Johanna Rolland
Maire de Nantes, Présidente de Nantes Métropole & Présidente de France Urbaine
Des villes au chevet de la santé mentale
Pendant trop longtemps, la santé, et notamment la santé mentale, a été analysée sous le seul aspect des soins apportés par un médecin à un malade. Privatisé et cantonné à la seule sphère de l’intime, le sentiment de mal-être était alors systématiquement renvoyé à la responsabilité individuelle.
L’émergence, ces dernières années, dans le débat public de souffrances psychiques « nouvelles », à l’image du burn-out ou du bore-out dans l’entreprise par exemple, a vraisemblablement contribué à une approche plus collective et holistique de la santé mentale. Le rôle des environnements, et des organisations de travail notamment, est aujourd’hui plus largement interrogé dans le milieu professionnel.
Il semble par ailleurs admis par nombre d’élu·e·s et de professionnel·le·s que la santé et le bien-être dépassent la seule problématique du médical et de l’offre de soins. À l’isolement et aux troubles psychiques peuvent, en effet, s’ajouter des difficultés d’accès à l’emploi ou au logement et du renoncement aux soins.
Nous savons, par ailleurs, que les grands déterminants socio-économiques de la santé mentale, comme l’éducation ou les revenus pour ne citer qu’eux, interagissent et sont susceptibles d’accroître fortement les inégalités de santé. La lutte contre les inégalités, en tant que projet politique, contribue donc à lutter contre les inégalités en matière de santé mentale, et notamment dans les grandes villes et métropoles. N’oublions pas qu’en Europe, on compte deux fois plus de personnes atteintes de schizophrénie en milieu urbain que dans les territoires ruraux et que le nombre élevé de personnes vivant seules induit davantage de sentiment d’isolement, de conduites suicidaires et de risques d’addictions. La santé mentale est donc à la fois un sujet de société, une question posée à notre siècle et un enjeu d’avenir pour nos villes.
C’est d’autant plus vrai avec la crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie de coronavirus qui est venue impacter notre société, révélant des situations nouvelles de fragilités psychiques, de précarités financières, de ruptures affectives et de vulnérabilités sociales. Les étudiants en sont devenus une forme de témoignage sensible.
Il ne fait aucun doute que l’expérience individuelle et collective de la Covid-19 a et aura un retentissement majeur et durable sur la santé mentale de la population française. à l’heure où la résilience des territoires est mise à l’épreuve et interrogée par cette crise, les villes vont devoir s’appuyer sur des politiques publiques inclusives et solidaires si elles veulent vraiment sortir de cette crise par le haut, c’est-à-dire en veillant à ne laisser personne sur le bord du chemin.
Les territoires déjà engagés depuis de nombreuses années dans des politiques volontaristes en matière de santé, comme nous le sommes à Nantes par exemple, se mobilisent pour relever ce défi social et humain majeur.
Ce n’est évidemment pas un hasard si la Ville de Nantes est devenue vice-présidente du Réseau français des Villes-Santé de l’OMS, qui œuvre au sein du même réseau à l’échelle européenne. Très vite, Nantes a mesuré l’enjeu de démocratiser la santé. Elle a ainsi été l’une des premières collectivités à signer un Contrat local de santé avec l’Agence régionale de santé, la préfecture des Pays de la Loire et Nantes Métropole, voyant dans cet outil une opportunité pour agir. Et lors du vote de notre Contrat local de santé deuxième génération, en 2019, nous avons pris une nouvelle fois des engagements forts en ce qui concerne notamment l’accès aux soins des publics les plus vulnérables, la prévention des conduites à risque chez les plus jeunes et la santé mentale. De nouveaux partenaires nous ont rejoints, parmi lesquels le département de la Loire-Atlantique, le CHU, la CPAM et la direction académique des services de l’éducation nationale de Loire-Atlantique.
Nous avons d’ailleurs à Nantes un Conseil local en santé mentale. Et si j’ai fait le choix de maintenir un bilan de santé systématique en grande section de maternelle et en CE2 pour les enfants, cela s’inscrit dans une prise en compte globale de leur santé. La création à Nantes du premier centre pour les femmes victimes de violences et leurs enfants, ouvert 7 J/7 et 24 h/24, relève de la prise en compte conjointe de la souffrance des enfants co-victimes, de la parentalité et d’un accompagnement global des femmes souffrant de stress post-traumatique, notamment du fait des violences physiques répétées ou des violences sexuelles subies.
Voilà pourquoi je crois que nous avons, en tant qu’élu·e·s, une responsabilité essentielle pour faire en sorte que la santé mentale soit une priorité à chaque âge de la vie et quelle que soit l’histoire de chacune et chacun. Il nous faut ainsi lutter avec détermination contre les fractures territoriales et sociales entre quartiers et veiller à mener une action véritablement efficace face aux difficultés économiques et sociales qui se cumulent parfois, notamment dans les quartiers populaires. C’est une responsabilité qui incombe en partie à l’État mais aussi aux collectivités locales qui doivent prendre toutes leur part. C’est ainsi que je conçois mon rôle de maire de 6e ville de France et de présidente de Nantes Métropole.
Mais notre responsabilité d’élu·e·s est aussi de comprendre comment la ville, par ses aménagements et ses espaces, vient altérer ou favoriser le bien-être et la santé mentale des habitant·e·s qui y vivent. En adoptant à Nantes le consensus de Copenhague entre les maires en 2019, qui entend œuvrer pour « plus de bonheur dans les villes, pour toutes et tous », ma volonté était justement de renforcer encore notre action en matière de santé afin d’en faire un sujet transversal pour l’ensemble de nos politiques publiques.
Cette approche globale et positive de la santé fait écho à mon projet politique, celui de la social-écologie et je porte avec mon équipe une ambition forte pour la santé, que j’ai placée au cœur de toute mon action. Penser ainsi la santé à 360° nous oblige, en tant qu’élu, à réfléchir et à revoir notre manière de fabriquer la ville, si nous voulons agir durablement sur les déterminants sociaux et territoriaux de la santé mentale. L’exposome, c’est-à-dire notre exposition à tous les facteurs environnementaux, en fait partie. Peut-être davantage encore d’ailleurs dans nos villes, exposées aux particules fines, aux perturbateurs endocriniens et aux pollutions. Afin de promouvoir un environnement favorable à la santé et à la qualité de vie, Nantes est notamment dotée d’un Plan local d’actions en santé environnementale et adhère à la Charte des villes et territoires sans perturbateurs endocriniens.
Repenser la ville, c’est aussi donner toujours plus de place à cette nature si fondamentale pour le bien-être, la qualité de vie et la santé mentale de chacune et chacun. à Nantes, 2e ville la plus verte de France, cela n’a rien d’anecdotique. Nous mènerons en ce sens une action forte autour de la nature en ville, pour ouvrir les parcs, créer de nouveaux jardins et débitumer les espaces publics. Parce que je suis convaincue qu’un cadre de vie agréable contribue au bonheur des habitantes et habitants et donc, à leur santé mentale.
Repenser la ville, c’est enfin redonner du pouvoir d’agir à ses habitants, à travers le dialogue citoyen par exemple. Nantes est devenue Capitale européenne de l’innovation pour les démarches qu’elle mène en ce sens, à l’échelle de sa métropole, de la ville, d’un quartier ou d’une rue.
La question de la santé mentale est donc éminemment politique et nous exerçons une coresponsabilité en ce qui concerne l’état de bien-être des habitant·e·s, avec l’ensemble des acteurs locaux : ceux de la santé, bien sûr, mais aussi les entreprises, les associations et les acteurs sportifs et culturels. Car l’art est aussi un moyen de créer du lien social, notamment lorsqu’il s’expose sur l’espace public. C’est un volet essentiel de la politique culturelle nantaise, à l’image du Voyage à Nantes.
Là encore, les villes ont le pouvoir d’agir pour rompre l’isolement, prévenir l’exclusion sociale des personnes en grande fragilité psychique et lutter contre la stigmatisation et les discriminations qu’elles subissent dans notre société. Favoriser, par exemple, l’implantation de lieux d’accueil, comme les Groupes d’entraide mutuelle animés par des personnes en situation de handicap psychique, c’est leur permettre de trouver leur place dans la ville et d’exercer leur citoyenneté.
Qu’on se le dise : un long chemin est devant nous. Ce chemin, c’est celui d’une santé inclusive et d’une ville hospitalière et ouverte assumant d’être au chevet de la santé mentale demain. Parce que le séisme de la crise actuelle connaîtra des répliques. Parce que le monde qui vient est imprévisible et que les crises s’en prennent d’abord aux plus précaires. Parce qu’il faut des moyens, des places d’accueil, des parcours de soins adaptés, de la prévention, du repérage, de la recherche et du personnel formé pour nos services publics qui en manquent cruellement.
Plus que jamais, il est donc indispensable d’investir dans les hôpitaux du XXIe siècle. Le futur CHU sur l’île de Nantes est à ce titre une réelle chance pour notre territoire et pour ses habitant·e·s. Mais les seules infrastructures ne peuvent suffire. L’État doit aussi s’engager dans une large revalorisation des métiers de la santé, je pense bien sûr, entre autres, aux infirmier·e·s, aux aide-soignant·e·s mais aussi à celles et ceux qui accompagnent les plus fragiles comme les auxiliaires de vie. Enfin, à l’échelle locale, il nous faut mener des politiques ambitieuses, faisant du bien-être un véritable indicateur de la qualité de vie dans nos villes. Nous avons aussi besoin de développer la connaissance des enjeux sociaux, sanitaires et urbains de la santé mentale ; besoin de faire sortir ces sujets des cercles d’experts pour sensibiliser et mobiliser largement les acteurs du territoire ; besoin d’agir concrètement en informant sur ces questions encore trop souvent taboues aujourd’hui. C’est le sens du Colloque « Villes et santé mentale », que Nantes accueillera l’année prochaine.