Tribune

« Tous les experts s’accordent à reconnaître qu’aujourd’hui notre activité médicale mériterait d’être plus pertinente »

Dr Jean-Paul Ortiz
Président d’Honneur de la CSMF


La crise sanitaire qui vient de secouer notre pays a mis en évidence la remarquable performance globale de notre système de santé. Son adaptabilité, l’universalité de la prise en charge grâce à notre système de protection sociale, un reste à charge le plus bas des pays de l’OCDE, le degré élevé de la technologie médicale française sont autant de points positifs largement soulignés.

Malheureusement, les besoins de la population ne sont pas couverts comme on pourrait l’attendre. L’accès aux soins est une préoccupation majeure pour nos concitoyens. Les déserts médicaux s’étendent jusqu’au centre de Paris, les délais de rendez-vous auprès d’un médecin spécialiste s’allongent démesurément, les inégalités territoriales s’accroissent, et le reste à charge touche plus volontiers les patients âgés et défavorisés malgré le « 100 % santé » récemment installé.

Tous les acteurs de la santé sont en crise, le désengagement professionnel atteint tous les secteurs et la crise démographique est majeure chez les médecins mais également chez d’autres métiers de santé. La société a changé, le patient également et les professionnels de santé aussi. Afin de répondre au défi du vieillissement de la population et de la multiplicité des pathologies chroniques, il est indispensable d’avoir un système de santé plus performant, plus universel, plus accessible pour tous et partout.

Améliorer la performance peut revêtir de multiples aspects. On pensera d’abord à la performance financière mais cela ne sera pas mon propos. Je privilégierai deux voies : la performance organisationnelle, et celle issue d’une amélioration de la qualité des soins.

Mieux organiser notre système de santé

C’est un lieu commun de dire que le système de santé français est cloisonné. Les relations entre la ville et l’hôpital sont faibles et difficiles, et cela entraîne des dysfonctionnements majeurs. Chacun accuse l’autre de ne pas tenir son rôle, mais les missions ne sont correctement remplies ni par l’un ni par l’autre. En témoigne la crise de la permanence des soins et des urgences.

Même à l’intérieur de chaque groupe d’offreurs de soins, la coordination est très déficiente. À l’hôpital, d’un service à l’autre, la transmission des informations se fait mal malgré les sommes considérables consacrées à l’informatisation des hôpitaux. En ville, le fameux DMP devait permettre de partager les données de chaque patient, comme l’avait annoncé le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy, il y a presque vingt ans !

Améliorer la coordination entre les différents professionnels de santé est indispensable. Les outils numériques devraient le permettre et l’engagement des acteurs devra être au rendez-vous. Cette révolution numérique doit faciliter un véritable parcours de soins enfin coordonné, le médecin traitant étant le chef d’orchestre de la prise en charge et de l’orientation du patient, celui-ci devenant le véritable acteur de son parcours.

La dimension territoriale est un enjeu majeur pour l’accès aux soins. Les maires des plus petites communes rêvent d’avoir un médecin dans leur village. Mais imaginer un médecin généraliste au pied de chaque clocher est hors de propos à l’heure du travail en équipe pluriprofessionnelle et du temps partagé entre vie professionnelle et personnelle ; toutefois, nous devons garantir l’accès à des soins de qualité partout à tous nos concitoyens y compris en ruralité. L’utilisation du numérique doit faciliter cette tâche ; si la téléconsultation s’est développée lors de la pandémie Covid, elle doit durablement rentrer dans le suivi habituel d’un patient chronique stabilisé qui peut être parfaitement surveillé à domicile par téléconsultation, objets connectés et télésurveillance en alternance avec la consultation au cabinet.

L’accès aux soins dans les territoires passera par l’exercice multisite des médecins qui exerceront de plus en plus en groupe, en équipe pluriprofessionnelle. Il revient aux collectivités locales de faciliter cet exercice multisite par la mise à disposition de locaux dans le cadre d’une responsabilité territoriale collective que les médecins libéraux sont prêts à assumer.

L’accès aux soins sera également facilité par la délégation. Il ne s’agit pas de délégation de compétences : la compétence s’acquiert par une formation sanctionnée par un examen. Mais d’une délégation de tâches et de rôles, dans le cadre d’une équipe de soins coordonnée avec le patient, en définissant précisément les rôles et missions de chacun. Cela nécessite la transmission d’informations entre les professionnels, l’acceptation par le patient et la garantie de l’équilibre financier pour chacun des professionnels. Cette dernière condition est un préalable à toute évolution des contours de métier.

Améliorer la performance par la qualité

La démarche qualité en santé a jusqu’à présent privilégié l’analyse des process et des procédures. Ceci a abouti à la certification des établissements de soins.

Le financement a également privilégié la quantité sans se soucier de la qualité du soin rétribué. Cela est un travers du paiement à l’acte mais également de la T2A. La révolution des PROMs et des PREMs est en marche. Il devient indispensable d’analyser le résultat d’une prise en charge chirurgicale sur la qualité de vie d’un patient. Chaque patient veut aujourd’hui exprimer son ressenti au cours d’une démarche de soins qu’il vient de subir. Ces deux outputs doivent marquer l’évolution du financement du système de santé et ce n’est pas par un forfait global de prise en charge que cela sera possible sous peine de voir la qualité globale délivrée se fondre dans un financement général sans responsabiliser et redonner du sens à chaque acteur. Cela passe par un financement mixte, basé sur l’activité mais aussi sur l’analyse du service rendu à la population et aux patients.

Tous les experts s’accordent à reconnaître qu’aujourd’hui notre activité médicale mériterait d’être plus pertinente. Examens biologiques et radiologiques redondants car non transmis, explorations endoscopiques inutilement répétées, prescriptions médicales sans bases scientifiques ou inadaptées à la situation clinique, etc., il est temps de rendre toute intervention médicale pertinente, c’est-à-dire adaptée au bon patient, au bon moment, pour la bonne pathologie. Démontrer la pertinence, c’est améliorer l’efficience et donc la performance globale de notre système de santé. C’est en mobilisant les acteurs autour de la qualité de la prise en charge que cet objectif rencontrera l’adhésion du plus grand nombre.

Notre société a considérablement changé et notre système de santé doit être à son image : un système généreux, accessible, équitable et de qualité. Ce n’est qu’en améliorant la performance dans tous les domaines que cela sera possible.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP