INTERVIEW
Les entreprises du médicament redoutent une explosion des coûts logistiques hospitaliers, actuellement exclusivement payés par l’industrie, dans un contexte de régulation budgétaire où il est demandé à l’hôpital 1 milliard d’euros d’économie dans le cadre du nouveau plan Phare 2018-2020

Philippe Lamoureux

Directeur Général du LEEM

Le marché français est-il attractif pour l’industrie pharmaceutique ?

Notre pays n’est pas dénué d’atouts. La France détient un savoir-faire industriel en production chimique et dans les biotechnologies. Elle possède un maillage territorial où interagissent, au sein de pôles de compétitivité, des start-up de biotechnologies et des grandes entreprises pharmaceutiques. Elle se distingue par la qualité de sa recherche, de sa formation et de sa main-d’œuvre en adéquation avec les nouveaux besoins de l’industrie pharmaceutique. Elle a des structures de dialogue précieuses entre le gouvernement et les industriels du médicaments (Csis, Csf), une politique conventionnelle équilibrée, et, phénomène nouveau, un exécutif qui marque sa volonté d’engager des réformes structurelles. Mais, malgré ses atouts, la France est devenue nettement moins attractive depuis quelques années. Le Leem a récemment monitoré ce déficit d’attractivité grâce à une étude du cabinet Roland Berger relative aux mesures d’attractivité de R&D et de production de médicaments à usage humain mises en œuvre dans six pays européens. Que nous dit cette étude ?  Dans de nombreux domaines stratégiques (accès au marché, stabilité de l’environnement fiscal et réglementaire, coût de production, coût de la main-d’œuvre…), notre pays est désormais distancé par l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Irlande. Ce décrochage est inquiétant mais pas irrémédiable. Les décisions d’investissements dans un pays se réalisent lorsque les politiques publiques sont cohérentes, l’environnement réglementaire prévisible et stable, la fiscalité allégée et le dialogue social constructif. Enfin, dans le cas de notre secteur, deux sujets sont particulièrement sensibles et doivent être traités : celui des délais et des conditions d’accès au marché et celui de la croissance. La concomitance du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) en juillet prochain, de la Stratégie Nationale de Santé et du Plan d’action en faveur de la croissance et de la transformation des entreprises ouvre une formidable fenêtre d’opportunité pour repositionner notre industrie dans la compétition internationale.

Y-a-t-il une politique inflationniste du médicament en France ? 

Malgré le phénomène naturel de vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de patients traités, le retour du progrès thérapeutique (la vague des nouveaux traitements de l’hépatiteC en 2013 puis celle des immunothérapies en oncologie avec l’arrivée des anti-PD1 et autres Car T Cells), le chiffre d’affaires régulé de l’industrie pharmaceutique en 2017 (29 Md€) est au même niveau qu’en 2009 ! Ces 6 dernières années, l’objectif de maîtrise des dépenses, mené notamment au travers des lois de financement de la Sécurité sociale successives, a pris l’ascendant sur les enjeux de croissance économique. Stagnation du chiffre d’affaires, décrochage de la France des grands pays producteurs de médicaments en Europe, allongement des délais d’accès, érosion de l’export…  Alors que tous nos grands voisins européens, à l’aide de politiques volontaristes, affichent des croissances positives, le marché pharmaceutique français a eu la croissance la plus faible des trois dernières années. S’il y a bien une politique inflationniste en France, elle concerne d’abord notre environnement réglementaire !

Selon vous, quels impacts auront les GHT dans le cadre de l’accès au marché du médicament pour l’hôpital ?

Passer de près de 1 000 hôpitaux publics à 135 GHT n’a rien d’anodin. La réforme soulève de légitimes questions en termes d’organisation de soins, d’approvisionnement en médicaments, d’achats et de coordination territoriale entre les différents acteurs (usagers, ARS, services hospitaliers, professionnels de santé, industriels du médicament, grossistes répartiteurs…). Auditionné en avril dernier par la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) qui travaille sur la politique des achats dans les établissements hospitaliers et notamment sur les achats de médicaments, le Leem a alerté sur les risques d’un trop fort regroupement des acheteurs hospitaliers de médicaments. Nous craignons des effets systémiques sur le médicament comme une raréfaction des fournisseurs, l’accentuation des ruptures de stock et d’approvisionnement ou un appauvrissement des livrets thérapeutiques. La pluralité de l’offre en matière de médicament est précieuse. Plus on concentrera l’offre, plus on perdra en agilité, en capacité d’adaptation, en faculté à gérer l’imprévu. L’autre écueil de cette réforme, c’est la perte de contact, ou tout du moins l’éloignement du fournisseur de l’offre de soins, l’hôpital. Un appel d’offres ce n’est pas uniquement des négociations portant sur le prix, c’est aussi et surtout le bon usage du médicament, sa traçabilité et la capacité à assurer l’approvisionnement. Rappelons enfin que la mise en place d’un circuit hospitalier d’approvisionnement et de logistique nécessite des moyens financiers importants et une réelle expertise en termes de logistique. Les entreprises du médicament redoutent une explosion des coûts logistiques hospitaliers, actuellement exclusivement payés par l’industrie, dans un contexte de régulation budgétaire où il est demandé à l’hôpital 1 milliard d’euros d’économie dans le cadre du nouveau plan Phare 2018-2020…