé en psychiatrie et accompagné de ma collègue infirmière en psychiatrie, nous commençons un entretien médical avec notre patient.
En face de nous, un jeune homme d’une vingtaine d’années partage souffrir de la séparation avec sa mère depuis son premier emménagement autonome dans son appartement. En entretien, en cabinet de consultation ou à l’hôpital, nous accompagnons régulièrement des jeunes dans ces problématiques de séparation et d’autonomisation. La différence, aujourd’hui, c’est qu’alors qu’il nous raconte sa relation avec sa mère, nous constatons la présence d’un tableau au-dessus de lui.
La peinture représente une mère embaumant d’un linge son enfant précieux comme s’il faisait partie d’elle. Je questionne le jeune homme sur cette peinture :
« Dites-moi, vous avez un tableau remarquable accroché sur ce mur. »
« En effet, j’y suis très attaché, me répond-il en se retournant pour le regarder. »
« Il représente une mère et un jeune enfant très attachés l’un à l’autre. Qui vous l’a offert ? »
« C’est ma grand-mère qui l’a offert à ma mère et qui me l’a offert en retour pour mon emménagement. »
La différence, aujourd’hui, c’est que nous ne sommes pas dans un cabinet de consultation, nous ne sommes pas à l’hôpital, nous sommes chez notre patient qui nous a invités à son domicile. Je découvre alors dans cette peinture l’héritage familial de ce jeune homme.
J’étais en stage sur l’unité EQUIPAD, une structure de soins pour des patients en souffrance psychique aiguë qui intervient à domicile dans l’agglomération nantaise. L’équipe pluridisciplinaire est composée d’infirmiers, de médecins psychiatres, d’une psychologue et d’une assistante sociale.
Dans les représentations communes, on imagine la relation médicale dans le cadre du cabinet de consultation ou dans un service à l’hôpital, c’est-à-dire « chez » le médecin. Or, ce lieu de rencontre n’est pas le seul possible.
Classiquement, dans l’histoire de la médecine avant le développement de l’institution hospitalière, c’est le médecin qui se déplaçait chez le patient pour le soulager de ses maux. Parfois même, ni le médecin ni le patient ne se déplaçaient, ils échangeaient à distance ; au XVIe siècle, s’étaient développées et répandues les relations médicales épistolaires comme l’en témoigne le précieux recueil de lettres ou consilia du médecin Italien Jean Fernel (1497-1558).
Aujourd’hui, ces pratiques perdurent avec les visites à domicile de SOS médecin, l’hospitalisation à domicile, l’utilisation de la télémédecine et de consultations en visioconférence.
Pour certains patients, l’hospitalisation fait peur, bien qu’elle soit parfois inévitable, dans d’autres cas, des soins psychiatriques intensifs peuvent être pensés au domicile du patient.
Quelle peut être la place de la psychiatrie dans l’intervention à domicile ? Dans cette discipline, où pourtant la relation fait particulièrement soin, les soins ont généralement lieu « chez » le médecin. EQUIPAD m’a fait découvrir qu’en psychiatrie, aussi, la relation thérapeutique peut avoir lieu chez le patient.
Chez mon patient, je découvre un nouveau regard clinique, une analyse sémiologique plus personnelle. La rencontre thérapeutique se déroule différemment, c’est le médecin qui est accueilli avec convivialité chez son patient. Le patient peut parler de ses maux dans un milieu qu’il connaît et qui le rassure.
Chez mon patient, je peux : échanger pendant une promenade dans le parc voisin, découvrir sa collection de CDs de musique, ses photos de famille ou d’amis affichées sur le mur ou son talent pour la peinture avec la toile exposée dans le salon.
Les soins psychiques à domicile m’ont conforté dans ma philosophie médicale centrée sur une rencontre humaine individuée.